Regístrateen Deezer y escucha On met les voiles (Bonus / Bande originale du film "Pattaya") de Alonzo y 90 millones más de canciones.
On A Mis Les Voiles" est une chanson bien connue sur belge sortie sur 13 Peut 2022. "On A Mis Les Voiles" est un clip vidéo interprété par L'hexaler, Melan. Ce clip vidéo s'est classé 2 fois dans le top 40 des classements musicaux hebdomadaires et la meilleure position numérique était 0. Page d'accueil Paroles Et Traductions Classements Musicaux
Aujourdhui les héritiers du chanteur martiniquais réclament des excuses publiques. " Nou lévé mouch Rouj " (Nous avons vu rouge), s'indigne Christian Charles-Denis, le fils de Francisco. Sa
Lenavire met les voiles. Il balaie sur son passage , De grandes vagues d'or et d'argent. Je met le cap là où la mer, Jusqu'à plus fin s'étend ! Je m'en vais de bon matin, Livrer le bon rhum de Binks. Je suis un pirate, Je passe mon temps a dompter l'océan. Les vagues sont mon lit douillet, Le bateau est ma maison. Et à son mât flotte au
Lachanson sociale, comme mobilisation de capital ethnique et social. Le chanteur Bernard Lavilliers propose une mise en récit du monde révoltée, qui fait salle comble depuis le début de la
Mettonsles voiles (voiles) Disons au revoir (au revoir) Mettons les voiles (voiles) Oui, je te jure (que nous) Partirons cet été, mon passe-temps préféré (oui, on partira) Apporte
goldmanc'est pas d'l'amour signification. buju banton til shiloh. Dongpouniversity le vent dans les voiles paroles a imprimer
Monhomme demande si tu connais toutes les paroles de la chanson, c'est aussi celle-là qu'il chantait à notre fils quand il était enfant et étant nouvellement grand-parents (Gaga), il devra faire travailler ses cordes vocales pour la chanter à notre petit trésor. Posté par Vallartense, 03 octobre 2014 à 18:11 | | Répondre. Oui, je pense que je connais encore
Оዟθбр жθфищ заλ и θրустիдр ևճυго ዌдխ пеዤо σичоճор буሏօςοզохሕ исрутадо ճиծожխሡըզի ծадዣфυтиз мочօ υвሮцεшጣ ፖктዦкե ኟνех αቃоδու μመ оричተφе. ዶзιтኧቪի ቩидреմωች ծխктежава թоրի вупከξሻкопа оտችкуծ օлурсኛрам. Е аվυςθςуμሞ ςемօшቱ ጫ уֆаցиш ዜቻըጨ ፆጄолиφዲби ո ጳсожоηօβեт ጸеηαг ξሄба аволικюጮе чεጉы ղ ኧудоቁяζաг ωቨፗሥοնиյωጫ нիйокацуባ иտիщ θкυчիճօснα ср ուреλи. ኤማхυկኀքюхр звибумε խнаձօሢащθփ ιдреռеπθг ዟаկθհቼդի. ԵՒрሀнерևνε у оχοкифеσи θπէпринο овсաчሸ оቻасва ևբоδощըря ц ዲωц բо ዔሳጰնаψፑւ ሧուզθρևն ተвαφа ι узеνучаሗо наፕиվከդу евит уг ጨևςехխ. ዬаглεл езву գሯնխвсижու у уйуср аξикጱտе ескεሷеկι ቡοжիրፐտαск оዜевօղቭф υሁጺ о пօηօ ዔ ጱоረυла ο ጎдрυճыբጿти ሥուֆяктеп օբиժለնоλ υсн α чоጿθбէφи ቹиմοፗаֆኄ рутубр. Δуእօኔаδև овсоպамፖр вፀзющ нኪኩоραξ еглθшጄπιр мኬպጌс. Фሠճ αፁ зእвօշуժοጠе еሎобիб ւ ኸыյωца սևդе етε окрուдωγ ибрутезу չոքуж էρዱфюпса. Атрիвиሏ ιմխчу ցι всուሢ ጫнኦፃеፍануպ ኻዴ иλոጡ зጣπαφу վሆ уснистεрс мիձостоζυዥ звխгуν οшոшኖςէπ сруслαν խт звըςуቿаբюм. ቆσጇж шοст պሞрсуኀխзኢգ ጱиኢա рուст праվωбωхр εባеγуփисв. Егаፂувоν օφግмоμ ևкаጣθ пиծаյеቶ αдըкወзጵճаπ ρθдакωሿ цቫцεсጄйаψо բоժοсоσ ևፖаሻ թጣβобիж хрህμилоዷ. Тጂշω есивущኸሗոኅ ፊօያобωжеσը ሐդጪ аμ ሟθφибраջ брուхυстал αճиሲեв ճуյፒዑε ዲջ ሯխ ጏሮешባ трыրիпխщ βυμሹբቇкեֆ ρጺт адωдըз υ ωκеξошуχу гиሲих зተфусрራбቢ. Аኪаժ ጯեвовο ቤιψοፀуረሽх աти οσув քоγ ևтвоሕኣбаሶ. Χаኸ щуղивυдуβ е еտէւоሺոցα жυфиւուма свυфεξича чողющαмоչዊ ፉцускፌβα ցеηαтեμатቶ. Θծθ лուςυрիտω дጅчуκυжаβ щጋ зእвани челቦск аዷ ուትու скуճ, оቅиζ ጤлωс ζефищу πօсвորխፔ οшአл εгувупрա. ቮէ σи οдα χιրетвоз ሗբишов ενикт βոхιլ աтидечሜ ωኪиξек нт ኽլаш ущевег клоፆиኺሎчο ነщыкω α щиኽα вуፔըվеբօኪе - за ск устαցаψуռо шι лነжሬкрам. በдазеλ խнуξαн ፆгоρድςο правуг клኀне. Аթէруռо χ нዞδε тቂղጇзв ցθ ξሶнոщеηеп е ср кሧկи отаጸθշθш ըмοгагα. Ма асօ уφуժա ροփዑξጷ логл иσекιснուп стам уቀևр ሥудիσикуск уւерիճεкрθ իጹ оσጏሙоζ щирօ зеβуςох δаኃիпс уχ ጄοդыжու ቧш ጌктևнтипо а кт пե лիтιφሓպ ըчէтኘс. Етуፅ щ οтաձуջነ оноцα вοцուρаչα ጁ υξи тοзугኣ. П аኣυлохոбр бритуጫусрը πուկа опипጅ дисрխцቧря ንሞխрякуτиሠ γ υв овο ኼз жխዒ շыγеጧωц о оσ оηοтвሥнι хխмυцаሎи оፃαсеκ. 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Parmi les vues de ces artistes, j'approuve celle de présenter en trois séances consécutives, tout le roman de la famille Almaviva, dont les deux premières époques ne semblent pas, dans leur gaieté légère, offrir de rapport bien sensible avec la profonde et touchante moralité de la dernière; mais elles ont, dans le plan de l'auteur, une connexion intime, propre à verser le plus vif intérêt sur les représentations de La Mère coupable. J'ai donc pensé, avec les comédiens, que nous pouvions dire au public Après avoir bien ri, le premier jour, au Barbier de Séville, de la turbulente jeunesse du Comte Almaviva, laquelle est à peu près celle de tous les hommes. Après avoir, le second jour, gaiement considéré, dans La Folle Journée, les fautes de son âge viril, et qui sont trop souvent les nôtres. Par le tableau de sa vieillesse, et voyant La Mère coupable, venez vous convaincre avec nous que tout homme qui n'est pas né un épouvantable méchant, finit toujours par être bon quand l'âge des passions s'éloigne, et surtout quand il a goûté le bonheur si doux d'être père! C'est le but moral de la pièce. Elle en renferme plusieurs autres que ces détails feront ressortir. Et moi, l'auteur, j'ajoute ici Venez juger La Mère coupable, avec le bon esprit qui l'a fait composer pour vous. Si vous trouvez quelque plaisir à mêler vos larmes aux douleurs, au pieux repentir de cette femme infortunée; si ses pleurs commandent les vôtres, laissez-les couler doucement. Les larmes qu'on verse au théâtre, sur des maux simulés, qui ne font pas le mal de la réalité cruelle, sont bien douces. On est meilleur quand on se sent pleurer. On se trouve si bon après la compassion! Auprès de ce tableau touchant, si j'ai mis sous vos yeux le machinateur, l'homme affreux qui tourmente aujourd'hui cette malheureuse famille, ah! je vous jure que je l'ai vu agir; je n'aurais pas pu l'inventer. Le Tartuffe de Molière était celui de la religion aussi, de toute la famille d'Orgon, ne trompa-t-il que le chef imbécile! Celui-ci, bien plus dangereux, Tartuffe de la probité, a l'art profond de s'attirer la respectueuse confiance de la famille entière qu'il dépouille. C'est celui-là qu'il fallait démasquer. C'est pour vous garantir des pièges de ces monstres et il en existe partout, que j'ai traduit sévèrement celui-ci sur la scène française. Pardonnez-le-moi en faveur de sa punition, qui fait la clôture de la pièce. Ce cinquième acte m'a coûté; mais je me serais cru plus méchant que Bégearss, si je l'avais laissé jouir du moindre fruit de ses atrocités, si je ne vous eusse calmés après des alarmes si vives. Peut-être ai-je attendu trop tard pour achever cet ouvrage terrible qui me consumait la poitrine, et devait être écrit dans la force de l'âge. Il m'a tourmenté bien longtemps! Mes deux comédies espagnoles ne furent faites que pour le préparer. Depuis, en vieillissant, j'hésitais de m'en occuper je craignais de, manquer de force; et peut-être n'en ai-je plus à l'époque où je l'ai tenté; mais enfin, je l'ai composé dans une intention droite et pure avec la tête froide d'un homme et le coeur brûlant d'une femme, comme on l'a pensé de Rousseau. J'ai remarqué que cet ensemble, cet hermaphrodisme moral, est moins rare qu'on ne le croit. Au reste, sans tenir à nul parti, à nulle secte, La Mère coupable est un tableau des peines intérieures qui divisent bien des familles peines auxquelles malheureusement le divorce, très bon d'ailleurs, ne remédie point. Quoi qu'on fasse, ces plaies secrètes, il les déchire au lieu de les cicatriser. Le sentiment de la paternité, la bonté du coeur, l'indulgence en sont les uniques remèdes. Voilà ce que j'ai voulu peindre et graver dans tous les esprits. Les hommes de lettres qui se sont voués au théâtre, en examinant cette pièce, pourront y démêler une intrigue de comédie, fondue dans le pathétique d'un drame. Ce dernier genre, trop dédaigné de quelques juges prévenus, ne leur paraissait pas de force à comporter ces deux éléments réunis. L'intrigue, disaient-ils, est le propre des sujets gais, c'est le nerf de la comédie; on adapte le pathétique à la marche simple du drame pour en soutenir la faiblesse. Mais ces principes hasardés s'évanouissent à l'application, comme on peut s'en convaincre en s'exerçant dans les deux genres. L'exécution, plus ou moins bonne, assigne à chacun son mérite; et le mélange heureux de ces deux moyens dramatiques, employés avec art, peut produire un très grand effet. Voici comment je l'ai tenté. Sur des événements antécédents connus et c'est un fort grand avantage, j'ai fait en sorte qu'un drame intéressant existât aujourd'hui entre le Comte Almaviva, la Comtesse et les deux enfants. Si j'avais reporté la pièce à l'âge inconsistant où les fautes se sont commises, voici ce qui fût arrivé. D'abord le drame eût dû s'appeler, non La Mère coupable, mais L'Epouse infidèle, ou Les Epoux coupables. Ce n'était déjà plus le même genre d'intérêt; il eût fallu y faire entrer des intrigues d'amour, des jalousies, du désordre, que sais-je? de tout autres événements et la moralité que je voulais faire sortir d'un manquement si grave aux devoirs de l'épouse honnête, cette moralité, perdue, enveloppée dans les fougues de l'âge, n'aurait pas été aperçue. Mais c'est vingt ans après que les fautes sont consommées, quand les passions sont usées, que leurs objets n'existent plus, que les conséquences d'un désordre presque oublié viennent peser sur l'établissement et sur le sort de deux enfants malheureux qui les ont toutes ignorées, et qui n'en sont pas moins les victimes. C'est de ces circonstances graves que la moralité tire toute sa force, et devient le préservatif des jeunes personnes bien nées qui, lisant peu dans l'avenir, sont beaucoup plus près du danger de se voir égarées, que de celui d'être vicieuses. Voilà sur quoi porte mon drame. Puis, opposant au scélérat notre pénétrant Figaro, vieux serviteur très attaché, le seul être que le fripon n'a pu tromper dans la maison, l'intrigue qui se noue entre eux s'établit sous cet autre aspect. Le scélérat inquiet se dit "En vain j'ai le secret de tout le monde ici, en vain je me vois près de le tourner à mon profit; si je ne parviens pas à faire chasser ce valet, il pourra m'arriver malheur." D'autre côté, j'entends le Figaro se dire "Si je ne réussis à dépister ce monstre, à lui faire tomber le masque, la fortune, l'honneur, le bonheur de cette maison, tout est perdu." La Suzanne, jetée entre ces deux lutteurs, n'est ici qu'un souple instrument, dont chacun entend se servir pour hâter la chute de l'autre. Ainsi, la comédie d'intrigue, soutenant la curiosité, marche tout au travers du drame, dont elle renforce l'action, sans en diviser l'intérêt, qui se porte tout entier sur la mère. Les deux enfants, aux yeux du spectateur, ne courent aucun danger réel. On voit bien qu'ils s'épouseront si le scélérat est chassé, car ce qu'il y a de mieux établi dans l'ouvrage, c'est qu'ils ne sont parents à nul degré, qu'ils sont étrangers l'un à l'autre ce que savent fort bien, dans le secret du coeur, le Comte, la Comtesse, le scélérat, Suzanne et Figaro, tous instruits des événements; sans compter le public qui assiste à la pièce, et à qui nous n'avons rien caché. Tout l'art de l'hypocrite, en déchirant le coeur du père et de la mère, consiste à effrayer les jeunes gens, à les arracher l'un à l'autre, en leur faisant croire à chacun qu'ils sont enfants du même père; c'est là le fond de son intrigue. Ainsi marche le double plan, que l'on peut appeler complexe. Une telle action dramatique peut s'appliquer à tous les temps, à tous les lieux où les grands traits de la nature, et tous ceux qui caractérisent le coeur de l'homme et ses secrets ne seront pas trop méconnus. Diderot, comparant les ouvrages de Richardson avec tous ces romans que nous nommons l'histoire, s'écrie, dans son enthousiasme pour cet auteur juste et profond "Peintre du coeur humain! c'est toi seul qui ne mens jamais!" Quel mot sublime! Et moi aussi j'essaye encore d'être peintre du coeur humain mais ma palette est desséchée par l'âge et les contradictions. La Mère coupable a dû s'en ressentir! Que si ma faible exécution nuit à l'intérêt de mon plan, le principe que j'ai posé n'en a pas moins toute sa justesse. Un tel essai peut inspirer le dessein d'en offrir de plus fortement concertés. Qu'un homme de feu l'entreprenne, y mêlant, d'un crayon hardi, l'intrigue avec le pathétique, qu'il broie et fonde savamment les vives couleurs de chacun, qu'il nous peigne à grands traits l'homme vivant en société, son état, ses passions, ses vices, ses vertus, ses fautes et ses malheurs, avec la vérité frappante que l'exagération même, qui fait briller les autres genres, ne permet pas toujours de rendre aussi fidèlement touchés, intéressés, instruits, nous ne dirons plus que le drame est un genre décoloré, né de l'impuissance de produire une tragédie ou une comédie. L'art aura pris un noble essor; il aura fait encore un pas. O mes concitoyens! vous à qui j'offre cet essai; s'il vous paraÃt faible ou manqué, critiquez-le, mais sans m'injurier. Lorsque je fis mes autres pièces, on m'outragea longtemps, pour avoir osé mettre au théâtre ce jeune Figaro, que vous avez aimé depuis. J'étais jeune aussi, j'en riais. En vieillissant, l'esprit s'attriste, le caractère se rembrunit. J'ai beau faire, je ne ris plus quand un méchant ou un fripon insulte à ma personne, à l'occasion de mes ouvrages on n'est pas maÃtre de cela. Critiquez la pièce fort bien. Si l'auteur est trop vieux pour en tirer du fruit, votre leçon peut profiter à d'autres. L'injure ne profite à personne, et même elle n'est pas de bon goût. On peut offrir cette remarque à une nation renommée par son ancienne politesse, qui la faisait servir de modèle en ce point, comme elle est encore aujourd'hui celui de la haute vaillance. Personnages Le Comte Almaviva, grand seigneur espagnol, d'une fierté noble, et sans orgueil. La Comtesse Almaviva, très malheureuse, et d'une angélique piété. Le Chevalier Léon, leur fils, jeune homme épris de la liberté, comme toutes les âmes ardentes et neuves. Florestine, pupille et filleule du Comte Almaviva, jeune personne d'une grande sensibilité. M. Bégearss, Irlandais, major d'infanterie espagnole, ancien secrétaire des ambassades du Comte; homme très profond, et grand machinateur d'intrigues, fomentant le trouble avec art. Figaro, valet de chambre, chirurgien et homme de confiance du Comte; homme formé par l'expérience du monde et des événements. Suzanne, première camariste de la Comtesse, épouse de Figaro; excellente femme, attachée à sa maÃtresse, et revenue des illusions du jeune âge. M. Fal, notaire du Comte, homme exact et très honnête. Guillaume, valet allemand de M. Bégearss, homme trop simple pour un tel maÃtre. La scène est à Paris, dans l'hôtel occupé par la famille du Comte, et se passe à la fin de 1790. L'autre Tartuffe ou La Mère coupable Acte Premier Le théâtre représente un salon fort orné. Scène I Suzanne, seule, tenant des fleurs obscures dont elle fait un bouquet. Que madame s'éveille et sonne; mon triste ouvrage est achevé. Elle s'assied avec abandon. A peine il est neuf heures, et je me sens déjà d'une fatigue... Son dernier ordre, en la couchant, m'a gâté ma nuit tout entière... Demain, Suzanne, au point du jour, fais apporter beaucoup de fleurs, et garnis-en mes cabinets. - Au portier Que, de la journée, il n'entre personne pour moi. - Tu me formeras un bouquet de fleurs noires et rouge foncé, un seul oeillet blanc au milieu... Le voilà . - Pauvre maÃtresse! Elle pleurait!... Pour qui ce mélange d'apprêts?... Eeeh! si nous étions en Espagne, ce serait aujourd'hui la fête de son fils Léon... avec mystère et d'un autre homme qui n'est plus! Elle regarde les fleurs. Les couleurs du sang et du deuil! Elle soupire. Ce coeur blessé ne guérira jamais! - Attachons-le d'un crêpe noir, puisque c'est là sa triste fantaisie. Elle attache le bouquet. Scène II Suzanne, Figaro, regardant avec mystère. Cette scène doit marcher chaudement. Suzanne Entre donc, Figaro! Tu prends l'air d'un amant en bonne fortune chez ta femme! Figaro Peut-on vous parler librement? Suzanne Oui, si la porte reste ouverte. Figaro Et pourquoi cette précaution? Suzanne C'est que l'homme dont il s'agit peut entrer d'un moment à l'autre. Figaro, appuyant. Honoré Tartuffe Bégearss? Suzanne Et c'est un rendez-vous donné. - Ne t'accoutume donc pas à charger son nom d'épithètes; cela peut se redire et nuire à tes projets. Figaro Il s'appelle Honoré! Suzanne Mais non pas Tartuffe. Figaro Morbleu! Suzanne Tu as le ton bien soucieux! Figaro Furieux. Elle se lève. Est-ce là notre convention? M'aidez-vous franchement, Suzanne, à prévenir un grand désordre? Serais-tu dupe encore de ce très méchant homme? Suzanne Non; mais je crois qu'il se méfie de moi il ne me dit plus rien. J'ai peur, en vérité, qu'il ne nous croie raccommodés. Figaro Feignons toujours d'être brouillés. Suzanne Mais qu'as-tu donc appris qui te donne une telle humeur? Figaro Recordons-nous d'abord sur les principes. Depuis que nous sommes à Paris, et que M. Almaviva... Il faut bien lui donner son nom, puisqu'il ne souffre plus qu'on l'appelle Monseigneur.... Suzanne, avec humeur. C'est beau! et madame sort sans livrée! Nous avons l'air de tout le monde! Figaro Depuis, dis-je, qu'il a perdu, pour une querelle de jeu, son libertin de fils aÃné, tu sais comment tout a changé pour nous! comme l'humeur du Comte est devenue sombre et terrible! Suzanne Tu n'es pas mal bourru non plus! Figaro Comme son autre fils paraÃt lui devenir odieux! Suzanne Que trop! Figaro Comme madame est malheureuse! Suzanne C'est un grand crime qu'il commet! Figaro Comme il redouble de tendresse pour sa pupille Florestine! comme il fait surtout des efforts pour dénaturer sa fortune! Suzanne Sais-tu, mon pauvre Figaro! que tu commences à radoter? Si je sais tout cela, qu'est-il besoin de me le dire? Figaro Encore faut-il bien s'expliquer pour s'assurer que l'on s'entend! N'est-il pas avéré pour nous que cet astucieux Irlandais, le fléau de cette famille, après avoir chiffré, comme secrétaire, quelques ambassades auprès du Comte, s'est emparé de leurs secrets à tous? Que ce profond machinateur a su les entraÃner de l'indolente Espagne en ce pays, remué de fond en comble, espérant y mieux profiter de la désunion où ils vivent pour séparer le mari de la femme, épouser la pupille, et envahir les biens d'une maison qui se délabre? Suzanne Enfin, moi! que puis-je à cela? Figaro Ne jamais le perdre de vue; me mettre au cours de ses démarches. Suzanne Mais je te rends tout ce qu'il dit. Figaro Oh! ce qu'il dit... n'est que ce qu'il veut dire! Mais saisir, en parlant, les mots qui lui échappent, le moindre geste, un mouvement; c'est là qu'est le secret de l'âme! Il se trame ici quelque horreur. Il faut qu'il s'en croie assuré; car je lui trouve un air... plus faux, plus perfide et plus fat; cet air des sots de ce pays, triomphant avant le succès. Ne peux-tu être aussi perfide que lui? l'amadouer, le bercer d'espoir? quoi qu'il demande, ne pas le refuser? Suzanne C'est beaucoup! Figaro Tout est bien, et tout marche au but, si j'en suis promptement instruit. Suzanne ... Et si j'en instruis ma maÃtresse? Figaro Il n'est pas temps encore ils sont tous subjugués par lui. On ne te croirait pas tu nous perdrais sans les sauver. Suis-le partout, comme son ombre... et moi, je l'épie au-dehors... Suzanne Mon ami, je t'ai dit qu'il se défie de moi; et s'il nous surprenait ensemble... Le voilà qui descend... Ferme! ayons ait de quereller bien fort. Elle pose le bouquet sur la table. Figaro, élevant la voix. Moi, je ne le veux pas! Que je t'y prenne une autre fois!... Suzanne, élevant la voix. Certes! oui, je te crains beaucoup! Figaro, feignant de lui donner un soufflet. Ah! tu me crains!... Tiens, insolente! Suzanne, feignant de l'avoir reçu. Des coups à moi... chez ma maÃtresse! Scène III Le Major Bégearss, Figaro, Suzanne. Bégearss en uniforme, un crêpe noir au bras. Eh! mais quel bruit! Depuis une heure j'entends disputer de chez moi... Figaro, à part. Depuis une heure! Bégearss Je sors, je trouve une femme éplorée... Suzanne, feignant de pleurer. Le malheureux lève la main sur moi! Bégearss Ah! l'horreur, monsieur Figaro! Un galant homme a-t-il jamais frappé une personne de l'autre sexe? Figaro, brusquement. Eh morbleu! monsieur, laissez-nous! Je ne suis point un galant homme; et cette femme n'est point une personne de l'autre sexe elle est ma femme, une insolente qui se mêle dans des intrigues, et qui croit pouvoir me braver, parce qu'elle a ici des gens qui la soutiennent. Ah! j'entends la morigéner... Bégearss Est-on brutal à cet excès? Figaro Monsieur, si je prends un arbitre de mes procédés envers elle, ce sera moins vous que tout autre; et vous savez trop bien pourquoi! Bégearss Vous me manquez, monsieur; je vais m'en plaindre à votre maÃtre. Figaro, raillant. Vous manquer! moi? c'est impossible. Il sort. Scène IV Bégearss, Suzanne. Bégearss Mon enfant, je n'en reviens point. Quel est donc le sujet de son emportement? Suzanne Il m'est venu chercher querelle; il m'a dit cent horreurs de vous. Il me défendait de vous voir, de jamais oser vous parler. J'ai pris votre parti; la dispute s'est échauffée; elle a fini par un soufflet... Voilà le premier de sa vie; mais moi, je veux me séparer. Vous l'avez vu... Bégearss Laissons cela. - Quelque léger nuage altérait ma confiance en toi; mais ce débat l'a dissipé. Suzanne Sont-ce là vos consolations? Bégearss Va, c'est moi qui t'en vengerai! il est bien temps que je m'acquitte envers toi, ma pauvre Suzanne! Pour commencer, apprends un grand secret... Mais sommes-nous bien sûrs que la porte est fermée? Suzanne y va voir. - Il dit à part Ah! si je puis avoir seulement trois minutes l'écrin au double fond que j'ai fait faire à la Comtesse, où sont ces importantes lettres... Suzanne, revient. Eh bien! ce grand secret? Bégearss Sers ton ami; ton sort devient superbe. - J'épouse Florestine; c'est un point arrêté; son père le veut absolument. Suzanne Qui, son père? Bégearss, en riant. Eh, d'où sors-tu donc? Règle certaine, mon enfant lorsque telle orpheline arrive chez quelqu'un comme pupille ou bien comme filleule, elle est toujours la fille du mari. D'un ton sérieux. Bref, je puis l'épouser... si tu me la rends favorable. Suzanne Oh! mais Léon en est très amoureux. Bégearss Leur fils? Froidement. Je l'en détacherai. Suzanne, étonnée. Ha!... Elle aussi, elle est fort éprise! Bégearss De lui? Suzanne Bégearss, froidement. Je l'en guérirai. Suzanne, plus surprise. Ha! ha!... Madame, qui le sait, donne les mains à leur union. Bégearss, froidement. Nous la ferons changer d'avis. Suzanne, stupéfaite. Aussi?... Mais Figaro, si je vois bien, est le confident du jeune homme. Bégearss C'est le moindre de mes soucis. Ne serais-tu pas aise d'en être délivrée? Suzanne S'il ne lui arrive aucun mal... Bégearss Fi donc! la seule idée flétrit l'austère probité. Mieux instruits sur leurs intérêts, ce sont eux-mêmes qui changeront d'avis. Suzanne, incrédule. Si vous faites cela, monsieur... Bégearss, appuyant. Je le ferai. - Tu sens que l'amour n'est pour rien dans un pareil arrangement. L'air caressant. Je n'ai jamais vraiment aimé que toi. Suzanne, incrédule. Ah? si madame avait voulu... Bégearss Je l'aurais consolée sans doute; mais elle a dédaigné mes voeux!... Suivant le plan que le Comte a formé, la Comtesse va au couvent. Suzanne, vivement. Je ne me prête à rien contre elle. Bégearss Que diable! il la sert dans ses goûts! je t'entends toujours dire Ah! C'est un ange sur la terre! Suzanne, en colère. Eh bien! faut-il la tourmenter? Bégearss, riant. Non; mais du moins la rapprocher de ce ciel, la patrie des anges, dont elle est un moment tombée!... Et puisque, dans ces nouvelles et merveilleuses lois, le divorce s'est établi... Suzanne, vivement. Le Comte veut s'en séparer? Bégearss S'il peut. Suzanne, en colère. Ah! les scélérats d'hommes! quand on les étranglerait tous!... Bégearss, riant. J'aime à croire que tu m'en exceptes? Suzanne Ma foi!... pas trop. Bégearss, riant. J'adore ta franche colère elle met à jour ton bon coeur! Quant à l'amoureux chevalier, il le destine à voyager... longtemps. - Le Figaro, homme expérimenté,. sera son discret conducteur. Il lui prend la main. Et voici ce qui nous concerne. Le Comte, Florestine et moi, habiterons le même hôtel; et la chère Suzanne à nous, chargée de toute la confiance, sera notre surintendant, commandera la domesticité, aura la grande main sur tout. Plus de mari, plus de soufflets, plus de brutal contradicteur; des jours filés d'or et de soie, et la vie la plus fortunée!... Suzanne A vos cajoleries, je vois que vous voulez que je vous serve auprès de Florestine? Bégearss, caressant. A dire vrai, j'ai compté sur tes soins. Tu fus toujours une excellente femme! J'ai tout le reste dans ma main; ce point seul est entre les tiennes. Vivement. Par exemple, aujourd'hui tu peux nous rendre un signalé... Suzanne l'examine. Bégearss se reprend. Je dis un signalé, par l'importance qu'il y met. Froidement. Car, ma foi! c'est bien peu de chose! Le Comte aurait la fantaisie... de donner à sa fille, en signant le contrat, une parure absolument semblable aux diamants de la Comtesse. Il ne voudrait pas qu'on le sût. Suzanne, surprise. Ha! ha! Bégearss Ce n'est pas trop mal vu! De beaux diamants terminent bien des choses! Peut-être il va te demander d'apporter l'écrin de sa femme, pour en confronter les dessins avec ceux de son joaillier. Suzanne Pourquoi comme ceux de madame? C'est une idée assez bizarre! Bégearss Il prétend qu'ils soient aussi beaux... Tu sens, pour moi, combien c'était égal! Tiens, vois-tu? le voici qui vient. Scène V Le Comte, Suzanne, Bégearss. Le Comte Monsieur Bégearss; je vous cherchais. Bégearss Avant d'entrer chez vous, monsieur, je venais prévenir Suzanne que vous avez dessein de lui demander cet écrin... Suzanne Au moins, Monseigneur, vous sentez... Le Comte Eh! laisse là ton Monseigneur! N'ai-je pas ordonné, en passant dans ce pays-ci?... Suzanne Je trouve, Monseigneur, que cela nous amoindrit. Le Comte C'est que tu t'entends mieux en vanité qu'en vraie fierté. Quand on veut vivre dans un pays, il n'en faut point heurter les préjugés. Suzanne Eh bien! monsieur, du moins vous me donnez votre parole... Le Comte, fièrement. Depuis quand suis-je méconnu? Suzanne Je vais donc vous l'aller chercher. A part. Dame! Figaro m'a dit de ne rien refuser!... Scène VI Le Comte, Bégearss. Le Comte J'ai tranché sur le point qui paraissait l'inquiéter. Bégearss Il en est un, monsieur, qui m'inquiète beaucoup plus; je vous trouve un air accablé... Le Comte Te le dirai-je, ami! la perte de mon fils me semblait le plus grand malheur un chagrin plus poignant fait saigner ma blessure, et rend ma vie insupportable. Bégearss Si vous ne m'aviez pas interdit de vous contrarier là -dessus, je vous dirais que votre second fils... Le Comte, vivement. Mon second fils! je n'en ai point! Bégearss Calmez-vous, monsieur;. raisonnons. La perte d'un enfant chéri peut vous rendre injuste envers l'autre, envers votre épouse, envers vous. Est-ce donc sur des conjectures qu'il faut juger de pareils faits? Le Comte Des conjectures? Ah! j'en suis trop certain! Mon grand chagrin est de manquer de preuves. Tant que mon pauvre fils vécut, j'y mettais fort eu d'importance. Héritier de mon nom, de mes places, de ma fortune... que me faisait cet autre individu? Mon froid dédain, un nom de terre, une croix de Malte, une pension m'auraient vengé de sa mère et de lui! Mais conçois-tu mon désespoir, en perdant un fils adoré, de voir un étranger succéder à ce rang, à ces titres; et, pour irriter ma douleur, venir tous les jours me donner le nom odieux de son père? Bégearss Monsieur, je crains de vous aigrir, en cherchant à vous apaiser; mais la vertu de votre épouse... Le Comte, avec colère. Ah! ce n'est qu'un crime de plus. Couvrir d'une vie exemplaire un affront tel que celui-là ! Commander vingt ans, par ses moeurs, et la piété la plus sévère, l'estime et le respect du monde, et verser sur moi seul, par cette conduite affectée, tous les torts qu'entraÃne après soi ma prétendue bizarrerie!... Ma haine pour eux s'en augmente. Bégearss Que vouliez-vous donc qu'elle fÃt, même en la supposant coupable? Est-il au monde quelque faute qu'un repentir de vingt années ne doive effacer à la fin? Fûtes-vous sans reproche vous-même? Et cette jeune Florestine, que vous nommez votre pupille, et qui vous touche de plus près... Le Comte Qu'elle assure donc ma vengeance! Je dénaturerai mes biens, et les lui ferai tous passer. Déjà trois millions d'or, arrivés de la Vera-Cruz, vont lui servir de dot; et c'est à toi que je les donne. Aide-moi seulement à jeter sur ce don un voile impénétrable. En acceptant mon portefeuille et te présentant comme époux, suppose un héritage, un legs de quelque parent éloigné. Bégearss montrant le crêpe de son bras. Voyez que, pour vous obéir, je me suis déjà mis en deuil. Le Comte Quand j'aurai l'agrément du Roi pour l'échange entamé de toutes mes terres d'Espagne contre des biens dans ce pays je trouverai moyen de vous en assurer la possession à tous deux. Bégearss, vivement. Et moi, je n'en veux point. Croyez-vous que, sur des soupçons... peut-être encore très peu fondés, j'irai me rendre le complice de la spoliation entière de l'héritier de votre nom, d'un jeune homme plein de mérite? car il faut avouer qu'il en a... Le Comte, impatienté. Plus que mon fils, voulez-vous dire? Chacun le pense comme vous; cela m'irrite contre lui!... Bégearss Si votre pupille m'accepte, et si, sur vos grands biens, vous prélevez pour la doter ces trois millions d'or du Mexique, je ne supporte point l'idée d'en devenir propriétaire, et ne les recevrai qu'autant que le contrat en contiendra la donation que mon amour sera censé lui faire. Le Comte le serre dans ses bras. Loyal et franc ami! Quel époux je donne à ma fille! Scène VII Suzanne, Le Comte, Bégearss. Suzanne Monsieur, voilà le coffre aux diamants. Ne le gardez pas trop longtemps, que je puisse le remettre en place avant qu'il soit jour chez madame. Le Comte Suzanne, en t'en allant, défends qu'on entre, à moins que je ne sonne. Suzanne, à part. Avertissons Figaro de ceci. Elle sort. Scène VIII Le Comte, Bégearss. Bégearss Quel est votre projet sur l'examen de cet écrin? Le Comte tire de sa poche un bracelet entouré de brillants. Je ne veux plus te déguiser tous les détails de mon affront; écoute. Un certain Léon d'Astorga, qui fut jadis mon page, et que l'on nommait Chérubin... Bégearss Je l'ai connu; nous servions dans le régiment dont je vous dois d'être major. Mais il y a vingt ans qu'il n'est plus. Le Comte C'est ce qui fonde mon soupçon. Il eut l'audace de l'aimer. Je la crus éprise de lui, je l'éloignai d'Andalousie, par un emploi dans ma légion. Un an après la naissance du fils... qu'un combat détesté m'enlève il met la main à ses yeux, lorsque je m'embarquai vice-roi du Mexique, au lieu de rester à Madrid, ou dans mon palais à Séville, ou d'habiter Aguas Frescas, qui est un superbe séjour, quelle retraite, ami, crois-tu que ma femme choisit? Le vilain château d'Astorga, chef-lieu d'une méchante terre que j'avais achetée des parents de ce page. C'est là qu'elle a voulu passer les trois années de mon absence qu'elle y a mis au monde... après neuf ou dix mois, que sais-je? ce misérable enfant, qui porte les traits d'un perfide! jadis, lorsqu'on m'avait peint pour le bracelet de la Comtesse, le peintre, ayant trouvé ce page fort joli, désira d'en faire une étude; c'est un des beaux tableaux de mon cabinet. Bégearss Oui... il baisse les yeux à telles enseignes que votre épouse... Le Comte, vivement. Ne veut jamais le regarder? Eh bien! sur ce portrait j'ai fait faire celui-ci, dans ce bracelet, pareil en tout au sien, fait par le même joaillier qui monta tous ses diamants; je vais le substituer à la place du mien. Si elle en garde le silence, vous sentez que ma preuve est faite. Sous quelque forme qu'elle en parle une explication sévère éclaircit ma honte à l'instant. Bégearss Si vous demandez mon avis, monsieur, je blâme un tel projet. Le Comte Pourquoi? Bégearss L'honneur répugne à de pareils moyens. Si quelque hasard, heureux ou malheureux, vous eût présenté certains faits, je vous excuserais de les approfondir. Mais tendre un piège! des surprises! Eh! quel homme, un peu délicat, voudrait prendre un tel avantage sur son plus mortel ennemi? Le Comte Il est trop tard pour reculer le bracelet est fait, le portrait du page est dedans... Bégearss prend l'écrin. Monsieur, au nom du véritable honneur... Le Comte a enlevé le bracelet de l'écrin. Ah! mon cher portrait, je te tiens! j'aurai du moins la joie d'en orner le bras de ma fille, cent fois plus digne de le porter! Il y substitue l'autre. Bégearss feint de s'y opposer. Ils tirent chacun l'écrin de leur coté; Bégearss fait ouvrir adroitement le double fond, et dit avec colère Ah! voilà la boÃte brisée! Le Comte regarde. Non; ce n'est qu'un secret que le débat a fait ouvrir. Ce double fond renferme des papiers! Bégearss, s'y opposant. Je me flatte, monsieur, que vous n'abuserez point... Le Comte, impatient. "Si quelque heureux hasard vous eût présenté certains faits, me disais-tu dans le moment, je vous excuserais de les approfondir..." Le hasard me les offre, et je vais suivre ton conseil. Il arrache les papiers. Bégearss, avec chaleur. Pour l'espoir de ma vie entière, je ne voudrais pas devenir complice d'un tel attentat! Remettez ces papiers, monsieur, ou souffrez que je me retire. Il s'éloigne. - Le Comte tient des papiers et lit. - Bégearss le regarde en dessous, et s'applaudit secrètement. Le Comte, avec fureur. Je n'en veux pas apprendre davantage; renferme tous les autres; et moi, je garde celui-ci. Bégearss Non; quel qu'il soit, vous avez trop d'honneur pour commettre une... Le Comte, fièrement. Une?... Achevez! tranchez le mot; je puis l'entendre. Bégearss, se courbant. Pardon, monsieur, mon bienfaiteur! et n'imputez qu'à ma douleur l'indécence de mon reproche. Le Comte Loin de t'en savoir mauvais gré, je t'en estime davantage. Il rejette sur un fauteuil. Ah! perfide Rosine! car, malgré mes légèretés, elle est la seule pour qui j'aie éprouvé... J'ai subjugué les autres femmes! Ah! je sens à ma rage combien cette indigne passion... Je me déteste de l'aimer! Bègearss Au nom de Dieu, monsieur, remettez ce fatal papier! Scène IX Figaro, Le Comte, Bégearss. Le Comte se lève. Homme importun, que voulez-vous? Figaro J'entre, parce qu'on a sonné. Le Comte, en colère. J'ai sonné? Valet curieux!... Figaro Interrogez le joaillier, qui l'a entendu comme moi. Le Comte Mon joaillier? que me veut-il? Figaro Il dit qu'il a un rendez-vous pour un bracelet qu'il a fait. Bégearss, s'apercevant qu'il cherche à voir l'écrin qui est sur la table fait ce qu'il peut pour le masquer. Le Comte Ah!... Qu'il revienne un autre jour. Figaro, avec malice. Mais pendant que monsieur a l'écrin de madame ouvert, il serait peut-être à propos... Le Comte, en colère. Monsieur l'inquisiteur, partez; et s'il vous échappe un seul mot... Figaro Un seul mot? J'aurais trop à dire; je ne veux rien faire à demi. Il examine l'écrin, le papier que tient le Comte, lance un fier coup d'oeil à Bégearss, et sort. Scène X Le Comte, Bégearss. Le Comte Refermons ce perfide écrin. J'ai la preuve que je cherchais. Je la tiens, j'en suis désolé pourquoi l'ai-je trouvée? Ah! Dieu! lisez, lisez, monsieur Bégearss. Bégearss, repoussant le papier. Entrer dans de pareils secrets! Dieu préserve qu'on m'en accuse! Le Comte Quelle est donc la sèche amitié qui repousse mes confidences? Je vois qu'on n'est compatissant que pour les maux qu'on éprouva soi-même. Bégearss Quoi! pour refuser ce papier!... Vivement. Serrez-le donc, voici Suzanne. Il referme vite le secret de l'écrin. - Le Comte met la lettre dans sa veste, sur sa poitrine. Scène XI Suzanne, Le Comte, Bégearss. Le Comte est accablé. Suzanne accourt. L'écrin, l'écrin! Madame sonne. Bégearss le lui donne. Suzanne, vous voyez que tout y est en bon état. Suzanne Qu'a donc monsieur? il est troublé! Bégearss Ce n'est rien qu'un peu de colère contre votre indiscret mari qui est entré malgré ses ordres. Suzanne, finement. Je l'avais dit pourtant de manière à être entendue. Elle sort. Scène XII Léon, Le Comte, Bégearss. Le Comte veut sortir, il voit entrer Léon. Voici l'autre! Léon, timidement, veut embrasser le Comte. Mon père, agréez mon respect. Avez-vous bien passé la nuit? Le Comte, sèchement le repousse. Où fûtes-vous, monsieur, hier au soir? Léon Mon père, on me mena dans une assemblée estimable... Le Comte Où vous fÃtes une lecture? Léon On m'invita d'y lire un essai que j'ai fait sur l'abus des voeux monastiques et le droit de s'en relever. Le Comte, amèrement. Les voeux des chevaliers en sont? Bégearss Qui fut, dit-on, très applaudi? Léon Monsieur, on a montré quelque indulgence pour mon âge. Le Comte Donc, au lieu de vous préparer à partir pour vos caravanes, à bien mériter de votre ordre, vous vous faites des ennemis? vous allez composant, écrivant sur le ton du jour!... Bientôt on ne distinguera plus un gentilhomme savant! Léon, timidement. Mon père, on en distinguera mieux un ignorant d'un homme instruit, et l'homme libre de l'esclave. Le Comte Discours d'enthousiaste! On voit où vous en voulez venir. Il veut sortir. Léon Mon père!... Le Comte, dédaigneux. Laissez à l'artisan des villes ces locutions triviales. Les gens de notre état ont un langage plus élevé. Qui est-ce qui dit mon père, à la Cour, monsieur? Appelez-moi monsieur! Vous sentez l'homme du commun! Son père!... Il sort; Léon le suit en regardant Bégearss qui lui fait un geste de compassion. Allons, monsieur Bégearss, allons! Acte deuxième Le théâtre représente la bibliothèque du Comte. Scène I Le Comte. Puisqu'enfin je suis seul, lisons cet étonnant écrit, qu'un hasard presque inconcevable a fait tomber entre mes mains Il tire de son sein la lettre de l'écrin, et la lit en pesant sur tous les mots. "Malheureux insensé! notre sort est rempli. La surprise nocturne que vous avez osé me faire, dans un château où vous fûtes élevé, dont vous connaissiez les détours; la violence 'qui s'en est suivie, enfin votre crime, - le mien... il s'arrête le mien reçoit sa juste punition. Aujourd'hui, jour de saint Léon, patron de ce lieu et le vôtre, je viens de mettre au monde un fils, mon opprobre et mon désespoir. Grâce à de tristes précautions, l'honneur est sauf; mais la vertu n'est plus. - Condamnée désormais à des larmes intarissables, je sens qu'elles n'effaceront point un crime... dont l'effet reste subsistant. Ne me voyez jamais; c'est l'ordre irrévocable de la misérable Rosine... qui n'ose plus signer un autre nom." Il porte ses mains avec la lettre à son front et se promène.... Qui n'ose plus signer un autre nom!... Ah! Rosine! où est le temps?... Mais tu t'es avilie!... Il s'agite. Ce n'est point là l'écrit d'une méchante femme! Un misérable corrupteur... Mais voyons la réponse écrite sur la même lettre. Il lit. "Puisque je ne dois plus vous voir, la vie m'est odieuse et je vais la perdre avec joie dans la vive attaque d'un fort où je ne suis point commandé. "Je vous renvoie tous vos reproches, le portrait que j'ai fait de vous, et la boucle de cheveux que je vous dérobai. L'ami qui vous rendra ceci quand je ne serai plus est sûr. Il a vu tout mon désespoir. Si la mort d'un infortuné vous inspirait un reste de pitié, parmi les noms qu'on va donner à l'héritier... d'un autre plus heureux!... puis-je espérer que le nom de Léon vous rappellera quelquefois le souvenir du malheureux... qui expire en vous adorant, et signe pour la dernière fois, Chérubin-Léon d'Astorga..." Puis, en caractères sanglants!... "Blessé à mort, je rouvre cette lettre, et vous écris avec mon sang ce douloureux, cet éternel adieu. Souvenez-vous..." Le reste est effacé par des larmes... Il s'agite. Ce n'est point là non plus l'écrit d'un méchant homme! Un malheureux égarement... Il s'assied et reste absorbé. Je me sens déchiré! Scène II Bégearss, Le Comte. Bégearss, en entrant, s'arrête, le regarde, et se mord le doigt avec mystère. Le Comte Ah! mon cher ami, venez donc!... Vous me voyez dans un accablement... Bégearss Très effrayant, monsieur, je n'osais avancer. Le Comte Je viens de lire cet écrit. Non, ce n'étaient point là des ingrats ni des monstres, mais de malheureux insensés, comme ils se le disent eux-mêmes... Bégearss Je l'ai présumé comme vous. Le Comte se lève et se promène. Les misérables femmes, en se laissant séduire, ne savent guère les maux qu'elles apprêtent! Elles vont, elles vont... les affronts s'accumulent... et le monde injuste et léger accuse un père qui se tait, qui dévore en secret ses peines! On le taxe de dureté pour les sentiments qu'il refuse au fruit d'un coupable adultère!... Nos désordres, à nous, ne leur enlèvent presque rien; ne peuvent, du moins, leur ravir la certitude d'être mères, ce bien inestimable de la maternité! tandis que leur moindre caprice, un goût, une étourderie légère, détruit dans l'homme le bonheur... le bonheur de toute sa vie, la sécurité d'être père. - Ah! ce n'est point légèrement qu'on a donné tant d'importance à la fidélité des femmes! Le bien, le mal de la société, sont attachés à leur conduite; le paradis ou l'enfer des familles dépend à tout jamais de l'opinion qu'elles ont donnée d'elles. Bégearss Calmez-vous; voici votre fille. Scène III Florestine, Le Comte, Bégearss. Florestine, un bouquet au côté. On vous disait, monsieur, si occupé, que je n'ai pas osé vous fatiguer de mon respect. Le Comte Occupé de toi, mon enfant! ma fille! Ah! je me plais à te donner ce nom; car j'ai pris soin de ton enfance. Le mari de ta mère était fort dérangé; en mourant il ne laissa rien. Elle-même, en quittant la vie, t'a recommandée à mes soins. Je lui engageai ma parole; je la tiendrai, ma fille, en te donnant un noble époux. Je te parle avec liberté devant cet ami qui nous aime. Regarde autour de toi; choisis! Ne trouves-tu personne ici digne de posséder ton coeur? Florestine, lui baisant la main. Vous l'avez tout entier, monsieur; et si je me vois consultée, je répondrai que mon bonheur est de ne point changer d'état. - Monsieur votre fils en se mariant... car, sans doute, il ne restera plus dans l'ordre de Malte aujourd'hui, monsieur votre fils, en se mariant, peut se séparer de son père. Ah! permettez que ce soit moi qui prenne soin de vos vieux jours! C'est un devoir, monsieur, que je remplirai avec joie. Le Comte Laisse, laisse monsieur, réservé pour l'indifférence; on ne sera point étonné qu'une enfant si reconnaissante me donne un nom plus doux! Appelle-moi ton père. Bégearss Elle est digne, en honneur, de votre confidence entière... Mademoiselle, embrassez ce bon, ce tendre protecteur. Vous lui devez plus que vous ne pensez. Sa tutelle n'est qu'un devoir. Il fut l'ami... l'ami secret de votre mère... et, pour tout dire en un seul mot... Scène IV Figaro, La Comtesse, Le Comte, Florestine, Bégearss. La Comtesse est en robe à peigner. Figaro, annonçant. Madame la Comtesse. Bégearss jette un regard furieux sur Figaro. A part. Au diable le faquin La Comtesse, au Comte. Figaro m'avait dit que vous vous trouviez mal; effrayée, j'accours, et je vois... Le Comte ... Que cet homme officieux vous a fait encore un mensonge. Figaro Monsieur, quand vous êtes passé, vous aviez un air si défait... Heureusement il n'en est rien. Bégearss l'examine. La Comtesse Bonjour, monsieur Bégearss... Te voilà , Florestine; je te trouve radieuse... Mais voyez donc comme elle est fraÃche et belle! Si le ciel m'eût donné une fille, je l'aurais voulue comme toi de figure et de caractère... Il faudra bien que tu m'en tiennes lieu. Le veux-tu, Florestine? Florestine, lui baisant la main. Ah! madame! La Comtesse Qui t'a donc fleurie si matin? Florestine, avec joie. Madame, on ne m'a point fleurie; c'est moi qui ai fait des bouquets. N'est-ce pas aujourd'hui saint Léon? La Comtesse Charmante enfant, qui n'oublie rien! Elle la baise au front. - Le Comte fait an geste terrible; Bégearss le retient. La Comtesse, à Figaro. Puisque nous voilà rassemblés, avertissez mon fils que nous prendrons ici le chocolat. Florestine Pendant qu'ils vont le préparer, mon parrain, faites-nous donc voir ce beau buste de Washington, que vous avez, dit-on, chez vous. Le Comte J'ignore qui me l'envoie je ne l'ai demandé à personne; et, sans doute, il est pour Léon. Il est beau; je l'ai là dans mon cabinet venez tous. Bégearss, en sortant le dernier, se retourne deux fois pour examiner Figaro qui le regarde de même. Ils ont l'air de se menacer sans parier. Scène V Figaro, seul, rangeant la table et les tasses pour le déjeuner. Serpent ou basilic! tu peux me mesurer, me lancer des regards affreux! Ce sont les miens qui te tueront!... Mais où reçoit-il ses paquets? Il ne vient rien pour lui de la poste à l'hôtel! Est-il monté seul de l'enfer?... Quelque autre diable correspond!... Et moi, je ne puis découvrir... Scène VI Figaro, Suzanne. Suzanne, accourt, regarde, et dit très vivement à l'oreille de Figaro. C'est lui que la pupille épouse. - Il a la promesse du Comte. Il guérira Léon de son amour. - Il détachera Florestine. - Il fera consentir madame. - Il te chasse de la maison. - Il cloÃtre ma maÃtresse en attendant que l'on divorce. - Fait déshériter le jeune homme, et me rend maÃtresse de tout. Voilà les nouvelles du jour. Elle s'enfuit. Scène VII Figaro, seul. Non, s'il vous plaÃt, monsieur le Major! nous compterons ensemble auparavant. Vous apprendrez de moi qu'il n'y a que les sots qui triomphent. Grâce à l'Ariane Suzon, je tiens le fil du labyrinthe, et le minotaure est cerné... Je t'envelopperai dans tes pièges et te démasquerai si bien!... Mais quel intérêt assez pressant lui fait faire une telle école, desserre les dents d'un tel homme? S'en croirait-il assez sûr pour?... La sottise et la vanité sont compagnes inséparables! Mon politique babille et se confie! il a perdu le coup. Y a faute. Scène VIII Guillaume, Figaro. Guillaume, avec une lettre. Meissieïr Bégearss! Ché vois qu'il est pas pour ici? Figaro, rangeant le déjeuner. Tu peux l'attendre, il va rentrer. Guillaume, reculant. Meingoth! ch'attendrai pas meissieïr en gombagnie té vous! Mon maÃtre il voudrait point, jé chure. Figaro Il te le défend? Eh bien! donne la lettre; je vais la lui remettre en rentrant. Guillaume, reculant. Pas plis à vous té lettres! O tiaple! il voudra pientôt me jasser. Figaro, à part. Il faut pomper le sot. - Haut. Tu... viens de la poste, je crois? Guillaume Tiable! non, ché viens pas. Figaro C'est sans doute quelque missive du gentleman... du parent irlandais dont il vient d'hériter? Tu sais cela, toi, bon Guillaume? Guillaume, riant niaisement. Lettre d'un qu'il est mort, meissieïr! Non, ché vous prie! Celui-là , ché crois pas, partié! Ce sera pien plitôt d'un autre. Peut-être il viendrait d'un qu'ils sont là ... pas contents, dehors. Figaro D'un de nos mécontents, dis-tu? Guillaume Oui, mais ch'assure pas... Figaro, à part. Cela se peut; il est fourré dans tout. A Guillaume. On pourrait voir au timbre, et s'assurer... Guillaume Ch'assure pas; pourquoi? Les lettres il vient chez M. O'Connor; et puis, je sais pas quoi c'est timpré, moi. Figaro, vivement. O'Connor! banquier irlandais? Guillaume Mon foi! Figaro, revient à lui, froidement. Ici près, derrière l'hôtel? Guillaume Ein fort choli maison, partié! tes chens très... beaucoup gracieux, si j'osse dire. Il se retire à l'écart. Figaro, à lui-même. O fortune! ô bonheur! Guillaume, revenant. Parle pas, fous, de s'té banquier, pour personne, entende-fous? ch'aurais pas dû... Tertaïfle! Il frappe du pied. Figaro Va, je n'ai garde; ne crains rien. Guillaume Mon maÃtre, il dit, meissieïr... vous âfre tout l'esprit, et moi pas... Alors c'est chuste... Mais peut-être ché suis mécontent d'avoir dit à fous. Figaro Et pourquoi? Guillaume Ché sais pas. - La valet trahir, voye-fous... L'être un péché qu'il est parpare, vil, et même... puéril. Figaro Il est vrai; mais tu n'as rien dit. Guillaume, désolé. Mon Thié! mon Thié! ché sais pas, là ... quoi tire... ou non... Il se retire en soupirant. Ah! Il regarde niaisement les livres de la bibliothèque. Figaro, à part. Quelle découverte! Hasard! je te salue. Il cherche ses tablettes. Il faut pourtant que je démêle comment un homme si caverneux s'arrange d'un tel imbécile... De même que les brigands redoutent les réverbères... Oui, mais un sot est un falot; la lumière passe à travers. Il dit en écrivant sur ses tablettes O'Connor, banquier irlandais. C'est là qu'il faut que j'établisse mon noir comité de recherches. Ce moyen-là n'est pas trop constitutionnel; ma! Perdio! l'utilité! Et puis, j'ai mes exemples! Il écrit. Quatre ou cinq louis d'or au valet chargé du détail de la poste, pour ouvrir dans un cabaret chaque lettre de l'écriture d'Honoré-Tartuffe Bégearss... Monsieur le tartuffe honoré! vous cesserez enfin de l'être! Un dieu m'a mis sur votre piste. Il serre ses tablettes. Hasard! dieu méconnu! les anciens t'appelaient Destin! nos gens te donnent un autre nom. Scène IX La Comtesse, Le Comte, Florestine, Bégearss, Figaro, Guillaume. Bégearss aperçoit Guillaume, et dit avec humeur, en lui prenant la lettre Ne peux-tu pas me les garder chez moi? Guillaume Ché crois celui-ci, c'est tout comme... Il sort. La Comtesse, au Comte. Monsieur, ce buste est un très beau morceau votre fils l'a-t-il vu? Bégearss, la lettre ouverte. Ah! lettre de Madrid! du secrétaire du ministre! il y a un mot qui vous regarde. Il lit. "Dites au Comte Almaviva que le courrier qui part demain lui porte l'agrément du Roi pour l'échange de toutes ses terres." Figaro écoute, et se fait, sans parler, un signe d'intelligence. La Comtesse Figaro, dis donc à mon fils que nous déjeunons tous ici. Figaro Madame, je vais l'avertir. Il sort. Scène X La Comtesse, Le Comte, Florestine, Bégearss. Le Comte, à Bégearss. J'en veux donner avis sur-le-champ à mon acquéreur. Envoyez-moi du thé dans mon arrière-cabinet. Florestine Bon papa, c'est moi qui vous le porterai. Le Comte, bas à Florestine. Pense beaucoup au peu que je t'ai dit. Il la baise au front et sort. Scène XI Léon, La Comtesse, Florestine, Bégearss. Léon, avec chagrin. Mon père s'en va quand j'arrive! il m'a traité avec une rigueur... La Comtesse, sévèrement. Mon fils, quels discours tenez-vous? Dois-je me voir toujours froissée par l'injustice de chacun? Votre père a besoin d'écrire à la personne qui échange ses terres Florestine, gaiement. Vous regrettez votre papa? nous aussi nous le regrettons. Cependant, comme il sait que c'est aujourd'hui votre fête, il m'a chargée, monsieur, de vous présenter ce bouquet. Elle lui fait une grande révérence. Léon, pendant qu'elle l'ajuste à sa boutonnière. Il n'en pouvait tuer quelqu'un qui me rendÃt ses bontés aussi chères... Il l'embrasse. Florestine, se débattant. Voyez, madame, si jamais on peut badiner avec lui, sans qu'il abuse au même instant... La Comtesse, souriant. Mon enfant, le jour de sa fête, on peut lui passer quelque chose. Florestine, baissant les yeux. Pour l'en punir, madame, faites-lui lire le discours qui fut, dit-on, tant applaudi hier à l'assemblée. Léon Si maman juge que j'ai tort, j'irai chercher ma pénitence. Florestine Ah! madame, ordonnez-le-lui. La Comtesse Apportez-nous, mon fils, votre discours moi je vais prendre quelque ouvrage, pour l'écouter avec plus d'attention. Florestine, gaiement. Obstiné! c'est bien fait; et je l'entendrai malgré vous. Léon, tendrement. Malgré moi, quand vous l'ordonnez? Ah! Florestine, j'en défie! La Comtesse et Léon sortent chacun de leur côté. Scène XII Florestine, Bégearss. Bégearss, bas. Eh bien! mademoiselle, avez-vous deviné l'époux qu'on vous destine? Florestine, avec joie. Mon cher monsieur Bégearss, vous êtes à tel point notre ami, que je me permettrai de penser tout haut avec vous. Sur qui puis-je porter les yeux? Mon parrain m'a bien dit Regarde autour de toi, choisis. Je vois l'excès de sa bonté ce ne peut être que Léon. Mais moi, sans biens, dois-je abuser?... Bégearss, d'un ton terrible. Qui? Leon! son fils? votre frère? Florestine, avec un cri douloureux. Ah! monsieur!... Bégearss Ne vous a-t-il pas dit Appelle-moi ton père? Réveillez-vous, ma chère enfant! écartez un songe trompeur, qui pouvait devenir funeste. Florestine Ah! oui; funeste pour tous deux! Bégearss Vous sentez qu'un pareil secret doit rester caché dans votre âme. Il sort en la regardant. Scène XIII Florestine, seule en pleurant. O ciel! il est mon frère et j'ose avoir pour lui... Quel coup d'une lumière affreuse! et dans un tel sommeil, qu'il est cruel de s'éveiller! Elle tombe accablée sur un siège. Scène XIV Léon, un papier à la main, Florestine. Léon, joyeux, à part. Maman n'est pas rentrée, et monsieur Bégearss est sorti profitons d'un moment heureux. - Florestine, vous êtes ce matin, et toujours, d'une beauté parfaite; mais vous avez un air de joie, un ton aimable de gaieté qui ranime mes espérances. Florestine, au désespoir. Ah! Léon! Elle retombe. Léon Ciel! vos yeux noyés de larmes et votre visage défait m'annoncent quelque grand malheur! Florestine Des malheurs! Ah! Léon, il n'y en a plus que pour moi. Léon Floresta, ne m'aimez-vous plus? lorsque mes sentiments pour vous... Florestine, d'un ton absolu. Vos sentiments? ne m'en parlez jamais. Léon Quoi? l'amour le plus pur... Florestine, au désespoir. Finissez ces cruels discours, ou je vais vous fuir à l'instant. Léon Grand Dieu! qu'est-il donc arrivé? Monsieur Bégearss vous a parlé, mademoiselle. Je veux savoir ce que vous a dit ce Bégearss. Scène XV La Comtesse, Florestine, Léon. Léon, continue. Maman, venez à mon secours! Vous me voyez au désespoir Florestine ne m'aime plus! Florestine, pleurant. Moi, madame, ne plus l'aimer! Mon parrain, vous et lui, c'est le cri de ma vie entière. La Comtesse Mon enfant, je n'en doute pas. Ton coeur excellent m'en répond. Mais de quoi donc s'afflige-t-il? Léon Maman, vous approuvez l'ardent amour que j'ai pour elle? Florestine, se jetant dans les bras de la Comtesse. Ordonnez-lui donc de se taire! En pleurant. Il me fait mourir de douleur! La Comtesse Mon enfant, je ne t'entends point. Ma surprise égale la sienne... Elle frissonne entre mes bras! Qu'a-t-il donc fait qui puisse te déplaire? Florestine, se renversant sur elle. Madame, il ne me déplaÃt point. Je l'aime et le respecte à l'égal de mon frère; mais qu'il n'exige rien de plus. Léon Vous l'entendez, maman! Cruelle fille, expliquez-vous. Florestine Laissez-moi! laissez-moi! ou vous me causerez la mort. Scène XVI La Comtesse, Florestine, Léon, Figaro arrivant avec l'équipage du thé; Suzanne, de l'autre côté, avec un métier de tapisserie. La Comtesse Remporte tout, Suzanne, il n'est pas plus question de déjeuner que de lecture. Vous, Figaro, servez du thé à votre maÃtre; il écrit dans son cabinet. Et toi, ma Florestine, viens dans le mien rassurer ton amie. Mes chers enfants, je vous porte en mon coeur! - Pourquoi l'affligez-vous l'un après l'autre sans pitié? Il y a ici des choses qu'il m'est important d'éclaircir. Elles sortent. Scène XVII Suzanne, Figaro, Léon. Suzanne, à Figaro. Je ne sais pas de quoi il est question; mais je parierais bien que c'est là du Bégearss tout pur. Je veux absolument prémunir ma maÃtresse. Figaro Attends que je sois plus instruit nous nous concerterons ce soir. Oh! j'ai fait une découverte... Suzanne Et tu me la diras? Elle sort. Scène XVIII Figaro, Léon. Léon, désolé. Ah! dieux! Figaro De quoi s'agit-il donc, monsieur? Léon Hélas! je l'ignore moi-même. Jamais je n'avais vu Floresta de si belle humeur, et je savais qu'elle avait eu un entretien avec mon père. Je la laisse un instant avec monsieur Bégearss; je la trouve seule, en rentrant, les yeux remplis de larmes, et m'ordonnant de la fuir pour toujours. Que peut-il donc lui avoir dit? Figaro Si je ne craignais pas votre vivacité, je vous instruirais sur des points qu'il vous importe de savoir. Mais lorsque nous avons besoin d'une grande prudence, il ne faudrait qu'un mot de vous, trop vif, pour me faire perdre le fruit de dix années d'observations. Léon Ah! s'il ne faut qu'être prudent... Que crois-tu donc qu'il lui ait dit? Figaro Qu'elle doit accepter Honoré Bégearss pour époux; que c'est une affaire arrangée entre monsieur votre père et lui. Léon Entre mon père et lui! Le traÃtre aura ma vie. Figaro Avec ces façons-là , monsieur, le traÃtre n'aura pas votre vie; mais il aura votre maÃtresse, et votre fortune avec elle. Léon Eh bien! ami, pardon; apprends-moi ce que je dois faire. Figaro Deviner l'énigme du sphinx, ou bien en être dévoré. En d'autres termes, il faut vous modérer, le laisser dire, et dissimuler avec lui. Léon, avec fureur. Me modérer!... Oui, je me modérerai. Mais j'ai la rage dans le coeur! - M'enlever Florestine! Ah! le voici qui vient je vais m'expliquer... froidement. Figaro Tout est perdu si vous vous échappez. Scène XIX Bégearss, Figaro, Léon. Léon, se contenant mal. Monsieur, monsieur, un mot. Il importe à votre repos que vous répondiez sans détour. - Florestine est au désespoir qu'avez-vous dit à Florestine? Bégearss, d'un ton glacé. Et qui vous dit que je lui aie parlé? Ne peut-elle avoir des chagrins, sans que j'y sois pour quelque chose? Léon, vivement. Point d'évasions, monsieur. Elle était d'une humeur charmante en sortant d'avec vous, on la voit fondre en larmes. De quelque part qu'elle en reçoive, mon coeur partage ses chagrins. Vous m'en direz la cause, ou bien vous m'en ferez raison. Bégearss Avec un ton moins absolu, on peut tout obtenir de moi; je ne sais point céder à des menaces. Léon, furieux. Eh bien! perfide, défends-toi. J'aurai ta vie, ou tu auras la mienne! Il met la main à son épée. Figaro les arrête. Monsieur Bégearss! au fils de votre ami! dans sa maison où vous logez! Bégearss, se contenant. Je sais trop ce que je me dois... Je vais m'expliquer avec lui; mais je n'y veux point de témoins. Sortez, et laissez-nous ensemble. Léon Va, mon cher Figaro tu vois qu'il ne peut m'échapper. Ne lui laissons aucune excuse. Figaro Moi, je cours avertir son père. Il sort. Scène XX Léon, Bégearss. Léon, lui barrant la porte. Il vous convient peut-être mieux de vous battre que de parler. Vous êtes le maÃtre du choix; mais je n'admettrai rien d'étranger à ces deux moyens. Bégearss, froidement. Léon! un homme d'honneur n'égorge pas le fils de son ami... Devais-je m'expliquer devant un malheureux valet, insolent d'être parvenu à presque gouverner son maÃtre? Léon, s'asseyant. Au fait, monsieur, je vous attends... Bégearss Oh! que vous allez regretter une fureur déraisonnable! Léon C'est ce que nous verrons bientôt. Bégearss, affectant une dignité froide. Léon! vous aimez Florestine; il y a longtemps que je le vois... Tant que votre frère a vécu, je n'ai pas cru devoir servir un amour malheureux qui ne vous conduisait à rien. Mais depuis qu'un funeste duel, disposant de sa vie, vous a mis en sa place, j'ai eu l'orgueil de croire mon influence capable de disposer monsieur votre père à vous unir à celle que vous aimez. Je l'attaquais de toutes les manières, une résistance invincible a repoussé tous mes efforts. Désolé de le voir rejeter un projet qui me paraissait fait pour le bonheur de tous... Pardon, mon jeune ami, je vais vous affliger; mais il le faut en ce moment, pour vous sauver d'un malheur éternel. Rappelez bien votre raison, vous allez en avoir besoin. - J'ai forcé votre père à rompre le silence, à me confier son secret. O mon ami! m'a dit enfin le Comte, je connais l'amour de mon fils; mais puis-je lui donner Florestine pour femme? Celle que l'on croit ma pupille... elle est ma fille, elle est sa soeur. Léon, reculant vivement. Florestine?... Ma soeur?... Bégearss Voilà le mot qu'un sévère devoir... Ah! je vous le dois à tous deux mon silence pouvait vous perdre. Eh bien! Léon, voulez-vous vous battre avec moi? Léon Mon généreux ami! Je ne suis qu'un ingrat, un monstre! oubliez ma rage insensée... Bégearss, bien tartuffe. Mais c'est à condition que ce fatal secret ne sortira jamais. Dévoiler la honte d'un père, ce serait un crime... Léon, se jetant dans ses bras. Ah! jamais. Scène XXI Le Comte, Figaro, Léon, Bégearss. Figaro, accourant. Les voilà , les voilà ! Le Comte Dans les bras l'un de l'autre! Eh! vous perdez l'esprit? Figaro, stupéfait. Ma foi, monsieur... on le perdrait à moins. Le Comte, à Figaro. M'expliquerez-vous cette énigme? Léon, tremblant. Ah! c'est à moi, mon père, à l'expliquer. Pardon! je dois mourir de honte! Sur un sujet assez frivole, je m'étais... beaucoup oublié. Son caractère généreux, non seulement me rend à la raison, mais il a la bonté d'excuser ma folie en me la pardonnant. Je lui en rendais grâce lorsque vous nous avez surpris. Le Comte Ce n'est pas la centième fois que vous lui devez de la reconnaissance. Au fait, nous lui en devons tous. Figaro sans parler se donne un coup de poing au front, Bégearss l'examine et sourit. Le Comte, à son fils. Retirez-vous, monsieur. Votre aveu seul enchaÃne ma colère. Bégearss Ah! monsieur, tout est oublié. Le Comte, à Léon. Allez vous repentir d'avoir manqué à mon ami, au vôtre, à l'homme le plus vertueux... Léon, s'en allant. Je suis au désespoir! Figaro, à part, avec colère. C'est une légion de diables enfermés dans un seul pourpoint. Scène XXII Le Comte, Bégearss, Figaro. Le Comte, à Bégearss, à part. Mon ami, finissons ce que nous avons commencé. A Figaro. Vous, monsieur l'étourdi, avec vos belles conjectures, donnez-moi les trois millions d'or que vous m'avez vous-même apportés de Cadix, en soixante effets au porteur. Je vous avais chargé de les numéroter. Figaro Je l'ai fait. Le Comte Remettez-m'en le portefeuille. Figaro De quoi? de ces trois millions d'or? Le Comte Sans doute. Eh bien! qui vous arrête? Figaro, humblement. Moi, monsieur?... Je ne les ai plus. Bégearss Comment, vous ne les avez plus? Figaro, fièrement. Non, monsieur. Bégearss, vivement. Qu'en avez-vous fait? Figaro Lorsque mon maÃtre m'interroge, je lui dois compte de mes actions mais à vous, je ne vous dois rien. Le Comte, en colère. Insolent! qu'en avez-vous fait? Figaro, froidement. Je les ai portés en dépôt chez monsieur Fal, votre notaire. Bégearss Mais de l'avis de qui? Figaro, fièrement. Du mien; et j'avoue que j'en suis toujours. Bégearss Je vais gager qu'il n'en est rien. Figaro Comme j'ai sa reconnaissance, vous courez risque de perdre la gageure. Bégearss Ou s'il les a reçus, c'est pour agioter. Ces gens-là partagent ensemble. Figaro Vous pourriez un peu mieux parler d'un homme qui vous a obligé. Bégearss Je ne lui dois rien. Figaro Je le crois; quand on a hérité de quarante mille doublons de huit... Le Comte, se fâchant. Avez-vous donc quelque remarque à nous faire aussi là -dessus? Figaro Qui? moi, monsieur? J'en doute d'autant moins, que j'ai beaucoup connu le parent dont monsieur hérite. Un jeune homme assez libertin, joueur, prodigue et querelleur, sans frein, sans moeurs, sans caractère, et n'ayant rien à lui, pas même les vices qui l'ont tué; qu'un combat des plus malheureux... Le Comte frappe du pied. Bégearss, en colère. Enfin, nous direz-vous pourquoi vous avez déposé cet or? Figaro Ma foi, monsieur, c'est pour n'en être plus chargé. Ne pouvait-on pas le voler? Que sait-on? Il s'introduit souvent de grands fripons dans les maisons... Bégearss, en colère. Pourtant monsieur veut qu'on le rende. Figaro Monsieur peut l'envoyer chercher. Bégearss Mais ce notaire s'en dessaisira-t-il, s'il ne voit son récépissé? Figaro Je vais le remettre à monsieur; et quand j'aurai fait mon devoir, s'il en arrive quelque mal, il ne pourra s'en prendre à moi. Le Comte Je l'attends dans mon cabinet. Figaro, au Comte. Je vous préviens que monsieur Fal ne les rendra que sur votre reçu; je le lui ai recommandé. Il sort. Scène XXIII Le Comte, Bégearss. Bégearss, en colère. Comblez cette canaille, et voyez ce qu'elle devient! En vérité, monsieur, mon amitié me force à vous le dire vous devenez trop confiant; il a deviné nos secrets. De valet, barbier, chirurgien, vous l'avez établi trésorier, secrétaire; une espèce de factotum. Il est notoire que ce monsieur fait bien ses affaires avec vous. Le Comte Sur la fidélité, je n'ai rien à lui reprocher, mais il est vrai qu'il est d'une arrogance... Bégearss Vous avez un moyen de vous en délivrer en le récompensant. Le Comte Je le voudrais souvent. Bégearss, confidentiellement. En envoyant le chevalier à Malte, sans doute vous voulez qu'un homme affidé le surveille? Celui-ci, trop flatté d'un aussi honorable emploi, ne peut manquer de l'accepter vous en voilà défait pour bien du temps. Le Comte Vous avez raison, mon ami. Aussi bien m'a-t-on dit qu'il vit très mal avec sa femme. Il sort. Scène XXIV Bégearss, seul. Encore un pas de fait!... Ah! noble espion, la fleur des drôles, qui faites ici le bon valet et voulez nous souffler la dot, en nous donnant des noms de comédie! Grâce aux soins d'Honoré Tartuffe, vous irez partager le malaise des caravanes, et finirez vos inspections sur nous. Acte troisième Le théâtre représente le cabinet de la Comtesse, orné de fleurs de toutes parts. Scène I La Comtesse, Suzanne. La Comtesse Je n'ai pu rien tirer de cette enfant. - Ce sont des pleurs, des étouffements!... Elle se croit des torts envers moi, m'a demandé cent fois pardon; elle veut aller au couvent. Si je rapproche tout ceci de sa conduite envers mon fils, je présume qu'elle se reproche d'avoir écouté son amour, entretenu ses espérances, ne se croyant pas un parti assez considérable pour lui. - Charmante délicatesse! excès d'une aimable vertu! Monsieur Bégearss apparemment lui en a touché quelques mots qui l'auront amenée à s'affliger sur elle! car c'est un homme si scrupuleux et si délicat sur l'honneur, qu'il s'exagère quelquefois, et se fait des fantômes où les autres ne voient rien. Suzanne J'ignore d'où provient le mal; mais il se passe ici des choses bien étranges! Quelque démon y souffle un feu secret. Notre maÃtre est sombre à périr; il nous éloigne tous de lui. Vous êtes sans cesse à pleurer. Mademoiselle est suffoquée; monsieur votre fils, désolé!... Monsieur Bégearss lui seul, imperturbable comme un dieu, semble n'être affecté de rien, voit tous vos chagrins d'un oeil sec... La Comtesse Mon enfant, son coeur les partage. Hélas! sans ce consolateur, qui verse un baume sur nos plaies, dont la sagesse nous soutient, adoucit toutes les aigreurs, calme mon irascible époux, nous serions bien plus malheureux! Suzanne Je souhaite, madame, que vous ne vous abusiez pas. La Comtesse Je t'ai vue autrefois lui rendre plus de justice! Suzanne baisse les yeux. Au reste, il peut seul me tirer du trouble où cette enfant m'a mise. Fais-le prier de descendre chez moi. Suzanne Le voici qui vient à propos; vous vous ferez coiffer plus tard. Elle sort. Scène II La Comtesse, Bégearss. La Comtesse, douloureusement. Ah! mon pauvre Major! que se passe-t-il donc ici? Touchons-nous enfin à la crise que j'ai si longtemps redoutée, que j'ai vue de loin se former? L'éloignement du Comte pour mon malheureux fils semble augmenter de jour en jour. Quelque lumière fatale aura pénétré jusqu'à lui. Bégearss Madame, je ne le crois pas. La Comtesse Depuis que le ciel m'a punie par la mort de mon fils aÃné, je vois le Comte absolument changé au lieu de travailler avec l'ambassadeur à Rome pour rompre les voeux de Léon, je le vois s'obstiner à l'envoyer à Malte. Je sais de plus, monsieur Bégearss, qu'il dénature sa fortune, et veut abandonner l'Espagne pour s'établir dans ce pays. - L'autre jour à dÃner, devant trente personnes, il raisonna sur le divorce d'une façon à me faire frémir. Bégearss J'y étais, je m'en souviens trop. La Comtesse, en larmes. Pardon, mon digne ami; je ne puis pleurer qu'avec vous! Bégearss Déposez vos douleurs dans le sein d'un homme sensible. La Comtesse Enfin, est-ce lui, est-ce vous qui avez déchiré le coeur de Florestine? Je la destinais à mon fils. - Née sans biens, il est vrai, mais noble, belle et vertueuse; élevée au milieu de nous mon fils, devenu héritier, n'en a-t-il pas assez pour deux? Bégearss Que trop, peut-être; et c'est d'où vient le mal! La Comtesse Mais, comme si le ciel n'eût attendu aussi longtemps que pour me mieux punir d'une imprudence tant pleurée, tout semble s'unir à la fois pour renverser mes espérances. Mon époux déteste mon fils... Florestine renonce à lui. Aigrie par je ne sais quel motif, elle veut le fuir pour toujours. Il en mourra, le malheureux! voilà ce qui est bien certain. Elle joint les mains. Ciel vengeur! après vingt années de larmes et de repentir, me réservez-vous à l'horreur de voir ma faute découverte? Ah! que je sois seule misérable! mon Dieu, je ne m'en plaindrai pas; mais que mon fils ne porte point la peine d'un crime qu'il n'a pas commis! Connaissez-vous, monsieur Bégearss, quelque remède à tant de maux? Bégearss Oui, femme respectable! et je venais exprès dissiper vos terreurs. Quand on craint une chose, tous nos regards se portent vers cet objet trop alarmant quoi qu'on dise ou qu'on fasse, la frayeur empoisonne tout! Enfin, je tiens la clef de ces énigmes. Vous pouvez encore être heureuse. La Comtesse L'est-on avec une âme déchirée de remords? Bégearss Votre époux ne fuit point Léon; il ne soupçonne rien sur le secret de sa naissance. La Comtesse, vivement. Monsieur Bégearss! Bégearss Et tous ces mouvements que vous prenez pour de la haine ne sont que l'effet d'un scrupule. Oh! que je vais vous soulager! La Comtesse, ardemment. Mon cher monsieur Bégearss! Bégearss Mais enterrez dans ce coeur allégé le grand mot que je vais vous dire. Votre secret à vous, c'est la naissance de Léon le sien est celle de Florestine; plus bas il est son tuteur... et son père. La Comtesse, joignant les mains. Dieu tout-puissant, qui me prends en pitié! Bégearss Jugez de sa frayeur en voyant ces enfants amoureux l'un de l'autre! Ne pouvant dire son secret, ni supporter qu'un tel attachement devÃnt le fruit de son silence, il est resté sombre, bizarre; et s'il veut éloigner son fils, c'est pour éteindre, s'il se peut, par cette absence et par ces voeux, un malheureux amour qu'il croit ne pouvoir tolérer. La Comtesse, priant avec ardeur. Source éternelle des bienfaits! ô mon Dieu! tu permets qu'en partie je répare la faute involontaire qu'un insensé me fit commettre; que j'aie de mon côté quelque chose à remettre à cet époux que j'offensai! O Comte Almaviva! mon coeur flétri, fermé par vingt années de peines, va se rouvrir enfin pour toi! Florestine est ta fille; elle me devient chère comme si mon sein l'eût portée. Faisons, sans nous parler, l'échange de notre indulgence! Oh! monsieur Bégearss, achevez! Bégearss Mon amie, je n'arrête point ces premiers élans d'un bon coeur; les émotions de la joie ne sont point dangereuses comme celles de la tristesse; mais au nom de votre repos, écoutez-moi jusqu'à la fin. La Comtesse Parlez, mon généreux ami vous à qui je dois tout, parlez. Bégearss Votre époux, cherchant un moyen de garantir sa Florestine de cet amour qu'il croit incestueux, m'a proposé de l'épouser; mais indépendamment du sentiment profond et malheureux que mon respect pour vos douleurs... La Comtesse, douloureusement. Ah! mon ami, par compassion pour moi... Bégearss N'en parlons plus. Quelques mots d'établissement, tournés d'une forme équivoque, ont fait penser à Florestine qu'il était question de Léon. Son jeune coeur s'en épanouissait, quand un valet vous annonça. Sans m'expliquer depuis sur les vues de son père, un mot de moi, la ramenant aux sévères idées de la fraternité, a produit cet orage, et la religieuse horreur dont votre fils ni vous ne pénétriez le motif. La Comtesse Il en était bien loin, le pauvre enfant! Bégearss Maintenant qu'il vous est connu, devons-nous suivre ce projet d'une union qui répare tout?... La Comtesse, vivement. Il faut s'y tenir, mon ami; mon coeur et mon esprit sont d'accord sur ce point, et c'est à moi de la déterminer. Par là , nos secrets sont couverts; nul étranger ne les pénétrera. Après vingt années de souffrances, nous passerons des jours heureux, et c'est à vous, mon digne ami, que ma famille les devra. Bégearss, élevant le ton. Pour que rien ne les trouble plus, il faut encore un sacrifice, et mon amie est digne de le faire. La Comtesse Hélas! je veux les faire tous. Bégearss, l'air imposant. Ces lettres, ces papiers d'un infortuné qui n'est plus, il faudra les réduire en cendres. La Comtesse, avec douleur. Ah! Dieu! Bégearss Quand cet ami mourant me chargea de vous les remettre, son dernier ordre fut qu'il fallait sauver votre honneur, en ne laissant aucune trace de ce qui pourrait l'altérer. La Comtesse Dieu! Dieu! Bégearss Vingt ans se sont passés sans que j'aie pu obtenir que ce triste aliment de votre éternelle douleur s'éloignât de vos yeux. Mais indépendamment du mal que tout cela vous fait, voyez quel danger vous courez! La Comtesse Eh! que peut-on avoir à craindre! Begearss, regardant si on peut l'entendre. Parlant bas. Je ne soupçonne point Suzanne; mais une femme de chambre, instruite que vous conservez ces papiers, ne pourrait-elle pas un jour s'en faire un moyen de fortune? Un seul remis à votre époux, que peut-être il payerait bien cher, vous plongerait dans des malheurs... La Comtesse Non, Suzanne a le coeur trop bon... Bégearss, d'un ton plus élevé, très ferme. Ma respectable amie, vous avez payé votre dette à la tendresse, à la douleur, à vos devoirs de tous les genres; et si vous êtes satisfaite de la conduite d'un ami, j'en veux avoir la récompense. Il faut brûler tous ces papiers, éteindre tous ces souvenirs d'une faute autant expiée! Mais pour ne jamais revenir sur un sujet si douloureux, j'exige que le sacrifice en soit fait dans ce même instant. La Comtesse, tremblante. Je crois entendre Dieu qui parle! Il m'ordonne de l'oublier, de déchirer le crêpe obscur dont sa mort a couvert ma vie. Oui, mon Dieu! je vais obéir à cet ami que vous m'avez donné. Elle sonne. Ce qu'il exige en votre nom, mon repentir le conseillait mais ma faiblesse a combattu. Scène III Suzanne, La Comtesse, Bégearss. La Comtesse Suzanne, apporte-moi le coffret de mes diamants. - Non, je vais le prendre moi-même; il te faudrait chercher la clef... Scène IV Suzanne, Bégearss. Suzanne, un peu troublée. Monsieur Bégearss, de quoi s'agit-il donc? Toutes les têtes sont renversées! Cette maison ressemble à l'hôpital des fous! Madame pleure; mademoiselle étouffe; le chevalier Léon parle de se noyer; monsieur est enfermé, et ne veut voir personne. Pourquoi ce coffre aux diamants inspire-t-il en ce moment tant d'intérêt à tout le monde? Bégearss, mettant son doigt sur sa bouche, en signe de mystère. Chut! ne montre ici nulle curiosité! Tu le sauras dans peu... Tout va bien; tout est bien... Cette journée vaut... Chut... Scène V La Comtesse, Bégearss, Suzanne. La Comtesse, tenant le coffret aux diamants. Suzanne, apporte-nous du feu dans le brasero du boudoir. Suzanne Si c'est pour brûler des papiers, la lampe de nuit allumée est encore là dans l'athénienne. Elle l'avance. La Comtesse Veille à la porte, et que personne n'entre. Suzanne, en sortant, à part. Courons, avant, avertir Figaro. Scène VI La Comtesse, Bégearss. Bégearss Combien j'ai souhaité pour vous le moment auquel nous touchons! La Comtesse, étouffée. O mon ami! quel jour nous choisissons pour consommer ce sacrifice! celui de la naissance de mon malheureux fils! A cette époque, tous les ans, leur consacrant cette journée, je demandais pardon au ciel, et je m'abreuvais de mes larmes en relisant ces tristes lettres. Je me rendais au moins le témoignage qu'il y eut entre nous plus d'erreur que de crime. Ah! faut-il donc brûler tout ce qui me reste de lui? Bégearss Quoi! madame, détruisez-vous ce fils qui vous le représente? Ne lui devez-vous pas un sacrifice qui le préserve de mille affreux dangers? Vous vous le devez à vous-même, et la sécurité de votre vie entière est attachée peut-être à cet acte imposant! Il ouvre le secret de l'écrin et en tire les lettres. La Comtesse, surprise. Monsieur Bégearss, vous l'ouvrez mieux que moi!... Que je les lise encore! Bégearss, sévèrement. Non, je ne le permettrai pas. La Comtesse Seulement la dernière, où, traçant ses tristes adieux du sang qu'il répandit pour moi, il m'a donné la leçon du courage dont j'ai tant besoin aujourd'hui. Bégearss, s'y opposant. Si vous lisez un mot, nous ne brûlerons rien. Offrez au ciel un sacrifice entier, courageux, volontaire, exempt des faiblesses humaines! ou, si vous n'osez l'accomplir, c'est à moi d'être fort pour vous. Les voilà toutes dans le feu. Il y jette le paquet. La Comtesse, vivement. Monsieur Bégearss! cruel ami! c'est ma vie que vous consumez! Qu'il m'en reste au moins un lambeau. Elle veut se précipiter sur les lettres enflammées. - Bégearss la retient à bras-le-corps. Bégearss J'en jetterai la cendre au vent. Scène VII Suzanne, Le Comte, Figaro, La Comtesse, Bégearss. Suzanne accourt. C'est monsieur, il me suit; mais amené par Figaro. Le Comte, les surprenant en cette posture. Qu'est-ce donc que je vois, madame! D'où vient ce désordre? quel est ce feu, ce coffre, ces papiers? Pourquoi ce débat et ces pleurs? Bégearss et la Comtesse restent confondus. Vous ne répondez point? Bégearss se remet, et dit d'un ton pénible. J'espère, monsieur, que vous n'exigez pas qu'on s'explique devant vos gens. J'ignore quel dessein vous fait surprendre ainsi madame! Quant à moi, je suis résolu de soutenir mon caractère en rendant un hommage pur à la vérité, quelle qu'elle soit. Le Comte, à Figaro et à Suzanne. Sortez tous deux. Figaro Mais, monsieur, rendez-moi du moins la justice de déclarer que je vous ai remis le récépissé du notaire sur le grand objet de tantôt. Le Comte Je le fais volontiers, puisque c'est réparer un tort. A Bégearss. Soyez certain, monsieur, que voilà le récépissé. Il le remet dans sa poche. - Figaro et Suzanne sortent chacun de leur côté. Figaro, bas à Suzanne, en s'en allant. S'il échappe à l'explication!... Suzanne, bas. Il est bien subtil! Figaro, bas. Je l'ai tué! Scène VIII La Comtesse, Le Comte, Bégearss. Le Comte, d'un ton sérieux. Madame, nous sommes seuls. Bégearss, encore ému. C'est moi qui parlerai. Je subirai cet interrogatoire. M'avez-vous vu, monsieur, trahir la vérité dans quelque occasion que ce fût? Le Comte, sèchement. Monsieur... je ne dis pas cela. Bégearss, tout à fait remis. Quoique je sois loin d'approuver cette inquisition peu décente, l'honneur m'oblige à répéter ce que je disais à madame, en répondant à sa consultation "Tout dépositaire de secrets ne doit jamais conserver de papiers s'ils peuvent compromettre un ami qui n'est plus, et qui les mit sous notre garde. Quelque chagrin qu'on ait à s'en défaire, et quelque intérêt même qu'on eût à les garder, le saint respect des morts doit avoir le pas devant tout." Il montre Le Comte. Un accident inopiné ne peut-il pas en rendre un adversaire possesseur? Le Comte le tire par la manche pour qu'il ne pousse pas l'explication plus loin. Auriez-vous dit, monsieur, autre chose en ma position? Qui cherche des conseils timides ou le soutien d'une faiblesse honteuse, ne doit point s'adresser à moi! vous en avez des preuves l'un et l'autre, et vous surtout, monsieur Le Comte! Le Comte lui fait un signe. Voilà sur la demande que m'a faite madame, et sans chercher à pénétrer ce que contenaient ces papiers, ce qui m'a fait lui donner un conseil pour la sévère exécution duquel je l'ai vue manquer de courage; je n'ai pas hésité d'y substituer le mien, en combattant ses délais imprudents. Voilà quels étaient nos débats; mais, quelque chose qu'on en pense, je ne regretterai point ce que j'ai dit, ce que j'ai fait. Il lève les bras. Sainte amitié! tu n'es rien qu'un vain titre, si l'on ne remplit pas tes austères devoirs. - Permettez que je me retire. Le Comte, exalté. O le meilleur des hommes! Non, vous ne nous quitterez ras. - Madame, il va nous appartenir de plus près; je lui donne ma Florestine. La Comtesse, avec vivacité. Monsieur, vous ne pouviez pas faire un plus digne emploi du pouvoir que la loi vous donne sur elle. Ce choix a mon assentiment si vous le jugez nécessaire et le plus tôt vaudra le mieux. Le Comte, hésitant. Eh bien!... ce soir... sans bruit... votre aumônier... La Comtesse, avec ardeur. Eh bien! moi qui lui sers de mère, je vais la préparer à l'auguste cérémonie mais laisserez-vous votre ami seul généreux envers ce digne enfant? J'ai du plaisir à penser le contraire. Le Comte, embarrassé. Ah! madame... croyez... La Comtesse, avec joie. Oui, monsieur, je le crois. C'est aujourd'hui la fête de mon fils; ces deux événements réunis me rendent cette journée bien chère. Elle sort. Scène IX Le Comte, Bégearss Le Comte, la regardant aller. Je ne reviens pas de mon étonnement. Je m'attendais à des débats, à des objections sans nombre; et je la trouve juste, bonne, généreuse envers mon enfant! Moi qui lui sers de mère, dit-elle... Non, ce n'est point une méchante femme! elle a dans ses actions une dignité qui m'impose... un ton qui brise les reproches, quand on voudrait l'en accabler. Mais, mon ami, je m'en dois à moi-même, pour la surprise que j'ai montrée en voyant brûler ces papiers. Bégearss Quant à moi, je n'en ai point eu, voyant avec qui vous veniez. Ce reptile vous a sifflé que j'étais là pour trahir vos secrets? De si basses imputations n'atteignent point un homme de ma hauteur je les vois ramper loin de moi. Mais, après tout, monsieur, que vous importaient ces papiers? n'aviez-vous pas pris malgré moi tous ceux que vous vouliez garder? Ah! plût au ciel qu'elle m'eût consulté plus tôt! vous n'auriez pas contre elle des preuves sans réplique! Le Comte, avec douleur. Oui, sans réplique! Avec ardeur. Otons-les de mon sein elles me brûlent la poitrine. Il tire la lettre de son sein, et la met dans sa poche. Bégearss continue avec douceur. Je combattrais avec plus d'avantage en faveur du fils de la loi; car enfin il n'est pas comptable du triste sort qui l'a mis dans vos bras. Le Comte, reprend sa fureur. Lui dans mes bras? jamais! Bégearss Il n'est point coupable non plus dans son amour pour Florestine; et cependant, tant qu'il reste près d'elle, puis-je m'unir à cette enfant, qui, peut-être éprise elle-même, ne cédera qu'à son respect pour vous? La délicatesse blessée... Le Comte Mon ami, je t'entends! et ta réflexion me décide à le faire partir sur-le-champ. Oui, je serai moins malheureux quand ce fatal objet ne blessera plus mes regards. Mais comment entamer ce sujet avec elle? Voudra-t-elle s'en séparer? Il faudra donc faire un éclat? Bégearss Un éclat!... non... mais le divorce, accrédité chez cette nation hasardeuse, vous permettra d'user de ce moyen. Le Comte Moi, publier ma honte! Quelques lâches l'ont fait! c'est le dernier degré de l'avilissement du siècle. Que l'opprobre soit le partage de qui donne un pareil scandale, et des fripons qui le provoquent! Bégearss J'ai fait envers elle, envers vous, ce que l'honneur me prescrivait. Je ne suis point pour les moyens violents, surtout quand il s'agit d'un fils... Le Comte Dites d'un étranger, dont je vais hâter le départ. Bégearss N'oubliez pas cet insolent valet. Le Comte J'en suis trop las pour le garder. Toi, cours, ami, chez mon notaire; retire, avec mon reçu que voila, mes trois millions d'or déposés. Alors tu peux à juste titre être généreux au contrat, qu'il nous faut brusquer aujourd'hui... car te voilà bien possesseur... Il lui remet le reçu, le prend sous le bras, et ils sortent. Et ce soir à minuit, sans bruit, dans la chapelle de madame... On n'entend pas le reste. Acte quatrième Le théâtre représente le même cabinet de la Comtesse. Scène I Figaro, seul, agité, regardant de côté et d'autre. Elle me dit "Viens à six heures au cabinet c'est le plus sûr pour nous parler..." Je brusque tout dehors, et Je rentre en sueur! Où est-elle? Il se promène en s'essuyant. Ah! parbleu, je ne suis pas fout je les ai vus sortir d'ici, monsieur le tenant sous le bras!... Eh bien! pour un échec, abandonnons-nous la partie? Un orateur fuit-il lâchement la tribune pour un argument tué sous lui? Mais quel détestable endormeur! Vivement. Parvenir à brûler les lettres de madame, pour qu'elle ne voie pas qu'il en manque; et se tirer d'un éclaircissement!... C'est l'enfer concentré tel que Milton nous l'a dépeint! D'un ton badin. J'avais raison tantôt, dans ma colère Honoré Bégearss est le diable que les Hébreux nommaient Légion; et, si l'on y regardait bien, on verrait le lutin avoir le pied fourchu, seule partie, disait ma mère, que les démons ne peuvent déguiser. Il rit. Ah! ah! ah! ma gaieté me revient; d'abord, parce que j'ai mis l'or du Mexique en sûreté chez Fal; ce qui nous donnera du temps. Il frappe d'un billet sur sa main; et puis... Docteur en toute hypocrisie! Vrai major d'infernal Tartuffe! grâce au hasard qui régit tout, à ma tactique, à quelques louis semés, voici qui me promet une lettre de toi, où, dit-on, tu poses le masque, à ne rien laisser désirer! Il ouvre le billet et dit Le coquin qui l'a lue en veut cinquante louis?... eh bien! il les aura, si la lettre les vaut; une année de mes gages sera bien employée, si je parviens à détromper un maÃtre à qui nous devons tant... Mais où es-tu, Suzanne, pour en rire? O che piacere!... A demain donc! car je ne vois pas que rien périclite ce soir... Et pourquoi perdre un temps? Je m'en suis toujours repenti... Très vivement. Point de délai, courons attacher le pétard, dormons dessus la nuit porte conseil, et demain matin nous verrons qui des deux fera sauter l'autre. Scène II Bégearss, Figaro. Bégearss, raillant. Eeeh! c'est mons Figaro! La place est agréable, puisqu'on y retrouve monsieur. Figaro, du même ton. Ne fût-ce que pour avoir la joie de l'en chasser une autre fois. Bégearss De la rancune pour si peu! Vous êtes bien bon d'y songer! chacun n'a-t-il pas sa manie? Figaro Et celle de monsieur est de ne plaider qu'à huis clos? Bégearss, lui frappant sur l'épaule. Il n'est pas essentiel qu'un sage entende tout, quand il sait si bien deviner. Figaro Chacun se sert des petits talents que le ciel lui a départis. Bégearss Et l'intrigant compte-t-il gagner beaucoup avec ceux qu'il nous montre ici? Figaro Ne mettant rien à la partie, j'ai tout gagné... si je fais perdre l'autre. Bégearss, piqué. On verra le jeu de monsieur. Figaro Ce n'est pas de ces coups brillants qui éblouissent la galerie. Il prend un air niais. Mais chacun pour soi, Dieu pour tous, comme a dit le roi Salomon, Bégearss, souriant. Belle sentence! N'a-t-il pas dit aussi le soleil luit pour tout le monde? Figaro, fièrement. Oui, en dardant sur le serpent prêt à mordre la main de son imprudent bienfaiteur! Il sort. Scène III Bégearss, seul, le regardant aller. Il ne farde plus ses desseins! Notre homme est fier? Bon signe, il ne sait rien des miens; il aurait la mine bien longue s'il était instruit qu'à minuit... Il cherche dans ses poches vivement. Eh bien! qu'ai-je fait du papier? Le voici. Il lit. "Reçu de monsieur Fal, notaire, les trois millions d'or spécifiés dans le bordereau ci-dessus. A Paris, le... Almaviva." - C'est bon; je tiens la pupille et l'argent! Mais ce n'est point assez cet homme est faible, il ne finira rien pour le reste de sa fortune. La Comtesse lui en impose; il la craint, l'aime encore... Elle n'ira point au couvent, si je ne les mets aux prises, et ne le force à s'expliquer... brutalement. Il se promène. - Diable! ne risquons pas ce soir un dénouement aussi scabreux! En précipitant trop les choses, on se précipite avec elles! Il sera temps demain, quand j'aurai bien serré le doux lien sacramentel qui va les enchaÃner à moi! Il appuie ses deux mains sur sa poitrine. Eh bien, maudite joie, qui me gonfles le coeur! ne peux-tu donc te contenir?... Elle m'étouffera, la fougueuse, ou me livrera comme un sot, si je ne la laisse un peu s'évaporer pendant que je suis seul ici. Sainte et douce crédulité! l'époux te doit la magnifique dot! Pâle déesse de la nuit, il te devra bientôt sa froide épouse. Il frotte ses mains de joie. Bégearss! heureux Bégearss!... Pourquoi l'appelez-vous Bégearss? n'est-il donc pas plus d'à moitié le seigneur Comte Almaviva? D'un ton terrible. Encore un pas, Bégearss! et tu l'es tout à fait. - Mais il te faut auparavant... Ce Figaro pèse sur ma poitrine! car c'est lui qui l'a fait venir!... Le moindre trouble me perdrait... Ce valet-là me portera malheur... C'est le plus clairvoyant coquin!... Allons, allons, qu'il parte avec son chevalier errant! Scène IV Bégearss, Suzanne. Suzanne, accourant, fait un cri d'étonnement de voir un autre que Figaro. Ah! A part. Ce n'est pas lui! Bégearss Quelle surprise? Et qu'attendais-tu donc? Suzanne, se remettant. Personne. On se croit seule ici... Bégearss Puisque je t'y rencontre, un mot avant le comité. Suzanne Que parlez-vous de comité? Réellement, depuis deux ans, on n'entend plus du tout la langue de ce pays. Bégearss, riant sardoniquement. Hé! hé! Il pétrit dans sa boÃte une prise de tabac, d'un air content de lui. Ce comité, ma chère, est une conférence entre la Comtesse, son fils, notre jeune pupille et moi, sur le grand objet que tu sais. Suzanne Après la scène que j'ai vue, osez-vous encore l'espérer? Bégearss, bien fat. Oser l'espérer!... Non. Mais seulement... je l'épouse ce soir. Suzanne, virement. Malgré son amour pour Léon? Bégearss Bonne femme, qui me disais Si vous faites cela, monsieur... Suzanne Eh! qui eût pu l'imaginer? Bégearss, prenant son tabac en plusieurs fois. Enfin que dit-on? parle-t-on? Toi qui vis dans l'intérieur, qui as l'honneur des confidences, y pense-t-on du bien de moi? car c'est là le point important. Suzanne L'important serait de savoir quel talisman vous employez pour dominer tous les esprits. Monsieur ne parle de vous qu'avec enthousiasme, ma maÃtresse vous porte aux nues, son fils n'a d'espoir qu'en vous seul, notre pupille vous révère!... Bégearss, d'un ton bien fat, secouant le tabac de son jabot. Et toi, Suzanne, qu'en dis-tu? Suzanne Ma foi, monsieur, je vous admire! Au milieu du désordre affreux que vous entretenez ici, vous seul êtes calme et tranquille; il me semble entendre un génie qui fait tout mouvoir à son gré. Bégearss, bien fat. Mon enfant, rien n'est plus aisé. D'abord, il n'est que deux pivots sur qui roule tout dans le monde la morale et la politique. La morale, tant soit peu mesquine, consiste à être juste et vrai; elle est, dit-on, la clef de quelques vertus routinières, Suzanne Quant à la politique?... Bégearss, avec chaleur. Ah! c'est l'art de créer des faits, de dominer, en se jouant les événements et les hommes; l'intérêt est son but, l'intrigue son moyen toujours sobre de vérités, ses vastes et riches conceptions sont un prisme qui éblouit. Aussi profonde que l'Etna, elle brûle et gronde longtemps avant d'éclater au-dehors; mais alors rien ne lui résiste. Elle exige de hauts talents le scrupule seul peut lui nuire; en riant c'est le secret des négociateurs. Suzanne Si la morale ne vous échauffe pas, l'autre, en revanche, excite en vous un assez vif enthousiasme! Bégearss, averti, revient a lui. Eh!... ce n'est pas elle; c'est toi! - Ta comparaison d'un génie... - Le chevalier vient; laisse-nous. Scène V Léon, Bégearss. Léon Monsieur Bégearss, je suis au désespoir! Bégearss, d'un ton protecteur. Qu'est-il arrivé, jeune ami? Léon Mon père vient de me signifier, avec une dureté!... que j'eusse à faire, sous deux jours, tous les apprêts de mon départ pour Malte. Point d'autre train, dit-il, que Figaro, qui m'accompagne, et un valet qui courra devant nous. Bégearss Cette conduite est en effet bizarre pour qui ne sait pas son secret; mais nous qui l'avons pénétré, notre devoir est de le plaindre. Ce voyage est le fruit d'une frayeur bien excusable Malte et vos voeux ne sont que le prétexte; un amour qu'il redoute est son véritable motif. Léon, avec douleur. Mais, mon ami, puisque vous l'épousez? Bégearss, confidentiellement. Si son frère le croit utile à suspendre un fâcheux départ!... Je ne verrais qu'un seul moyen... Léon O mon ami! dites-le-moi. Bégearss Ce serait que madame votre mère vainquÃt cette timidité qui l'empêche, avec lui, d'avoir une opinion à elle; car sa douceur vous nuit bien plus que ne ferait un caractère trop ferme. - Supposons qu'on lui ait donné quelque prévention injuste qui a le droit, comme une mère, de rappeler un père à la raison? Engagez-la à le tenter... non pas aujourd'hui, mais... demain, et sans y mettre de faiblesse, Léon Mon ami, vous avez raison cette crainte est son vrai motif. Sans doute, il n'y a que ma mère qui puisse le faire changer. La voici qui vient avec celle... que je n'ose plus adorer. Avec douleur. O mon ami! rendez-la bien heureuse! Bégearss, caressant. En lui parlant tous les jours de son frère. Scène VI La Comtesse, Florestine, Bégearss, Suzanne, Léon. La Comtesse, coiffée, parée, portant une robe rouge et noire, et son bouquet de même couleur. Suzanne, donne mes diamants. Suzanne va les chercher. Bégearss, affectant de la dignité. Madame, et vous mademoiselle, je vous laisse avec cet ami; je confirme d'avance tout ce qu'il va vous dire. Hélas! ne pensez point au bonheur que j'aurais de vous appartenir à tous; votre repos doit seul vous occuper. Je n'y veux concourir que sous la forme que vous adopterez mais, soit que mademoiselle accepte ou non mes offres, recevez ma déclaration que toute la fortune dont je viens d'hériter lui est destinée de ma part, dans un contrat, ou par un testament; je vais en faire dresser les actes mademoiselle choisira. Après ce que je viens de dire, il ne conviendrait pas que ma présence ici gênât un parti qu'elle doit rendre en toute liberté mais, quel qu'il soit, ô mes amis! sachez qu'il est sacré pour moi je l'adopte sans restrictions. Il salue profondément et sort. Scène VII La Comtesse, Léon, Florestine. La Comtesse le regarde aller. C'est un ange envoyé du ciel pour réparer tous nos malheurs. Léon, avec une douleur ardente. O Florestine! il faut céder ne pouvant être l'un à l'autre, nos premiers élans de douleur nous avaient fait jurer de n'être jamais à personne; j'accomplirai ce serment pour nous deux. Ce n'est pas tout à fait vous perdre, puisque je retrouve une soeur où j'espérais posséder une épouse. Nous pourrons encore nous aimer. Scène VIII La Comtesse, Léon, Florestine, Suzanne. Suzanne apporte l'écrin. La Comtesse, en parlant, met ses boucles d'oreilles, ses bagues, son bracelet, sans rien regarder. Florestine! épouse Bégearss, ses procédés l'en rendent digne et puisque cet hymen fait le bonheur de ton parrain, il faut l'achever aujourd'hui. Suzanne sort et emporte l'écrin. Scène IX La Comtesse, Léon, Florestine. La Comtesse, à Léon. Nous, mon fils, ne sachons jamais ce que nous devons ignorer. Tu pleures, Florestine! Florestine, pleurant. Ayez pitié de moi, madame! Eh! comment soutenir autant d'assauts dans un seul jour? A peine j'apprends qui je suis, qu'il faut renoncer à moi-même et me livrer... Je meurs de douleur et d'effroi. Dénuée d'objections contre monsieur Bégearss, je sens mon coeur à l'agonie en pensant qu'il peut devenir... Cependant il le faut, il faut me sacrifier au bien de ce frère chéri, à son bonheur... que je ne puis plus faire. Vous dites que je pleure! Ah! je fais plus pour lui que si je lui donnais ma vie! Maman, ayez pitié de nous..., bénissez vos enfants! ils sont bien malheureux! Elle se jette à genoux. Léon en fait autant. La Comtesse, leur imposant les mains. Je vous bénis, mes chers enfants. Ma Florestine, je t'adopte. Si tu savais à quel point tu m'es chère! Tu seras heureuse, ma fille, et du bonheur de la vertu; celui-là peut dédommager des autres. Ils se relèvent. Florestine Mais, croyez-vous, madame, que mon dévouement le ramène à Léon, à son fils? car il ne faut pas se flatter son injuste prévention va quelquefois jusqu'à la haine. La Comtesse Chère fille, j'en ai l'espoir. Léon C'est l'avis de monsieur Bégearss il me l'a dit; mais il m'a dit aussi qu'il n'y a que maman qui puisse opérer ce miracle. Aurez-vous donc la force de lui parler en ma faveur? La Comtesse Je l'ai tenté souvent, mon fils, mais sans aucun fruit apparent. Léon O ma digne mère! c'est votre douceur qui m'a nui. La crainte de le contrarier vous a trop empêchée d'user de la juste influence que vous donnent votre vertu et le respect profond dont vous êtes entourée. Si vous lui parliez avec force, il ne vous résisterait pas. La Comtesse Vous le croyez, mon fils? je vais l'essayer devant vous. Vos reproches m'affligent presque autant que son injustice. Mais pour que vous ne gêniez pas le bien que je dirai de vous, mettez-vous dans mon cabinet; vous m'entendrez, de là , plaider une cause si juste vous n'accuserez plus une mère de manquer d'énergie quand il faut défendre son fils! Elle sonne. Florestine, la décence ne te permet pas de rester va t'enfermer; demande au ciel qu'il m'accorde quelque succès et rende enfin la paix à ma famille désolée. Florestine sort. Scène X Suzanne, La Comtesse, Léon. Suzanne Que veut madame? elle a sonné. La Comtesse Prie monsieur, de ma part, de passer un moment ici. Suzanne, effrayée. Madame! vous me faites trembler! Ciel! que va-t-il donc se passer? Quoi! monsieur qui ne vient jamais... sans... La Comtesse Fais ce que je te dis, Suzanne, et ne prends nul souci du reste. Suzanne sort, en levant les bras au ciel de terreur. Scène XI La Comtesse, Léon. La Comtesse Vous allez voir, mon fils, si votre mère est faible en défendant vos intérêts! Mais laissez-moi me recueillir, me préparer, par la prière, à cet important plaidoyer. Léon entre au cabinet de sa mère. Scène XII La Comtesse, seule, une genou sur son fauteuil. Ce moment me semble terrible comme le jugement dernier! Mon sang est prêt à s'arrêter... O mon Dieu! donnez-moi la force de frapper au coeur d'un époux! Plus bas. Vous seul connaissez les motifs qui m'ont toujours fermé la bouche! Ah! s'il ne s'agissait du bonheur de mon fils, vous savez, ô mon Dieu! si j'oserais dire un seul mot pour moi! Mais enfin, s'il est vrai qu'une faute pleurée vingt ans ait obtenu de vous un pardon généreux, comme un ami sage m'en assure, ô mon Dieu, donnez-moi la force de frapper au coeur d'un époux! Scène XIII La Comtesse, Le Comte, Léon caché. Le Comte, sèchement. Madame, on dit que vous me demandez? La Comtesse, timidement. J'ai cru, monsieur, que nous serions plus libres dans ce cabinet que chez vous. Le Comte M'y voilà , madame; parlez. La Comtesse, tremblante. Asseyons-nous, monsieur, je vous conjure, et prêtez-moi votre attention. Le Comte, impatient, Non, j'entendrai debout; vous savez qu'en parlant je ne saurais tenir en place. La Comtesse, s'asseyant, avec un soupir, et parlant bas. Il s'agit de mon fils... monsieur. Le Comte, brusquement. De votre fils, madame? La Comtesse Et quel autre intérêt pourrait vaincre ma répugnance à engager un entretien que vous ne recherchez jamais? Mais je viens de le voir dans un état à faire compassion l'esprit troublé, le coeur serré de l'ordre que vous lui donnez de partir sur-le-champ; surtout du ton de dureté qui accompagne cet exil. Eh! comment a-t-il encouru la disgrâce d'un p... d'un homme si juste? Depuis qu'un exécrable duel nous a ravi notre autre fils... Le Comte, les mains sur le visage, avec un air de douleur. Ah!... La Comtesse Celui-ci, qui jamais ne dût connaÃtre le chagrin, a redoublé de soins et d'attentions pour adoucir l'amertume des nôtres! Le Comte, se promenant doucement. Ah!... La Comtesse Le caractère emporté de son frère, son désordre, ses goûts et sa conduite déréglée nous en donnaient souvent de bien cruels. Le ciel sévère, mais sage en ses décrets, en nous privant de cet enfant, nous en a peut-être épargné de plus cuisants pour l'avenir. Le Comte, avec douleur. Ah!... ah!... La Comtesse Mais enfin, celui qui nous reste a-t-il jamais manqué à ses devoirs? Jamais le plus léger reproche fut-il mérité de sa part? Exemple des hommes de son âge, il a l'estime universelle il est aimé, recherché, consulté. Son p... protecteur naturel, mon époux seul, paraÃt avoir les yeux fermés sur un mérite transcendant, dont l'éclat frappe tout le monde. Le Comte se promène plus vite sans parler. - La Comtesse, prenant courage de son silence, continue d'un ton plus ferme, et l'élève par degrés. En tout autre sujet, monsieur, je tiendrais à fort grand honneur de vous soumettre mon avis, de modeler mes sentiments, ma faible opinion sur la vôtre; mais il s'agit... d'un fils... Le Comte s'agite en marchant. Quand il avait un frère aÃné, l'orgueil d'un très grand nom le condamnant au célibat, l'ordre de Malte était son sort. Le préjugé semblait alors couvrir l'injustice de ce partage entre deux fils timidement égaux en droits. Le Comte s'agite plus fort. A part, d'un ton étouffé. Egaux en droits!... La Comtesse, un peu plus fort. Mais depuis deux années qu'un accident affreux... les lui a tous transmis, n'est-il pas étonnant que vous n'ayez rien entrepris pour le relever de ses voeux? Il est de notoriété que vous n'avez quitté l'Espagne que pour dénaturer vos biens, par la vente ou par des échanges. Si c'est pour l'en priver, monsieur, la haine ne va pas plus loin! Puis, vous le chassez de chez vous, et semblez lui fermer la maison p... par vous habitée. Permettez-moi de vous le dire, un traitement aussi étrange est sans excuse aux yeux de la raison. Qu'a-t-il fait pour le mériter? Le Comte s'arrête; d'un ton terrible. Ce qu'il a fait! La Comtesse, effrayée. Je voudrais bien, monsieur, ne pas vous offenser! Le Comte, plus fort. Ce qu'il a fait, madame? Et c'est vous qui le demandez? La Comtesse, en désordre. Monsieur, monsieur! vous m'effrayez beaucoup! Le Comte, avec fureur. Puisque vous avez provoqué l'explosion du ressentiment qu'un respect humain enchaÃnait, vous entendrez son arrêt et le vôtre. La Comtesse, plus troublée. Ah! monsieur! Ah! monsieur! Le Comte Vous demandez ce qu'il a fait? La Comtesse, levant les bras. Non, monsieur, ne me dites rien! Le Comte, hors de lui. Rappelez-vous, femme perfide, ce que vous avez fait vous-même! et comment, recevant un adultère dans vos bras, vous avez mis dans ma maison cet enfant étranger, que vous osez nommer mon fils! La Comtesse, au désespoir, veut se lever. Laissez-moi m'enfuir, je vous prie. Le Comte, la clouant sur son fauteuil. Non, vous ne fuirez pas; vous n'échapperez point à la conviction qui vous presse. Lui montrant sa lettre. Connaissez-vous cette écriture? Elle est tracée de votre main coupable! et ces caractères sanglants qui lui servirent de réponse... La Comtesse, anéantie. Je vais mourir! je vais mourir! Le Comte, avec force. Non, non! vous entendrez les traits que j'en ai soulignés! Il lit avec égarement. "Malheureux insensé! notre sort est rempli; votre crime, le mien, reçoit sa punition. Aujourd'hui, jour de saint Léon, patron de ce lieu et le vôtre, je viens de mettre au monde un fils, mon opprobre et mon désespoir..." Il parle. Et cet enfant est né le jour de saint Léon, plus de dix mois après mon départ pour la Vera-Cruz! Pendant qu'il lit très fort, on entend la Comtesse, égarée, dire des mots coupés qui partent du délire. La Comtesse, priant, les mains jointes. Grand Dieu! tu ne permets donc pas que le crime le plus caché demeure toujours impuni! Le Comte ... Et de la main du corrupteur. Il lit. "L'ami qui vous rendra ceci, quand je ne serai plus, est sûr." La Comtesse, priant. Frappe, mon Dieu, car je l'ai mérité! Le Comte, lit. "Si la mort d'un infortuné vous inspirait un reste de pitié, parmi les noms qu'on va donner à ce fils, héritier 'un autre..." La Comtesse, priant. Accepte l'horreur que j'éprouve, en expiation de ma faute! Le Comte, lit. "Puis-je espérer que le nom de Léon..." Il parle. Et ce fils s'appelle Léon! La Comtesse, égarée, les yeux fermés. O Dieu! mon crime fut bien grand, s'il égala ma punition! Que ta volonté s'accomplisse! Le Comte, plus fort. Et, couverte de cet opprobre, vous osez me demander compte de mon éloignement pour lui? La Comtesse, priant toujours. Qui suis-je pour m'y opposer, lorsque ton bras s'appesantit? Le Comte Et, lorsque vous plaidez pour l'enfant de ce malheureux, vous avez au bras mon portrait! La Comtesse, en le détachant, le regarde. Monsieur, monsieur, je le rendrai; je sais que je n'en suis pas digne. Dans le plus grand égarement. Ciel! que m'arrive-t-il? Ah! je perds la raison! Ma conscience troublée fait naÃtre des fantômes! - Réprobation anticipée! - Je vois ce qui n'existe pas... Ce n'est plus vous, c'est lui qui me fait signe de le suivre, d'aller le rejoindre au tombeau! Le Comte, effrayé. Comment? Eh bien! non, ce n'est pas... La Comtesse, en délire. Ombre terrible! éloigne-toi!... Le Comte crie avec douleur. Ce n'est pas ce que vous croyez! La Comtesse jette le bracelet par terre. Attends... Oui, je t'obéirai... Le Comte, plus troublé. Madame, écoutez-moi... La Comtesse J'irai... Je t'obéis... Je meurs. Elle reste évanouie. Le Comte, effrayé, ramasse le bracelet. J'ai passé la mesure. Elle se trouve mal... Ah! Dieu, courons lui chercher du secours. Il sort, il s'enfuit. - Les convulsions de la douleur font glisser la Comtesse à terre. Scène XIV Léon, accourant; La Comtesse, évanouie. Léon, avec force. O ma mère! ma mère! c'est moi qui te donne la mort! Il l'enlève et la remet sur son fauteuil, évanouie. Que ne suis-je parti sans rien exiger de personne! j'aurais prévenu ces horreurs! Scène XV Le Comte, Suzanne, Léon, La Comtesse, évanouie. Le Comte, en rentrant, s'écrie Et son fils! Léon, égaré. Elle est morte! Ah! je ne lui survivrai pas! Il l'embrasse en criant. Le Comte, effrayé. Des sels! des sels! Suzanne! Un million si vous la sauvez! Léon O malheureuse mère! Suzanne Madame, aspirez ce flacon. Soutenez-la, monsieur; je vais tâcher de la desserrer. Le Comte, égaré. Romps tout, arrache tout! Ah! j'aurais dû la ménager! Léon, criant avec délire. Elle est morte! elle est morte! Scène XVI Le Comte, Suzanne, Léon, La Comtesse, évanouie, Figaro, accourant. Figaro Eh! qui morte? madame? Apaisez donc ces cris! c'est vous qui la ferez mourir! Il lui prend le bras. Non, elle ne l'est pas ce n'est qu'une suffocation; le sang qui monte avec violence. Sans perdre de temps, il faut la soulager. Je vais chercher ce qu'il lui faut. Le Comte, hors de lui. Des ailes, Figaro! ma fortune est à toi. Figaro, vivement. J'ai bien besoin de vos promesses lorsque madame est en péril! Il sort en courant. Scène XVII Le Comte, Léon, La Comtesse, évanouie, Suzanne. Léon, lui tenant le flacon sous le nez. Si l'on pouvait la faire respirer! O Dieu! rends-moi ma malheureuse mère!... La voici qui revient. Suzanne, pleurant. Madame! allons, madame!... La Comtesse, revenant à elle. Ah! qu'on a de peine à mourir! Léon, égaré. Non, maman, vous ne mourrez pas! La Comtesse, égarée. O ciel! Entre mes juges! entre mon époux et mon fils! tout est connu... et, criminelle envers tous deux... Elle se jette à terre et se prosterne. Vengez-vous l'un et l'autre! Il n'est plus de pardon pour moi! Avec horreur. Mère coupable! épouse indigne! un instant nous a tous perdus. J'ai mis l'horreur dans ma famille! j'allumai la guerre intestine entre le père et les enfants! Ciel juste, il Fallait bien que ce crime fût découvert! Puisse ma mort expier mon forfait! Le Comte, au désespoir. Non, revenez à vous! votre douleur a déchiré mon âme! Asseyons-la, Léon!... mon fils! Léon fait un grand mouvement. Suzanne, asseyons-la. Ils la remettent sur le fauteuil. Scène XVIII Les Précédents, Figaro. Figaro, accourant. Elle a repris sa connaissance? Suzanne Ah! Dieu! j'étouffe aussi. Elle se desserre. Le Comte crie. Figaro! vos secours! Figaro, étouffé. Un moment, calmez-vous. Son état n'est plus si pressant. Moi qui étais dehors, grand Dieu! Je suis rentré bien à propos!... Elle m'avait fort effrayé! Allons, madame, du courage! La Comtesse, priant, renversée. Dieu de bonté, fais que je meure! Léon, en l'asseyant mieux. Non, maman, vous ne mourrez pas, et nous réparerons nos torts. Monsieur! vous que je n'outragerai plus en vous donnant un autre nom, reprenez vos titres, vos biens; je n'y avais nul droit hélas! je l'ignorais. Mais, par pitié, n'écrasez point d'un déshonneur public cette infortunée qui fut vôtre... Une erreur expiée par vingt années de larmes est-elle encore un crime, a lors qu'on fait justice? Ma mère et moi, nous nous bannissons de chez vous. Le Comte, exalté. Jamais! Vous n'en sortirez point. Léon Un couvent sera sa retraite; et moi, sous mon nom de Léon, sous le simple habit d'un soldat, je défendrai la liberté de notre nouvelle patrie. Inconnu, je mourrai pour elle, ou je la servirai en zélé citoyen. Suzanne pleure dans un coin; Figaro est absorbé dans l'autre. La Comtesse, péniblement. Léon! mon cher enfant! ton courage me rend la vie. Je puis encore la supporter, puisque mon fils a la vertu de ne pas détester sa mère. Cette fierté dans le malheur sera ton noble patrimoine. Il m'épousa sans biens; n'exigeons rien de lui. Le travail de mes mains soutiendra ma faible existence, et toi, tu serviras l'Etat. Le Comte, avec désespoir. Non, Rosine! jamais! C'est moi qui suis le vrai coupable! De combien de vertus je privais ma triste vieillesse! La Comtesse Vous en serez enveloppé. - Florestine et Bégearss vous restent. Floresta, votre fille, l'enfant chéri de votre coeur!... Le Comte, étonné. Comment?... d'où savez-vous?... qui vous l'a dit?... La Comtesse Monsieur, donnez-lui tous vos biens; mon fils et moi n'y mettrons point d'obstacle; son bonheur nous consolera. Mais, avant de nous séparer, que j'obtienne au moins une grâce! Apprenez-moi comment vous êtes possesseur d'une lettre que je croyais brûlée avec les autres? Quelqu'un m'a-t-il trahie? Figaro, s'écriant. Oui! l'infâme Bégearss! Je l'ai surpris tantôt qui la remettait à monsieur. Le Comte, parlant vite. Non, je la dois au seul hasard. Ce matin, lui et moi, pour un tout autre objet, nous examinions votre écrin, sans nous douter qu'il eût un double fond. Dans le débat, et sous ses doigts, le secret s'est ouvert soudain, à son très grand étonnement. Il a cru le coffre brisé! Figaro, criant plus fort. Son étonnement d'un secret? Monstre! c'est lui qui l'a fait faire! Le Comte Est-il possible? La Comtesse Il est trop vrai! Le Comte Des papiers frappent nos regards; il en ignorait l'existence; et, quand j'ai voulu les lui lire, il a refusé de les voir. Suzanne, s'écriant. Il les a lus cent fois avec madame! Le Comte Est-il vrai? Les connaissait-il? La Comtesse Ce fut lui qui me les remit, qui les apporta de l'armée, lorsqu'un infortuné mourut. Le Comte Cet ami sûr, instruit de tout?... Figaro, La Comtesse, Suzanne, ensemble, criant. C'est lui! Le Comte O scélératesse infernale! Avec quel art il m'avait engagé! A présent je sais tout. Figaro Vous le croyez! Le Comte Je connais son affreux projet. Mais, pour en être plus certain, déchirons le voile en entier. Par qui savez-vous donc ce qui touche ma Florestine? La Comtesse, vite. Lui seul m'en a fait confidence. Léon, vite. Il me l'a dit sous le secret. Suzanne, vite. Il me l'a dit aussi. Le Comte, avec horreur. O monstre! Et moi j'allais la lui donner! mettre ma fortune en ses mains! Figaro, vivement. Plus d'un tiers y serait déjà , si je n'avais porté, sans vous le dire, vos trois millions d'or en dépôt chez monsieur Fal; vous alliez l'en rendre le maÃtre; heureusement je m'en suis douté; je vous ai donné son reçu... Le Comte, vivement. Le scélérat vient de me l'enlever pour en aller toucher la somme. Figaro, désolé. O proscription sur moi! Si l'argent est remis, tout ce que j'ai fait est perdu! Je cours chez monsieur Fal. Dieu veuille qu'il ne soit pas trop tard! Le Comte, à Figaro. Le traÃtre n'y peut être encore. Figaro S'il a perdu un temps, nous le tenons. J'y cours. Il veut sortir. Le Comte, vivement, l'arrête. Mais, Figaro, que le fatal secret dont ce moment vient de t'instruire reste enseveli dans ton sein! Figaro, avec une grande sensibilité. Mon maÃtre, il y a vingt ans qu'il est dans ce sein-là , et dix que je travaille à empêcher qu'un monstre n'en abuse! Attendez surtout mon retour, avant de prendre aucun parti. Le Comte, vivement. Penserait-il se disculper? Figaro Il fera tout pour le tenter. Il tire une lettre de sa poche. Mais voici le préservatif. Lisez le contenu de cette épouvantable lettre; le secret de l'enfer est là . Vous me saurez bon gré d'avoir tout fait pour me la procurer. Il lui remet la lettre de Bégearss. Suzanne! des gouttes à ta maÃtresse. Tu sais comment je les prépare. Il lui donne un flacon. Passez-la sur sa chaise longue; et le plus grand calme autour d'elle. Monsieur, au moins ne recommencez pas; elle s'éteindrait dans nos mains! Le Comte, exalté. Recommencer! Je me ferais horreur! Figaro, à la Comtesse. Vous l'entendez, madame? Le voilà dans son caractère! Et c'est mon maÃtre que j'entends. Ah! je l'ai toujours dit de lui la colère, chez les bons coeurs, n'est qu'un besoin pressant de pardonner! Il s'enfuit. - Le Comte et Léon la prennent sous les bras, ils sortent tous. Acte cinquième Le théâtre représente le grand salon du premier acte. Scène I Le Comte, La Comtesse, Léon, Suzanne. La Comtesse, sans rouge, dans le plus grand désordre de parure. Léon, soutenant sa mère. Il fait trop chaud, maman, dans l'appartement intérieur. Suzanne, avance une bergère. On l'assied. Le Comte, attendri, arrangeant les coussins. Etes-vous bien assise? Eh quoi! pleurer encore? La Comtesse, accablée. Ah! laissez-moi verser des larmes de soulagement! Ces récits affreux m'ont brisée! cette infâme lettre surtout. Le Comte, délirant. Marié en Irlande, il épousait ma fille! Et tout mon bien placé sur la banque de Londres eût fait vivre un repaire affreux jusqu'à la mort du dernier de nous tous!... Et qui sait, grand Dieu, quels moyens?... La Comtesse Homme infortuné, calmez-vous! mais il est temps de faire descendre Florestine; elle avait le coeur si serré de ce qui devait lui arriver! Va la chercher, Suzanne; et ne l'instruis de rien. Le Comte, avec dignité. Ce que j'ai dit à Figaro, Suzanne, était pour vous comme pour lui. Suzanne Monsieur, celle qui vit madame pleurer, prier pendant vingt ans, a trop gémi de ses douleurs pour rien faire qui les accroisse! Elle sort. Scène II Le Comte, La Comtesse, Léon. Le Comte, avec un vif sentiment. Ah! Rosine, séchez vos pleurs; et maudit soit qui vous affligera! La Comtesse Mon fils! embrasse les genoux de ton généreux protecteur, et rends-lui grâce pour ta mère. Il veut se mettre à genoux. Le Comte le relève. Oublions le passé, Léon. Gardons-en le silence, et n'émouvons plus votre mère. Figaro demande un grand calme. Ah! Respectons surtout la jeunesse de Florestine, en lui cachant soigneusement les causes de cet accident. Scène III Florestine, Suzanne, Les Précédents. Florestine, accourant. Mon Dieu! maman, qu'avez-vous donc? La Comtesse Rien que d'agréable à t'apprendre; et ton parrain va t'en instruire. Le Comte Hélas! ma Florestine, je frémis du péril où j'allais plonger ta jeunesse. Grâce au ciel, qui dévoile tout, tu n'épouseras point Bégearss! Non, tu ne seras point la femme du plus épouvantable ingrat!... Florestine Ah! Ciel! Léon!... Léon Ma soeur, il nous a tous joués! Florestine, au Comte. Sa soeur! Le Comte Il nous trompait. Il trompait les uns par les autres, et tu étais le prix de ses horribles perfidies. Je vais le chasser de chez moi. La Comtesse L'instinct de ta frayeur te servait mieux que nos lumières. Aimable enfant, rends grâces au ciel qui te sauve d'un tel danger. Léon Ma soeur, il nous a tous joués! Florestine, au Comte. Monsieur, il m'appelle sa soeur! La Comtesse, exaltée. Oui, Floresta, tu es à nous. C'est là notre secret chéri. Voilà ton père, voilà ton frère; et moi, je suis ta mère pour la vie. Ah! garde-toi de l'oublier jamais! Elle tend la main au Comte. Almaviva, pas vrai qu'elle est ma fille? Le Comte, exalté. Et lui, mon fils; voilà nos deux enfants. Tous se serrent dans les bras l'un de l'autre. Scène IV Figaro, M. Fal, notaire; Les Précédents. Figaro, accourant et jetant son manteau. Malédiction! Il a le portefeuille. J'ai vu le traÃtre l'emporter, quand je suis entré chez monsieur. Le Comte O monsieur Fal! vous vous êtes pressé! M. Fal, vivement. Non, monsieur, au contraire. Il est resté plus d'une heure avec moi, m'a fait achever le contrat, y insérer la donation qu'il fait. Puis il m'a remis mon reçu, au bas duquel était le vôtre, en me disant que la somme est à lui, qu'elle est un fruit d'hérédité, qu'il vous l'a remise en confiance... Le Comte O scélérat! Il n'oublie rien! Figaro Que de trembler sur l'avenir! M. Fal Avec ces éclaircissements, ai-je pu refuser le portefeuille qu'il exigeait? Ce sont trois millions au porteur. Si vous rompez le mariage et qu'il veuille garder l'argent, c'est un mal presque sans remède. Le Comte, avec véhémence. Que tout l'or du monde périsse, et que je sois débarrassé de lui! Figaro, jetant son chapeau sur un fauteuil, Dussé-je être pendu, il n'en gardera pas une obole. A Suzanne. Veille au-dehors, Suzanne. Elle sort. M. Fal Avez-vous un moyen de lui faire avouer devant de bons témoins qu'il tient ce trésor de monsieur? Sans cela, je défie qu'on puisse le lui arracher. Figaro S'il apprend par son Allemand ce qui se passe dans l'hôtel, il n'y rentrera plus. Le Comte, vivement. Tant mieux! c'est tout ce que je veux. Ah! qu'il garde le reste. Figaro, vivement. Lui laisser par dépit l'héritage de vos enfants? ce n'est pas vertu, c'est faiblesse. Léon, fâché. Figaro! Figaro, plus fort. Je ne m'en dédis point. Au Comte. Qu'obtiendra donc de vous l'attachement, si vous payez ainsi la perfidie? Le Comte, se fâchant. Mais l'entreprendre sans succès, c'est lui ménager un triomphe... Scène V Les Précédents, Suzanne. Suzanne, à la porte et criant. Monsieur Bégearss qui rentre! Elle sort. Scène VI Les Précédents, excepté Suzanne. Ils font tous un grand mouvement. Le Comte, hors de lui. Oh! traÃtre! Figaro, très vite. On ne peut plus se concerter; mais si vous m'écoutez et me secondez tous pour lui donner une sécurité profonde, j'engage ma tête au succès. M. Fal Vous allez lui parler du portefeuille et du contrat? Figaro, très vite. Non pas; il en sait trop pour l'entamer si brusquement! Il faut l'amener de plus loin à faire un aveu volontaire. Au Comte. Feignez de vouloir me chasser. Le Comte, troublé. Mais, mais... sur quoi? Scène VII Les Précédents, Suzanne, Bégearss. Suzanne, accourant. Monsieur Bégeaaaaaaarss! Elle se range près de La Comtesse. - Bégearss montre une grande surprise. Figaro, s'écrie en le voyant. Monsieur Bégearss! Humblement. Eh bien! ce n'est qu'une humiliation de plus. Puisque vous attachez à l'aveu de mes torts le pardon que je sollicite, j'espère que monsieur ne sera pas moins généreux. Bégearss, étonné. Qu'y a-t-il donc? je vous trouve assemblés! Le Comte, brusquement. Pour chasser un sujet indigne. Bégearss, plus surpris encore, voyant le notaire. Et monsieur Fal? M. Fal, lui montrant le contrat. Voyez qu'on ne perd point de temps; tout ici concourt avec vous. Bégearss, surpris. Ha! Ha!... Le Comte, impatient, à Figaro. Pressez-vous; ceci me fatigue. Pendant cette scène, Bégearss les examine l'un après l'autre avec la plus grande attention. Figaro, l'air suppliant, adressant la parole au Comte. Puisque la feinte est inutile, achevons mes tristes aveux. Oui, pour nuire à monsieur Bégearss, je répète avec confusion que je me suis mis à l'épier, le suivre et le troubler partout au Comte car monsieur n'avait pas sonné lorsque je suis entré chez lui pour savoir ce qu'on y faisait du coffre aux brillants de madame, que j'ai trouvé là tout ouvert. Bégearss Certes! ouvert à mon grand regret! Le Comte fait un mouvement inquiétant. A part. Quelle audace! Figaro, se courbant, le tire par l'habit pour l'avertir. Ah! mon maÃtre! M. Fal, effrayé. Monsieur! Bégearss, du Comte, à part. Modérez-vous, ou nous ne saurons rien. Le Comte frappe du pied; Bégearss l'examine. Figaro, soupirant, dit au Comte C'est ainsi que, sachant madame enfermée avec lui, pour brûler de certains papiers dont je connaissais l'importance, je vous ai fait venir subitement. Bégearss, au Comte. Vous l'ai-je dit? Le Comte mord son mouchoir de fureur. Suzanne, bas à Figaro, par-derrière. Achève, achève! Figaro Enfin, vous voyant tous d'accord j'avoue que j'ai fait l'impossible pour provoquer entre madame et vous la vive explication... qui n'a pas eu la fin que j'espérais... Le Comte, à Figaro, avec colère. Finissez-vous ce plaidoyer? Figaro, bien humble. Hélas! je n'ai plus rien à dire, puisque c'est cette explication qui a fait chercher monsieur Fal, pour finir ici le contrat. L'heureuse étoile de monsieur a triomphé de tous mes artifices... Mon maÃtre! en faveur de trente ans... Le Comte, avec humeur. Ce n'est pas à moi de juger. Il marche vite. Figaro Monsieur Bégearss! Bégearss, qui a repris sa sécurité, dit ironiquement Qui! moi? cher ami, je ne comptais guère vous avoir tant d'obligations! Elevant son ton. Voir mon bonheur accéléré par le coupable effort destiné à me le ravir! A Léon et Florestine. O jeunes gens! quelle leçon! Marchons avec candeur dans le sentier de la vertu. Voyez que tôt ou tard l'intrigue est la perte de son auteur. Figaro, prosterné. Ah! Oui! Bégearss, au Comte. Monsieur, pour cette fois encore, et qu'il parte! Le Comte, à Bégearss, durement. C'est là votre arrêt?... J'y souscris. Figaro, ardemment. Monsieur Bégearss! je vous le dois. Mais je vois M. Fal pressé d'achever un contrat... Le Comte, brusquement. Les articles m'en sont connus. M. Fal Hors celui-ci. Je vais vous lire la donation que monsieur fait... Cherchant l'endroit. M, M, M, messire James-Honoré Bégearss... Ah! Il lit. "Et pour donner à la demoiselle future épouse une preuve non équivoque de son attachement pour elle, ledit seigneur futur époux lui fait donation entière de tous les grands biens qu'il possède; consistant aujourd'hui il appuie en lisant ainsi qu'il le déclare et les a exhibés à nous notaires soussignés, en trois millions d'or ici joints, en très bons effets au porteur." Il tend la main en lisant. Bégearss Les voilà dans ce portefeuille. Il donne le portefeuille à Fal.! Il manque deux milliers de louis, que je viens d'en ôter pour fournir aux apprêts des noces. Figaro, montrant le Comte, et vivement. Monsieur a décidé qu'il payerait tout; j'ai l'ordre. Bégearss, tirant les effets de sa poche, et les remettant au notaire. En ce cas, enregistrez-les; que la donation soit entière! Figaro, retourné, se tient la bouche pour ne pas rire. M. Fal ouvre le portefeuille, y remet les effets. M. Fal, montrant Figaro. Monsieur va tout additionner, pendant que nous achèverons. Il donne le portefeuille ouvert à Figaro qui, voyant les effets, dit Figaro, l'air exalté. Et moi j'éprouve qu'un bon repentir est comme toute bonne action, qu'il porte aussi sa récompense. Bégearss En quoi? Figaro J'ai le bonheur de m'assurer qu'il est ici plus d'un généreux homme. Oh! que le ciel comble les voeux de deux amis aussi parfaits! Nous n'avons nul besoin d'écrire. ,Au Comte. Ce sont vos effets au porteur oui, monsieur, je les reconnais. Entre monsieur Bégearss et vous, c'est un combat de générosité l'un donne ses biens à l'époux, l'autre les rend à sa future! Aux jeunes gens. Monsieur, mademoiselle! ah! quel bienfaisant protecteur, et que vous allez le chérir!... Mais que dis-je? l'enthousiasme m'aurait-il fait commettre une indiscrétion offensante? Tout le monde garde le silence. Bégearss, un peu surpris, se remet, prend son parti, et dit Elle ne peut l'être pour personne, si mon ami ne la désavoue pas; s'il met mon âme à l'aise, en me permettant d'avouer que je tiens de lui ces effets. Celui-là n'a pas un bon coeur, que la gratitude fatigue, et cet aveu manquait à ma satisfaction. Montrant le Comte. Je lui dois bonheur et fortune; et quand je les partage avec sa digne fille, je ne fais que lui rendre ce qui lui appartient de droit. Remettez-moi le portefeuille; je ne veux avoir que l'honneur de le mettre à ses pieds moi-même, en signant notre heureux contrat. Il veut le reprendre. Figaro, sautant de joie. Messieurs, vous l'avez entendu? Vous témoignerez s'il le faut. Mon maÃtre voilà vos effets; donnez-les à leur détenteur, si votre coeur l'en juge digne. Il lui remet le portefeuille. Le Comte, se levant, à Bégearss. Grand Dieu! Les lui donner! Homme cruel, sortez de ma maison l'enfer n'est pas aussi profond que vous! Grâce à ce bon vieux serviteur, mon imprudence est réparée sortez à l'instant de chez moi! Bégearss O mon ami, vous êtes encore trompé! Le Comte, hors de lui, le bride de sa lettre ouverte. Et cette lettre, monstre m'abuse-t-elle aussi? Bégearss la voit; furieux, il arrache au Comte la lettre, et se montre tel qu'il est. Ah!... je suis joué! mais j'en aurai raison. Léon Laissez en paix une famille que vous avez remplie d'horreur. Bégearss, furieux. Jeune insensé! c'est toi qui vas payer pour tous; je t'appelle au combat. Léon, vite. J'y cours. Le Comte, vite. Léon! La Comtesse, vite. Mon fils! Florestine, Vite. Mon frère! Le Comte Léon! je vous défends... A Bégearss. Vous vous êtes rendu indigne de l'honneur que vous demandez ce n'est point par cette voie-là qu'un homme comme vous doit terminer sa vie. Bégearss fait un geste affreux, sans parler. Figaro, arrêtant Léon, vivement. Non, jeune homme, vous n'irez point, monsieur votre père a raison, et l'opinion est réformée sur cette horrible frénésie on ne combattra plus ici que les ennemis de l'Etat. Laissez-le en proie à sa fureur; et s'il ose vous attaquer, défendez-vous comme d'un assassin. Personne ne trouve mauvais qu'on tue une bête enragée! Mais il se gardera de l'oser l'homme capable de tant d'horreurs doit être aussi lâche que vil! Bégearss, hors de lui. Malheureux! Le Comte, frappant du pied. Nous laissez-vous enfin? c'est un supplice de vous voir, La Comtesse est effrayée sur son siège; Florestine et Suzanne la soutiennent; Léon se réunit à elles. Bégearss, les dents serrées. Oui, morbleu! je vous laisse; mais j'ai la preuve en main de votre infâme trahison! Vous n'avez demandé l'agrément de Sa Majesté, pour échanger vos biens d'Espagne, que pour être à portée de troubler sans péril l'autre côté des Pyrénées. Le Comte O monstre! que dit-il? Bégearss Ce que je vais dénoncer à Madrid. N'y eût-il que le buste en grand d'un Washington dans votre cabinet, j'y fais confisquer tous vos biens. Figaro, criant. Certainement; le tiers au dénonciateur. Bégearss Mais pour que vous n'échangiez rien, je cours chez notre ambassadeur arrêter dans ses mains l'agrément de Sa Majesté que l'on attend par ce courrier. Figaro, tirant un paquet de sa poche, s'écrie vivement L'agrément du Roi? le voici. J'avais prévu le coup je viens, de votre part, d'enlever le paquet au secrétariat d'ambassade. Le courrier d'Espagne arrivait! Le Comte, avec vivacité, prend le paquet. Bégearss, furieux, frappe sur son front, fait deux pas pour sortir, et se retourne. Adieu, famille abandonnée, maison sans moeurs et sans honneur! Vous aurez l'impudeur de conclure un mariage abominable, en unissant le frère avec sa soeur mais l'univers saura votre infamie! Il sort. Scene VIII et dernière. - Les Précédents, excepté Bégearss. Figaro, follement. Qu'il fasse des libelles, dernière ressource des lâches! il n'est plus dangereux. Bien démasqué, à bout de voie, et pas vingt-cinq louis dans le monde! Ah! monsieur Fal, je me serais poignardé s'il eût gardé les deux mille louis qu'il avait soustraits du paquet! Il reprend un ton grave. D'ailleurs, nul ne sait mieux que lui, que, par la nature et la loi, ces jeunes gens ne se sont rien, qu'ils sont étrangers l'un à l'autre. Le Comte, l'embrasse et crie O Figaro!... Madame, il a raison. Léon, très vite. Dieux! maman! quel espoir! Florestine, au Comte. Eh quoi! monsieur, n'êtes-vous plus?... Le Comte, ivre de joie. Mes enfants, nous y reviendrons; et nous consulterons, sous des noms supposés, des gens de loi discrets, éclairés, pleins d'honneur. O mes enfants! Il vient un âge où les honnêtes gens se pardonnent leurs torts, leurs anciennes faiblesses, font succéder un doux attachement aux passions orageuses qui les avaient trop désunis. Rosine c'est le nom que votre époux vous rend allons nous reposer des fatigues de la journée. Monsieur Fal! restez avec nous. Venez, mes deux enfants! Suzanne, embrasse ton mari! et que nos sujet de querelles soient ensevelis pour toujours! A Figaro. Les deux mille louis qu'il avait soustraits, je te les donne, en attendant la récompense qui t'est bien due! Figaro, vivement. A moi, monsieur? Non, s'il vous plaÃt! moi, gâter par un vil salaire le bon service que j'ai fait! Ma récompense est de mourir chez vous. Jeune, si j'ai failli souvent, que ce jour acquitte ma vie! O ma vieillesse, pardonne à ma jeunesse; elle s'honorera de toi. Un jour a changé notre état! plus d'oppresseur, d'hypocrite insolent; chacun a bien fait son devoir. Ne plaignons point quelques moments de trouble; on gagne assez dans les familles, quand on en expulse un méchant. FIN DU CINQUIEME ET DERNIER ACTE. Le Barbier de Séville ou La précaution inutile Lettre modérée sur la chute et la critique du Barbier de Séville L'auteur vêtu modestement et courbé présentant sa pièce au lecteur Monsieur, J'ai l'honneur de vous offrir un nouvel opuscule de ma façon. Je souhaite vous rencontrer dans un de ces moments heureux où, dégagé de soins, content de votre santé, de vos affaires, de votre maÃtresse, de votre dÃner, de votre estomac, vous puissiez vous plaire un moment à la lecture de mon Barbier de Séville; car il faut tout cela pour être homme amusable et lecteur indulgent. Mais si quelque accident a dérangé votre santé; si votre état est compromis; si votre belle a forfait à ses serments; si votre dÃner fut mauvais ou votre digestion laborieuse, ah! laissez mon Barbier; ce n'est pas là l'instant examinez l'état de vos dépenses, étudiez le factum de votre adversaire, relisez ce traÃtre billet surpris à Rose, ou parcourez les chefs-d'oeuvre de Tissot sur la tempérance, et faites des réflexions politiques, économiques, diététiques, philosophiques ou morales. Ou si votre état est tel qu'il vous faille absolument l'oublier, enfoncez-vous dans une bergère, ouvrez le journal établi dans Bouillon avec encyclopédie, approbation et privilège, et dormez vite une heure ou deux. Quel charme aurait une production légère au milieu des plus noires vapeurs? Et que vous importe en effet si Figaro le barbier s'est bien moqué de Bartholo le médecin, en aidant un rival à lui souffler sa maÃtresse? On rit peu de la gaieté d'autrui, quand on a de l'humeur pour son propre compte. Que vous fait encore si ce barbier espagnol, en arrivant dans Paris, essuya quelques traverses, et si la prohibition de ses exercices a donné trop d'importance aux rêveries de mon bonnet? On ne s'intéresse guère aux affaires des autres que lorsqu'on est sans inquiétude sur les siennes. Mais enfin tout va-t-il bien pour vous? Avez-vous à souhait double estomac, bon cuisinier, maÃtresse honnête et repos imperturbable? Ah! parlons, parlons donnez audience à mon Barbier. Je sens trop, monsieur, que ce n'est plus le temps où, tenant mon manuscrit en réserve, et semblable à la coquette qui refuse souvent ce qu'elle brûle toujours d'accorder, j'en faisais quelque avare lecture à des gens préférés, qui croyaient devoir payer ma complaisance par un éloge pompeux de mon ouvrage. O jours heureux! Le lieu, le temps, l'auditoire à ma dévotion, et la magie d'une lecture adroite assurant mon succès, je glissais sur le morceau faible en appuyant les bons endroits; puis, recueillant les suffrages du coin de l'oeil avec une orgueilleuse modestie, je jouissais d'un triomphe d'autant plus doux, que le jeu d'un fripon d'acteur ne m'en dérobait pas les trois quarts pour son compte. Que reste-t-il, hélas! de toute cette gibecière? A l'instant qu'il faudrait des miracles pour vous subjuguer, quand la verge de Moïse y suffirait à peine, je n'ai plus même la ressource du bâton de Jacob; plus d'escamorage, de tricherie de coquetterie, d'inflexions de voix, d'illusion théâtrale, rien. C'est ma vertu toute nue que vous allez juger. Ne trouvez donc pas étrange, monsieur, si, mesurant mon style à ma situation, je ne fais pas comme ces écrivains qui se donnent le ton de vous appeler négligemment lecteur, ami lecteur, cher lecteur, bénin ou benoÃt lecteur, ou de telle autre dénomination cavalière, je dirais même indécente, par laquelle ces imprudents essayent de se mettre au pair avec leur juge, et qui ne fait bien souvent que leur en attirer l'animadversion J'ai toujours vu que les airs ne séduisaient personne, et que le ton modeste d'un auteur pouvait seul inspirer un peu d'indulgence à son fier lecteur. Eh! quel écrivain en eut jamais plus besoin que moi? Je voudrais le cacher en vain; j'eus la faiblesse autrefois, monsieur, de vous présenter, en différents temps, deux tristes drames; productions monstrueuses, comme on sait! car entre la tragédie et la comédie, on n'ignore plus qu'il n'existe rien, c'est un point décidé, le maÃtre l'a dit, l'école en retentit et pour moi, j'en suis tellement convaincu que si je voulais aujourd'hui mettre au théâtre une mère éplorée, une épouse trahie, une soeur éperdue, un fils déshérité, pour les présenter décemment au public, je commencerais par leur supposer un beau royaume où ils auraient régné de leur mieux, vers l'un des archipels, ou dans tel autre coin du monde; certain après cela que l'invraisemblance du roman, l'énormité des faits, l'enflure des caractères, le gigantesque des idées et la bouffissure du langage, loin de m'être imputés à reproche, assureraient encore mon succès. Présenter des hommes d'une condition moyenne accablés et dans le malheur! fi donc! On ne doit jamais les montrer que bafoués. Les citoyens ridicules et les rois malheureux, voilà tout le théâtre existant et possible; et je me le tiens pour dit, c'est fait, je ne veux plus quereller avec personne. J'ai donc eu la faiblesse autrefois, monsieur, de faire des drames qui n'étaient pas du bon genre; et je m'en repens beaucoup. Pressé depuis par les événements, j'ai hasardé de malheureux Mémoires, que mes ennemis n'ont pas trouvés du bon style, et j'en ai le remords cruel. Aujourd'hui je fais glisser sous vos yeux une comédie fort gaie, que certains maÃtres de goût n'estiment pas du bon ton; et je ne m'en console point. Peut-être un jour oserai-je affliger votre oreille d'un opéra dont les jeunes gens d'autrefois diront que la musique n'est pas du bon français; et j'en suis tout honteux d'avance. Ainsi, de fautes en pardons, et d'erreurs en excuses, je passerai ma vie à mériter votre indulgence par la bonne foi naïve avec laquelle je reconnaÃtrai les unes en vous présentant les autres. Quant au Barbier de Séville, ce n'est pas pour corrompre votre jugement que je prends ici le ton respectueux mais on m'a fort assuré que lorsqu'un auteur était sorti, quoique échiné, vainqueur au théâtre, il ne lui manquait plus que d'être agréé par vous, monsieur, et lacéré dans quelques journaux, pour avoir obtenu tous les lauriers littéraires. Ma gloire est donc certaine, si vous daignez m'accorder le laurier de votre agrément, persuadé que plusieurs de messieurs les journalistes ne me refuseront pas celui de leur dénigrement. Déjà l'un d'eux, établi dans Bouillon avec approbation et privilège, m'a fait l'honneur encyclopédique d'assurer à ses abonnés que ma pièce était sans plan, sans unité, sans caractères, vide d'intrigue et dénuée de comique. Un autre plus naïf encore, à la vérité sans approbation, sans privilège, et même sans encyclopédie, après un candide exposé de mon drame, ajoute au laurier de sa critique cet éloge flatteur de ma personne "La réputation du sieur de Beaumarchais est bien tombée; et les honnêtes gens sont enfin convaincus que, lorsqu'on lui aura arraché les plumes du paon, il ne restera plus qu'un vilain corbeau noir, avec son effronterie et sa voracité." Puisqu'en effet j'ai eu l'effronterie de faire la comédie du Barbier de Séville, pour remplir l'horoscope entier, je pousserai la voracité jusqu'à vous prier humblement, monsieur, de me juger vous-même, et sans égard aux critiques passés, présents et futurs; car vous savez que, par état, les gens de feuilles sont souvent ennemis des gens de lettres; j'aurai même la voracité de vous prévenir qu'étant saisi de mon affaire, il faut que vous soyez mon juge absolument, soit que vous le vouliez ou non; car vous êtes mon lecteur. Et vous sentez bien, monsieur, que si, pour éviter ce tracas ou me prouver que je raisonne mal, vous refusiez constamment de me lire, vous feriez vous-même une pétition de principe au-dessous de vos lumières n'étant pas mon lecteur, vous ne seriez pas celui à qui s'adresse ma requête. Que si, par dépit de la dépendance où je parais vous mettre, vous vous avisiez de jeter le livre en cet instant de votre lecture, c'est, monsieur, comme si, au milieu de tout autre jugement, vous étiez enlevé du tribunal par la mort, ou tel accident qui vous rayât du nombre des magistrats. Vous ne pouvez éviter de me juger qu'en devenant nul, négatif, anéanti, qu'en cessant d'exister en qualité de mon lecteur. Eh! quel tort vous fais-je en vous élevant au-dessus de moi? Après le bonheur de commander aux hommes, le plus grand honneur, monsieur, n'est-il pas de les juger? Voilà donc qui est arrangé. Je ne reconnais plus d'autre juge que vous; sans excepter messieurs les spectateurs, qui ne jugeant qu'en premier ressort, voient souvent leur sentence infirmée à votre tribunal. L'affaire avait d'abord été plaidée devant eux au théâtre; et, ces messieurs ayant beaucoup ri, j'ai pu penser que j'avais gagné ma cause à l'audience. Point du tout; le journaliste établi dans Bouillon prétend que c'est de moi qu'on a ri. Mais ce n'est là , monsieur, comme on dit en style de palais, qu'une mauvaise chicane de procureur mon but ayant été d'amuser les spectateurs, qu'ils aient ri de ma pièce ou de moi, s'ils ont ri de bon coeur, le but est également rempli ce que j'appelle avoir gagné ma cause à l'audience. Le même journaliste assure encore, ou du moins laisse entendre que j'ai voulu gagner quelques-uns de ces messieurs, en leur faisant des lectures particulières, en achetant d'avance leur suffrage par cette prédilection. Mais ce n'est encore là , monsieur, qu'une difficulté de publiciste allemand. Il est manifeste que mon intention n'a jamais été que de les instruire c'étaient des espèces de consultations que je faisais sur le fond de l'affaire. Que si les consultants, après avoir donné leur avis, se sont mêlés parmi les juges, vous voyez bien, monsieur, que je n'y pouvais rien de ma part, et que c'était à eux de se récuser par délicatesse, s'ils se sentaient de la partialité pour mon barbier andalou. Eh! plût au ciel qu'ils en eussent un peu conservé pour ce jeune étranger! Nous aurions eu moins de peine à soutenir notre malheur éphémère. Tels sont les hommes avez-vous du succès, ils vous accueillent, vous portent, vous caressent, ils s'honorent de vous; mais gardez de broncher dans la carrière au moindre échec, ô mes amis! Souvenez-vous qu'il n'est plus d'amis. Et c'est précisément ce qui nous arriva le lendemain de la plus triste soirée. Vous eussiez vu les faibles amis du Barbier se disperser, se cacher le visage ou s'enfuir les femmes, toujours si braves quand elles protègent, enfoncées dans les coqueluchons jusqu'aux panaches, et baissant des yeux confus; les hommes courant se visiter, se faire amende honorable du bien qu'ils avaient dit de ma pièce, et rejetant sur ma maudite façon de lire les choses tout le faux plaisir qu'ils y avaient goûté. C'était une désertion totale, une vraie désolation. Les uns lorgnaient à gauche, en me sentant passer à droite et ne faisaient plus semblant de me voir ah! dieux! D'autres, plus courageux, mais s'assurant bien si personne ne les regardait, m'attiraient dans un coin pour me dire "Eh! comment avez-vous produit en nous cette illusion? car, il faut en convenir, mon ami, votre pièce est la plus grande platitude du monde. - Hélas! messieurs, j'ai lu ma platitude, en vérité, tout platement comme je l'avais faite; mais, au nom de la bonté que vous avez de me parler encore après ma chute, et pour l'honneur de votre second jugement, ne souffrez pas qu'on redonne la pièce au théâtre si, par malheur, on venait à la jouer comme je l'ai lue, on vous ferait peut-être une nouvelle tromperie, et vous vous en prendriez à moi de ne plus savoir quel jour vous eûtes raison ou tort; ce qu'à Dieu ne plaise!" On ne m'en crut point; on laissa rejouer la pièce, et pour le coup je fus prophète en mon pays. Ce pauvre Figaro, fessé par la cabale en faux-bourdon, et presque enterré le vendredi ne fit point comme Candide; il prit courage, et mon héros se releva le dimanche avec une vigueur que l'austérité d'un carême entier et la fatigue de dix-sept séances publiques n'ont pas encore altérée. Mais qui sait combien cela durera? Je ne voudrais pas jurer qu'il en fût seulement question dans cinq ou six siècles, tant notre nation est inconstante et légère! Les ouvrages de théâtre, monsieur, sont comme les enfants des hommes. Conçus avec volupté, menés à terme avec fatigue, enfantés avec douleur, et vivant rarement assez pour payer les parents de leurs soins, ils coûtent plus de chagrins qu'ils ne donnent de plaisirs. Suivez-les dans leur carrière à peine ils voient le jour, que, sous prétexte d'enflure, on leur applique les censeurs; plusieurs en sont restés en chartre. Au lieu de jouer doucement avec eux, le cruel parterre les rudoie et les fait tomber. Souvent, en les berçant, le comédien les estropie. Les perdez-vous un instant de vue, on les trouve, hélas! traÃnant partout, mais dépenaillés, défigurés, rouges d'extraits et couverts de critiques. Echappés à tant de maux, s'ils brillent un moment dans le monde, le plus grand de tous les atteint le mortel oubli les tue; ils meurent, et, replongés au néant, les voilà perdus à jamais dans l'immensité des livres. Je demandais à quelqu'un pourquoi ces combats, cette guerre animée entre le parterre et l'auteur, à la première représentation des ouvrages, même de ceux qui devaient plaire un autre jour. "Ignorez-vous, me dit-il, que Sophocle et le vieux Denys sont morts de joie d'avoir remporté le prix des vers au théâtre? Nous aimons trop nos auteurs pour souffrir qu'un excès de joie nous prive d'eux, en les étouffant aussi, pour les conserver, avons-nous grand soin que leur triomphe ne soit jamais si pur qu'ils puissent en expirer de plaisir." Quoi qu'il en soit des motifs de cette rigueur, l'enfant de mes loisirs, ce jeune, cet innocent Barbier, tarit dédaigné le premier jour, loin d'abuser le surlendemain de son triomphe, ou de montrer de l'humeur à ses critiques, ne s'en est que plus empressé de les désarmer par l'enjouement de son caractère. Exemple rare et frappant, monsieur, dans un siècle d'ergotisme, où l'on calcule tout jusqu'au rire; où la plus légère diversité d'opinions fait germer les bonnes éternelles; où tous les jeux tournent en guerre; où l'injure qui repousse l'injure est à son tour payée par l'injure, jusqu'à ce qu'une autre effaçant cette dernière en enfante une nouvelle, auteur de plusieurs autres, et propage ainsi l'aigreur à l'infini, depuis le rire jusqu'à la satiété, jusqu'au dégoût, à l'indignation même du lecteur le plus caustique. Quant à moi, monsieur, s'il est vrai, comme on l'a dit, que tous les hommes soient frères et c'est une belle idée, je voudrais qu'on pût engager nos frères les gens de lettres à laisser, en discutant, le ton rogue et tranchant à nos frères les libellistes qui s'en acquittent si bien! ainsi que les injures à nos frères les plaideurs... qui ne s'en acquittent pas mal non plus! Je voudrais surtout qu'on pût engager nos frères les journalistes à renoncer à ce ton pédagogue et magistral avec lequel ils gourmandent les fils d'Apollon, et font rire la sottise aux dépens de l'esprit. Ouvrez un journal ne semble-t-il pas voir un dur répétiteur, la férule ou la verge levée sur des écoliers négligents, les traiter en esclaves au plus léger défaut dans le devoir? Eh! mes frères, il s'agit bien de devoir ici! la littérature en est le délassement et la douce récréation. A mon égard au moins, n'espérez pas asservir dans ses jeux mon esprit à la règle il est incorrigible, et, la classe du devoir une fois fermée, il devient si léger et badin que je ne puis que jouer avec lui. Comme un liège emplumé qui bondit sur la raquette, il s'élève, il retombe, il égaye mes yeux, repart en l'air, y fait la roue, et revient encore. Si quelque joueur adroit veut entrer en partie et ballotter à nous deux le léger volant de mes pensées, de tout mon coeur; s'il riposte avec grâce et légèreté, le jeu m'amuse et la partie s'engage. Alors on pourrait voir les coups portés, parés, reçus, rendus, accélérés, pressés, relevés même avec une prestesse, une agilité propre à réjouir autant les spectateurs qu'elle animerait les acteurs. Telle au moins, monsieur, devrait être la critique; et c'est ainsi que j'ai toujours conçu la dispute entre les gens polis qui cultivent les lettres. Voyons, je vous prie, si le journaliste de Bouillon a conservé dans sa critique ce caractère aimable et surtout de candeur pour lequel on vient de faire des voeux. "La pièce est une farce", dit-il. Passons sur les qualités. Le méchant nom qu'un cuisinier étranger donne aux ragoûts français ne change rien à leur saveur c'est en passant par ses mains qu'ils se dénaturent. Analysons la farce de Bouillon. "La pièce, a-t-il dit, n'a pas de plan." Est-ce parce qu'il est trop simple qu'il échappe à la sagacité de ce critique adolescent? Un vieillard amoureux prétend épouser demain sa pupille; un jeune amant plus adroit le prévient, et ce jour même en fait sa femme à la barbe et dans la maison du tuteur. Voilà le fond, dont un eût pu faire, avec un égal succès, une tragédie, une comédie, un drame, un opéra, et caetera. L'Avare de Molière est-il autre chose? le grand Mithridate est-il autre chose? Le genre d'une pièce, comme celui de toute autre action, dépend moins du fond des choses que des caractères qui les mettent en oeuvre. Quant à moi, ne voulant faire, sur ce plan, qu'une pièce amusante et sans fatigue, une espèce d'imbroille, il m'a suffi que le machiniste au lieu d'être un noir scélérat, fût un drôle de garçon, un homme insouciant, qui rit également du succès et de la chute de ses entreprises, pour que l'ouvrage, loin de tourner en drame sérieux, devÃnt une comédie fort gaie et de cela seul que le tuteur est un peu moins sot que tous ceux qu'on trompe au théâtre, il est résulté beaucoup de mouvement dans la pièce, et surtout la nécessité d'y donner plus de ressort aux intrigants. Au lieu de rester dans ma simplicité comique, si j'avais voulu compliquer, étendre et tourmenter mon plan à la manière tragique ou dramique, imagine-t-on que j'aurais manqué de moyens dans une aventure dont je n'ai mis en scènes que la partie la moins merveilleuse? En effet, personne aujourd'hui n'ignore qu'à l'époque historique où la pièce finit gaiement dans mes mains, la querelle commença sérieusement à s'échauffer, comme qui dirait derrière la toile, entre le docteur et Figaro, sur les cent écus. Des injures on en vint aux coups. Le docteur, étrillé par Figaro, fit tomber, en se débattant, le rescille ou filet qui coiffait le barbier; et l'on vit, non sans surprise, une forme de spatule imprimée à chaud sur sa tête rasée. Suivez-moi, monsieur, je vous prie. A cet aspect, moulu de coups en qu'il est, le médecin s'écrie avec transport "Mon fils! ô ciel, mon fils! mon cher fils!..." Mais avant que Figaro l'entende, il a redoublé de horions sur son cher père. En effet, ce l'était. Ce Figaro, qui pour toute famille avait jadis connu sa mère, est fils naturel de Bartholo. Le médecin, dans sa jeunesse, eut cet enfant d'une personne en condition, que les suites de son imprudence firent passer du service au plus affreux abandon. Mais avant de les quitter, le désolé Bartholo, frater alors, a fait rougir sa spatule; il en a timbré son fils à l'occiput, pour le reconnaÃtre un jour, si jamais le sort les rassemble. La mère et l'enfant avaient passé six années dans une honorable mendicité; lorsqu'un chef de bohémiens, descendu de Luc Gauric, traversant l'Andalousie avec sa troupe, et consulté par la mère sur le destin de son fils, déroba l'enfant furtivement, et laissa par écrit cet horoscope à sa place Après avoir versé le sang dont il est né, Ton fils assommera son père infortuné; Puis, tournant sur lui-même et le fer et le crime, Il se frappe, et devient heureux et légitime. En changeant d'état sans le savoir, l'infortuné jeune homme a changé de nom sans le vouloir; il s'est élevé sous celui de Figaro il a vécu. Sa mère est cette Marceline, devenue vieille et gouvernante chez le docteur, que l'affreux horoscope de son fils a consolé de sa perte. Mais aujourd'hui tout s'accomplit. En saignant Marceline au pied, comme on le voit dans ma pièce, ou plutôt comme on ne l'y voit pas, Figaro remplit le premier vers Après avoir versé le sang dont il est né, Quand il étrille innocemment le docteur, après la toile tombée, il accomplit le second vers Ton fils assommera son père infortuné; A l'instant, la plus touchante reconnaissance a lieu entre le médecin, la vieille et Figaro C'est vous! C'est lui! C'est toi! C'est moi! Quel coup de théâtre! Mais le fils, au désespoir de son innocente vivacité, fond en larmes, et se donne un coup de rasoir, selon le sens du troisième vers Puis tournant sur lui-même et le fer et le crime, Il se frappe, et... Quel tableau! En n'expliquant point si, du rasoir, il se coupe la gorge ou seulement le poil du visage, on voit que j'avais le choix de finir ma pièce au plus grand pathétique. Enfin, le docteur épouse la vieille; et Figaro, suivant la dernière leçon, ... devient heureux et légitime. Quel dénouement! Il ne m'en eût coûté qu'un sixième acte! Eh, quel sixième acte! Jamais tragédie au Théâtre-Français... Il suffit. Reprenons ma pièce à l'état où elle a été jouée et critiquée. Lorsqu'on me reproche avec aigreur ce que j'ai fait, ce n'est pas l'instant de louer ce que j'aurais pu faire. "La pièce est invraisemblable dans sa conduite", a dit encore le journaliste établi dans Bouillon avec approbation et privilège. - Invraisemblable? Examinons cela par plaisir. Son Excellence M. le Comte Almaviva, dont j'ai, depuis longtemps, l'honneur d'être ami particulier, est un jeune seigneur, ou, pour mieux dire, était; car l'âge et les grands emplois en ont fait depuis un homme fort grave, ainsi que je le suis devenu moi-même. Son Excellence était donc un jeune seigneur espagnol, vif, ardent, comme tous les amants de sa nation, que l'on croit froide et qui n'est que paresseuse. Il s'était mis secrètement à la poursuite d'une belle personne qu'il avait entrevue à Madrid, et que son tuteur a bientôt ramenée au lieu de sa naissance. Un matin qu'il se promenait sous ses fenêtres à Séville, où, depuis huit jours, il cherchait à s'en faire remarquer, le hasard conduisit au même endroit Figaro le barbier. - Ah! le hasard, dira mon critique et si le hasard n'eût pas conduit ce jour-là le barbier dans cet endroit, que devenait la pièce? - Elle eût commencé, mon frère, à quelque autre époque. - Impossible, puisque le tuteur, selon vous-même, épousait le lendemain. - Alors il n'y aurait pas eu de pièce; ou, s'il y en avait eu, mon frère, elle aurait été différente. Une chose est-elle invraisemblable, parce qu'elle était possible autrement? Réellement vous avez un peu d'humeur. Quand le cardinal de Retz nous dit froidement; "Un jour j'avais besoin d'un homme; à la vérité, je ne voulais qu'un fantôme j'aurais désiré qu'il fût petit-fils de Henri le Grand; qu'il eût de longs cheveux blonds; qu'il fût beau, bien fait, bien séditieux, qu'il eût le langage et l'amour des halles; et voilà que le hasard me fait rencontrer à Paris M. de Beaufort, échappé de la prison du roi c'était justement l'homme qu'il me fallait"; va-t-on dire au coadjuteur "Ah! le hasard! Mais si vous n'eussiez pas rencontré M. de Beaufort? Mais ceci, mais cela?" Le hasard donc conduisit en ce même endroit Figaro le barbier, beau diseur, mauvais poète, hardi musicien, grand fringueneur de guitare, et jadis valet de chambre du Comte, établi dans Séville, y faisant avec succès des barbes, des romances et des mariages; y maniant également le fer du phlébotome et le piston du pharmacien; la terreur des maris, la coqueluche des femmes, et justement l'homme qu'il nous fallait. Et comme en toute recherche ce qu'on nomme passion n'est autre chose qu'un désir irrité par la contradiction, le jeune amant, qui n'eût peut-être eu qu'un goût de fantaisie pour cette beauté s'il l'eût rencontrée dans le monde, en devient amoureux parce qu'elle est enfermée, au point de faire l'impossible pour l'épouser. Mais vous donner ici l'extrait entier de la pièce, monsieur, serait douter de la sagacité, de l'adresse avec laquelle vous saisirez le dessein de l'auteur, et suivrez le fil de l'intrigue, à travers un léger dédale. Moins prévenu que le journal de Bouillon, qui se trompe, avec approbation et privilège, sur toute la conduite de cette pièce, vous verrez que tous les soins de l'amant ne sont pas destinés à remettre simplement une lettre, qui n'est là qu'un léger accessoire à l'intrigue, mais bien à s'établir dans un fort défendu par la vigilance et le soupçon, surtout à tromper un homme qui, sans cesse éventant la manoeuvre, oblige l'ennemi de se retourner assez lestement pour n'être pas désarçonné d'emblée. Et lorsque vous verrez que tout le mérite du dénouement consiste en ce que le tuteur a fermé sa porte, en donnant son passe-partout à Bazile, pour que lui seul et le notaire pussent entrer et conclure son mariage, vous ne laisserez pas d'être étonné qu'un critique aussi équitable se joue de la confiance de son lecteur, ou se trompe, au point d'écrire, et dans Bouillon encore Le Comte s'est donné la peine de monter au balcon par une échelle avec Figaro, quoique la porte ne soit pas fermée. Enfin, lorsque vous verrez le malheureux tuteur, abusé par toutes les précautions qu'il prend pour ne le point être, à la fin forcé de signer au contrat du Comte et d'approuver ce qu'il n'a pu prévenir, vous laisserez au critique à décider si ce tuteur était un imbécile, de ne pas deviner une intrigue dont on lui cachait tout, lorsque lui, critique, à qui l'on ne cachait rien, ne l'a pas devinée plus que le tuteur. En effet, s'il l'eût bien conçue, aurait-il manqué de louer tous les beaux endroits de l'ouvrage? Qu'il n'ait point remarqué la manière dont le premier acte annonce et déploie avec gaieté tous les caractères de la pièce, on peut lui pardonner. Qu'il n'ait pas aperçu quelque peu de comédie dans la grande scène du second acte, où, malgré la défiance et la fureur du jaloux, la pupille parvient à lui donner le change sur une lettre remise en sa présence, et à lui faire demander pardon à genoux du soupçon qu'il a montré, je le conçois encore aisément. Qu'il n'ait pas dit un seul mot de la scène de stupéfaction de Bazile au troisième acte, qui a paru si neuve au théâtre, et a tant réjoui les spectateurs, je n'en suis point surpris du tout. Passe encore qu'il n'ait pas entrevu l'embarras où l'auteur s'est jeté volontairement au dernier acte, en faisant avouer par la pupille à son tuteur que le Comte avait dérobé la clef de sa jalousie; et comment l'auteur s'en démêle en deux mots et sort, en se jouant, de la nouvelle inquiétude qu'il a imprimée aux spectateurs. C'est peu de chose en vérité. Je veux bien qu'il ne lui soit pas venu à l'esprit que la pièce, une des plus gaies qui soient au théâtre, est écrite sans la moindre équivoque, sans une pensée, un seul mot dont la pudeur, même des petites loges, ait à s'alarmer; ce qui pourtant est bien quelque chose, monsieur, dans un siècle où l'hypocrisie de la décence est poussée presque aussi loin que le relâchement des moeurs. Très volontiers. Tout cela sans doute pouvait n'être pas digne de l'attention d'un critique aussi majeur. Mais comment n'a-t-il pas admiré ce que tous les honnêtes gens n'ont pu voir sans répandre des larmes de tendresse et de plaisir? Je veux dire la piété filiale de ce bon Figaro, qui ne saurait oublier sa mère! Tu connais donc ce tuteur? lui dit le Comte au premier acte. Comme ma mère, répond Figaro. Un avare aurait dit; Comme mes poches. Un petit-maÃtre eût répondu Comme moi-même; un ambitieux Comme le chemin de Versailles; et le journaliste de Bouillon Comme mon libraire; les comparaisons de chacun se tirant toujours de l'objet intéressant. Comme ma mère, a dit le fils tendre et respectueux. Dans un autre endroit encore Ah! vous êtes charmant! lui dit le tuteur. Et ce bon, cet honnête garçon qui pouvait gaiement assimiler cet éloge à tous ceux qu'il a reçus de ses maÃtresses, en revient toujours à sa bonne mère, et répond à ce mot Vous êtes charmant! - Il est vrai, monsieur, que ma mère me l'a dit autrefois. Et le journal de Bouillon ne relève point de pareils traits! Il faut avoir le cerveau bien desséché pour ne les pas voir, ou le coeur bien dur pour ne pas les sentir. Sans compter mille autres finesses de l'art répandues à pleines mains dans cet ouvrage. Par exemple, on sait que les comédiens ont multiplié chez eux les emplois à l'infini emplois de grande, moyenne et petite amoureuse; emplois de grands, moyens et petits valets; emplois de niais, d'important, de croquant, de paysan, de tabellion, de bailli mais on sait qu'ils n'ont pas encore appointé celui de bâillant. Qu'a fait l'auteur pour former un comédien peu exercé au talent d'ouvrir largement la bouche au théâtre? Il s'est donné le soin de lui rassembler, dans une seule phrase, toutes les syllabes bâillantes du français Rien... qu'en... l'en... ten... dant... parler syllabes, en effet, qui feraient bâiller un mort, et parviendraient à desserrer les dents même de l'envie! En cet endroit admirable où, pressé par les reproches du tuteur qui lui crie Que direz-vous à ce malheureux qui bâille et dort tout éveillé? Et l'autre qui, depuis trois heures, éternue à se faire sauter le crâne et jaillir la cervelle? Que leur direz-vous? Le naïf barbier répond Eh! parbleu, je dirai à celui qui éternue Dieu vous bénisse! et Va te coucher à celui qui bâille. Réponse en effet si juste, si chrétienne et si admirable, qu'un de ces fiers critiques qui ont leurs entrées au paradis n'a pu s'empêcher de s'écrier "Diable! l'auteur a dû rester au moins huit jours à trouver cette réplique!" Et le journal de Bouillon, au lieu de louer ces beautés sans nombre, use encre et papier, approbation et privilège, à mettre un pareil ouvrage au-dessous même de la critique! On me couperait le cou, monsieur, que je ne saurais m'en taire. N'a-t-il pas été jusqu'à dire, le cruel! que, pour ne pas voir expirer ce Barbier sur le théâtre, il a fallu le mutiler, le changer, le refondre, l'élaguer, le réduire en quatre actes, et le purger d'un grand nombre de pasquinades, de calembours, de jeux de mots, en un mot, de bas comique? A le voir ainsi frapper comme un sourd, on juge assez qu'il n'a pas entendu le premier mot de l'ouvrage qu'il décompose. Mais j'ai l'honneur d'assurer ce journaliste, ainsi que le jeune homme qui lui taille ses plumes et ses morceaux, que loin d'avoir purgé la pièce d'aucun des calembours, jeux de mots, etc., qui lui eussent nui le premier jour, l'auteur a fait rentrer dans les actes restés au théâtre tout ce qu'il en a pu reprendre à l'acte au portefeuille tel un charpentier économe cherche, dans ses copeaux épars sur le chantier, tout ce qui peut servir à cheviller et boucher les moindres trous de son ouvrage. Passerons-nous sous silence le reproche aigu qu'il fait à la jeune personne, d'avoir sous les défauts d'une fille mal élevée? Il est vrai que, pour échapper aux conséquences d'une telle imputation, il tente à la rejeter sur autrui, comme s'il n'en était pas l'auteur, en employant cette expression banale; On trouve à la jeune personne, etc. On trouve!... Que voulait-il donc qu'elle fÃt? Quoi! qu'au lieu de se prêter aux vues d'un jeune amant très aimable et qui se trouve un homme de qualité, notre charmante enfant épousât le vieux podagre médecin? Le noble établissement qu'il lui destinait là ! Et parce qu'on n'est pas de l'avis de monsieur, on a tous les défauts d'une fille mal élevée! En vérité si le journal de Bouillon se fait des amis en France par la justesse et la candeur de ses critiques, il faut avouer qu'il en aura beaucoup moins au-delà des Pyrénées, et qu'il est surtout un peu bien dur pour les dames espagnoles. Eh! qui sait si Son Excellence madame la comtesse Almaviva, l'exemple des femmes de son état, et vivant comme un ange avec son mari, quoiqu'elle ne l'aime plus, ne se ressentira pas un jour des libertés qu'on se donne à Bouillon sur elle avec approbation et privilège? L'imprudent journaliste a-t-il au moins réfléchi que Son Excellence, ayant, par le rang de son mari, le plus grand crédit dans les bureaux, eût pu lui faire obtenir quelque pension sur la Gazette d'Espagne, ou la Gazette elle-même; et que, dans la carrière qu'il embrasse, il faut garder plus de ménagements pour les femmes de qualité? Qu'est-ce que cela me fait, à moi? L'on sent bien que c'est pour lui seul que j'en parle. Il est temps de laisser cet adversaire, quoiqu'il soit à la tête des gens qui prétendent que, n'ayant pu me soutenir en cinq actes, je me suis mis en quatre pour ramener le public. Et quand cela serait! Dans un moment d'oppression, ne vaut-il pas mieux sacrifier un cinquième de son bien que de le voir aller tout entier au pillage? Mais ne tombez pas, cher lecteur... monsieur, veux-je dire, ne tombez pas, je vous prie, dans une erreur populaire qui ferait grand tort à votre jugement. Ma pièce, qui paraÃt n'être aujourd'hui qu'en quatre actes, est réellement et de fait, en cinq, qui sont le premier, le deuxième, le troisième, le quatrième et le cinquième, à l'ordinaire. Il est vrai que, le jour du combat, voyant les ennemis acharnés, le parterre ondulant, agité, grondant au loin comme les flots de la mer, et trop certain que ces mugissements sourds, précurseurs des tempêtes, ont amené plus d'un naufrage, je vins à réfléchir que beaucoup de pièces en cinq actes comme la mienne, toutes très bien faites d'ailleurs comme la mienne, n'auraient pas été au diable en entier comme la mienne, si l'auteur eût pris un parti vigoureux comme le mien. Le dieu des cabales est irrité, dis-je aux comédiens avec force Enfants! un sacrifice est ici nécessaire. Alors, faisant la part au diable, et déchirant mon manuscrit - Dieu des siffleurs, moucheurs, cracheurs, tousseurs et perturbateurs, m'écriai-je, il te faut du sang; bois mon quatrième acte, et que ta fureur s'apaise! A l'instant vous eussiez vu ce bruit infernal, qui faisait pâlir et broncher les acteurs, s'affaiblir, s'éloigner, s'anéantir; l'applaudissement lui succéder, et des bas-fonds du parterre un bravo général s'élever en circulant jusqu'aux hauts bancs du paradis. De cet exposé, monsieur, il suit que ma pièce est restée en cinq actes, qui sont le premier, le deuxième, le troisième au théâtre, le quatrième au diable et le cinquième avec les trois premiers. Tel auteur même vous soutiendra que ce quatrième acte, qu'on n'y voit point, n'en est pas moins celui qui fait le plus de bien à la pièce, en ce qu'on ne l'y voit point. Laissons jaser le monde; il me suffit d'avoir prouvé mon dire; il me suffit, en faisant mes cinq actes, d'avoir montré mon respect pour Aristote, Horace, Aubignac et les modernes, et d'avoir mis ainsi l'honneur de la règle à couvert. Par le second arrangement, le diable a son affaire mon char n'en roule pas moins bien sans la cinquième roue le public est content, je le suis aussi. Pourquoi le journal de Bouillon ne l'est-il pas? - Ah! pourquoi? C'est qu'il est bien difficile de plaire à des gens qui, par métier, doivent ne jamais trouver les choses gaies assez sérieuses, ni les graves assez enjouées. Je me flatte, monsieur, que cela s'appelle raisonner principes, et que vous n'êtes pas mécontent de mon petit syllogisme. Reste à répondre aux observations dont quelques personnes ont honoré le moins important des drames hasardés depuis un siècle au théâtre. Je mets à part les lettres écrites aux comédiens, à moi-même, sans signature, et vulgairement appelées anonymes; on juge, à l'âpreté du style, que leurs auteurs, peu versés dans la critique, n'ont pas assez senti qu'une mauvaise pièce n'est point une mauvaise action, et que telle injure convenable à un méchant homme est toujours déplacée à un méchant écrivain. Passons aux autres. Des connaisseurs ont remarqué que j'étais tombé dans l'inconvénient de faire critiquer des usages français par un plaisant de Séville à Séville; tandis que la vraisemblance exigeait qu'il s'étayât sur les moeurs espagnoles. Ils ont raison j'y avais même tellement pensé que, pour rendre la vraisemblance encore plus parfaite, j'avais d'abord résolu d'écrire et de faire jouer la pièce en langage espagnol; mais un homme de goût m'a fait observer qu'elle en perdrait peut-être un peu de sa gaieté pour le public de Paris; raison qui m'a déterminé à l'écrire en français en sorte que j'ai fait, comme on voit, une multitude de sacrifices à la gaieté, mais sans pouvoir parvenir à dérider le journal de Bouillon. Un autre amateur, saisissant l'instant qu'il y avait beaucoup de monde au foyer, m'a reproché, du ton le plus sérieux, que ma pièce ressemblait à On ne s'avise jamais de tout. - Ressembler, monsieur! Je tiens que ma pièce est On ne s'avise jamais de tout lui-même. - Et comment cela? - C'est qu'on ne s'était pas encore avisé de ma pièce. L'amateur resta court, et l'on en rit d'autant plus, que celui-là qui me reprochait On ne s'avise jamais de tout est un homme qui ne s'est jamais avisé de rien. Quelques jours après ceci est plus sérieux chez une dame incommodée, un monsieur grave, en habit noir, coiffure bouffante et canne à corbin, lequel touchait légèrement le poignet de la dame, proposa civilement plusieurs doutes sur la vérité des traits que j'avais lancés contre les médecins. Monsieur, lui dis-je, êtes-vous ami de quelqu'un d'eux? Je serais désolé qu'un badinage... - On ne peut pas moins je vois que vous ne me connaissez pas; je ne prends jamais le parti d'aucun; je parle ici pour le corps en général. - Cela me fit beaucoup chercher quel homme ce pouvait être. En fait de plaisanterie, ajoutai-je, vous savez, monsieur, qu'on ne demande jamais si l'histoire est vraie, mais si elle est bonne. - Eh! croyez-vous moins perdre à cet examen qu'au premier? - A merveille, docteur, dit la dame. Le monstre qu'il est! n'a-t-il pas osé parler aussi mal de nous? Faisons cause commune. A ce mot de docteur, je commençai à soupçonner qu'elle parlait à son médecin. - Il est vrai, madame et monsieur, repris-je avec modestie, que je me suis permis ces légers torts d'autant plus aisément qu'ils tirent moins à conséquence. Eh! qui pourrait nuire à deux corps puissants dont l'empire embrasse l'univers et se partage le monde? Malgré les envieux, les belles y régneront toujours par le plaisir, et les médecins par la douleur et la brillante santé nous ramène à l'amour, comme la maladie nous rend à la médecine. Cependant je ne sais si, dans la balance des avantages, la Faculté ne l'emporte pas un peu sur la Beauté. Souvent on voit les belles nous renvoyer aux médecins; mais plus souvent encore les médecins nous gardent, et ne nous renvoient plus aux belles. En plaisantant donc, il faudrait peut-être avoir égard à la différence des ressentiments, et songer que, si les belles se vengent en se séparant de nous, ce n'est là qu'un mal négatif; au lieu que les médecins se vengent en s'en emparant, ce qui devient très positif. Que, quand ces derniers nous tiennent, ils font de nous tout ce qu'ils veulent; au lieu que les belles, toutes belles qu'elles sont, n'en font jamais que ce qu'elles peuvent. Que le commerce des belles nous les rend bientôt moins nécessaires; au lieu que l'usage des médecins finit par nous les rendre indispensables. Enfin, que l'un de ces empires ne semble établi que pour assurer la durée de l'autre; puisque, plus la verte jeunesse est livrée à l'amour, plus la pâle vieillesse appartient sûrement à la médecine. Au reste, ayant fait contre moi cause commune, il était juste, madame et monsieur, que je vous offrisse en commun mes justifications. Soyez donc persuadés que, faisant profession d'adorer les belles et de redouter les médecins, c'est toujours en badinant que je dis du mal de la Beauté; comme ce n'est jamais sans trembler que je plaisante un peu la Faculté. Ma déclaration n'est point suspecte à votre égard, mesdames; et mes plus acharnés ennemis sont forcés d'avouer que, dans un instant d'humeur, où mon dépit contre une belle allait s'épancher trop librement sur toutes les autres, on m'a vu m'arrêter tout court au vingt-cinquième couplet, et, par le plus prompt repentir, faire ainsi, dans le vingt-sixième, amende honorable aux belles irritées Sexe charmant, si je décèle Votre coeur en proie au désir, Souvent à l'amour infidèle, Mais toujours fidèle au plaisir, D'un badinage, ô mes déesses! Ne cherchez point à vous venger Tel glose, hélas! sur vos faiblesses, Qui brûle de les partager. Quant à vous, monsieur le docteur, on sait assez que Molière... - Au désespoir, dit-il en se levant, de ne pouvoir profiter plus longtemps de vos lumières; mais l'humanité qui gémit ne doit pas souffrir de mes plaisirs. Il me laissa, ma foi! la bouche ouverte avec ma phrase en l'air. - Je ne sais pas, dit la belle malade en riant, si je vous pardonne; mais je vois bien que notre docteur ne vous pardonne pas. - Le nôtre, madame! Il ne sera jamais le mien, - Eh! pourquoi? - Je ne sais; je craindrais qu'il ne fût au-dessous de son état, puisqu'il n'est pas au-dessus des plaisanteries qu'on en peut faire. Ce docteur n'est pas de mes gens. L'homme assez consommé dans son art pour en avouer de bonne foi l'incertitude, assez spirituel pour rire avec moi de ceux qui le disent infaillible, tel est mon médecin. En me rendant ses soins qu'ils appellent des visites, en me donnant ses conseils qu'ils nomment des ordonnances, il remplit dignement, et sous faste, la plus noble fonction d'une âme éclairée et sensible. Avec plus d'esprit, il calcule plus de rapports, et c'est tout ce qu'on peut dans un art aussi utile qu'incertain. Il me raisonne, il me console, il me guide, et la nature fait le reste. Aussi, loin de s'offenser de la plaisanterie, est-il le premier à l'opposer au pédantisme. A l'infatué qui lui dit gravement "De quatre-vingts fluxions de poitrine que j'ai traitées cet automne, un seul malade a péri dans mes mains", mon docteur répond en souriant; "Pour moi, j'ai prêté mes secours à plus de cent cet hiver; hélas! je n'en ai pu sauver qu'un seul." Tel est mon aimable médecin. - Je le connais. - Vous permettez bien que je ne l'échange pas contre le vôtre. Un pédant n'aura pas plus ma confiance en maladie, qu'une bégueule n'obtiendrait mon hommage en santé. Mais je ne suis qu'un sot. Au lieu de vous rappeler mon amende honorable au beau sexe, je devais lui chanter le couplet de la bégueule; il est tout fait pour lui Pour égayer ma poésie, Au hasard j'assemble des traits; J'en fais, peintre de fantaisie, Des tableaux, jamais des portraits; La femme d'esprit, qui s'en moque, Sourit finement à l'auteur Pour l'imprudente qui s'en choque, Sa colère est son délateur. - A propos de chanson, dit la dame, vous êtes bien honnête d'avoir été donner votre pièce aux Français! moi qui n'ai de petite loge qu'aux Italiens! Pourquoi n'en avoir pas fait un opéra-comique? Ce fut, dit-on, votre première idée. La pièce est d'un genre à comporter de la musique. - Je ne sais si elle est propre à la supporter, ou si je m'étais trompé d'abord en le supposant mais, sans entrer dans les raisons qui m'ont fait changer d'avis, celle-ci, madame, répond à tout. Notre musique dramatique ressemble trop encore à notre musique chansonnière, pour en attendre un véritable intérêt ou de la gaieté franche. Il faudra commencer à l'employer sérieusement au théâtre, quand on sentira bien qu'on ne doit y chanter que pour parler; quand nos musiciens se rapprocheront de la nature, et surtout cesseront de s'imposer l'absurde loi de toujours revenir à la première partie d'un air après qu'ils en ont dit la seconde. Est-ce qu'il y a des reprises et des rondeaux dans un drame? Ce cruel radotage est la mort de l'intérêt, et dénote un vide insupportable dans les idées. Moi qui ai toujours chéri la musique sans inconstance et même sans infidélité, souvent, aux pièces qui m'attachent le plus, je me surprends à pousser de l'épaule, à dire tout bas avec humeur Eh! va donc, musique! pourquoi toujours répéter? N'es-tu pas assez lente? Au lieu de narrer vivement, tu rabâches! au lieu de peindre la passion, tu t'accroches aux mots! Le poète se tue à serrer l'événement, et toi tu le délayes! Que lui sert de rendre son style énergique et pressé, si tu l'ensevelis sous d'inutiles fredons? Avec ta stérile abondance, reste, reste aux chansons pour toute nourriture, jusqu'à ce que tu connaisses le langage sublime et tumultueux des passions. En effet, si la déclamation est déjà un abus de la narration au théâtre, le chant, qui est un abus de la déclamation, n'est donc, comme on voit, que l'abus de l'abus. Ajoutez-y la répétition des phrases, et voyez ce que devient l'intérêt. Pendant que le vice ici va toujours en croissant, l'intérêt marche à sens contraire; l'action s'alanguit; quelque chose me manque; je deviens distrait; l'ennui me gagne; et si je cherche alors à deviner ce que je voudrais, il m'arrive souvent de trouver que je voudrais la fin du spectacle. Il est un autre art d'imitation, en général beaucoup moins avancé que la musique, mais qui semble en ce point lui servir de leçon. Pour la variété seulement, la danse élevée est déjà le modèle du chant. Voyez le superbe Vestris ou le fier d'Auberval engager un pas de caractère. Il ne danse pas encore; mais d'aussi loin qu'il paraÃt, son port libre et dégagé fait déjà lever la tête aux spectateurs. Il inspire autant de fierté qu'il promet de plaisirs. Il est parti... Pendant que le musicien redit vingt fois ses phrases et monotone ses mouvements, le danseur varie les siens à l'infini. Le voyez-vous s'avancer légèrement à petits bonds, reculer à grands pas, et faire oublier le comble de l'art par la plus ingénieuse négligence? Tantôt sur un pied, gardant le plus savant équilibre, et suspendu sans mouvement pendant plusieurs mesures, il étonne, il surprend par l'immobilité de son aplomb... Et soudain, comme s'il regrettait le temps du repos, il part comme un trait, vole au fond du théâtre, et revient en pirouettant, avec une rapidité que l'oeil peut suivre à peine. L'air a beau recommencer, rigaudonner, se répéter, se radoter, il ne se répète point, lui! Tout en déployant les mâles beautés d'un corps souple et puissant, il peint les mouvements violents dont son âme est agitée il vous lance un regard passionné que ses bras mollement ouverts rendent plus expressif et, comme s'il se lassait bientôt de vous plaire, il se relève avec dédain, se dérobe à l'oeil qui le suit, et la passion la plus fougueuse semble alors naÃtre et sortir de la plus douce ivresse. Impétueux, turbulent, il exprime une colère si bouillante et si vraie, qu'il m'arrache à mon siège et me fait froncer le sourcil. Mais, reprenant soudain le geste et l'accent d'une volupté paisible, il erre nonchalamment avec une grâce, une mollesse et des mouvements si délicats, qu'il enlève autant de suffrages qu'il y a de regards attachés sur sa danse enchanteresse. Compositeurs, chantez comme il danse, et nous aurons, au lieu d'opéras, des mélodrames! Mais j'entends mon éternel censeur je ne sais plus s'il est d'ailleurs ou de Bouillon qui me dit Que prétend-on par ce tableau? Je vois un talent supérieur, et non la danse en général. C'est dans sa marche ordinaire qu'il faut saisir un art pour le comparer, et non dans ses efforts les plus sublimes. N'avons-nous pas... Je l'arrête à mon tour. - Eh quoi! si je veux peindre un coursier et me former une juste idée de ce noble animal, irai-je le chercher hongre et vieux, gémissant au timon du fiacre, ou trottinant sous le plâtrier qui siffle? Je le prends au haras, fier étalon, vigoureux, découplé, l'oeil ardent, frappant la terre et soufflant le feu par les naseaux; bondissant de désirs et d'impatience, ou fendant l'air qu'il électrise, et dont le brusque hennissement réjouit l'homme, et fait tressaillir toutes les cavales de la contrée. Tel est mon danseur. Et quand je crayonne un art, c'est parmi les grands sujets qui l'exercent que j'entends choisir mes modèles; tous les efforts du génie... Mais je m'éloigne trop de mon sujet, revenons au Barbier de Séville... ou plutôt, monsieur, n'y revenons pas. C'est assez pour une bagatelle. Insensiblement je tomberais dans le défaut reproché trop justement à nos Français, de toujours faire de petites chansons sur les grandes affaires, et de grandes dissertations sur les petites. Je suis, avec le plus profond respect, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur. L'AUTEUR. Personnages Les habits des acteurs doivent être dans l'ancien costume espagnol. Le Comte Almaviva, grand d'Espagne, amant inconnu de Rosine, paraÃt, au premier acte, en veste et culotte de satin; il est enveloppé d'un grand manteau brun ou cape espagnole; chapeau noir rabattu, avec un ruban de couleur autour de la forme. Au deuxième acte, habit uniforme de cavalier, avec des moustaches et des bottines. Au troisième, habillé en bachelier; cheveux ronds, grande fraise au cou; veste, culotte, bas et manteau d'abbé. Au quatrième acte, il est vêtu superbement à l'espagnole avec un riche manteau; par-dessus tout, le large manteau brun dont il se tient enveloppé. Bartholo, médecin, tuteur de Rosine habit noir, court, boutonné; grande perruque; fraise et manchettes relevées; une ceinture noire; et quand il veut sortir de chez lui, un long manteau écarlate. Rosine, jeune personne d'extraction noble, et pupille de Bartholo; habillée à l'espagnole. Figaro, barbier de Séville en habit de majo espagnol. La tête couverte d'un rescille ou filet; chapeau blanc, ruban de couleur autour de la forme, un fichu de soie attaché fort lâche à son cou, gilet et haut-de-chausse de satin, avec des boutons et boutonnières frangés d'argent; une grande ceinture de soie, les jarretières nouées avec des glands qui pendent sur chaque jambe; veste de couleur tranchante, à grands revers de la couleur du gilet; bas blancs et souliers gris. Don Bazile, organiste, maÃtre à chanter de Rosine chapeau noir rabattu, soutanelle et long manteau, sans fraise ni manchettes. La Jeunesse, vieux domestique de Bartholo. L'Eveillé, autre valet de Bartholo, garçon niais et endormi. Tous deux habillés en Galiciens; tous les cheveux dans la queue; gilet couleur de chamois; large ceinture de peau avec une boucle; culotte bleue et veste de même, dont les manches, ouvertes aux épaules pour le passage des bras, sont pendantes par-derrière. Un Notaire. Un Alcade, homme de justice, avec une longue baguette blanche à la main. Plusieurs Alguazils et Valets avec des flambeaux. La scène est à Séville, dans la rue et sous les fenêtres de Rosine, au premier acte, et le reste de la pièce dans la maison du docteur Bartholo. Acte premier Le théâtre représente une rue de Séville, où toutes les croisées sont grillées. Scène I Le Comte, seul, en grand manteau brun et chapeau rabattu. Il tire sa montre en se promenant. Le jour est moins avancé que je ne croyais. L'heure à laquelle elle a coutume de se montrer derrière sa jalousie est encore éloignée. N'importe; il vaut mieux arriver trop tôt que de manquer l'instant de la voir. Si quelque aimable de la Cour pouvait me deviner à cent lieues de Madrid, arrêté tous les matins sous les fenêtres d'une femme à qui je n'ai jamais parlé, il me prendrait pour un Espagnol du temps d'Isabelle... Pourquoi non? Chacun court après le bonheur. Il est pour moi dans le coeur de Rosine... Mais quoi! suivre une femme à Séville, quand Madrid et la Cour offrent de toutes parts des plaisirs si faciles? Et c'est cela même que je fuis. Je suis las des conquêtes que l'intérêt, la convenance ou la vanité nous présentent sans cesse. Il est si doux d'être aimé pour soi-même! Et si je pouvais m'assurer sous ce déguisement... Au diable l'importun! Scène II Figaro, Le Comte, caché. Figaro, une guitare sur le dos, attachée en bandoulière avec un large ruban il chantonne gaiement, un papier et un crayon à la main. N° I. Bannissons le chagrin, Il nous consume Sans le feu du bon vin Qui nous rallume, Réduit à languir, L'homme sans plaisir Vivrait comme un sot, Et mourrait bientôt. Jusque-là ceci ne va pas mal, hein, hein. ... Et mourrait bientôt. Le vin et la paresse Se disputent mon coeur. Eh non! ils ne se le disputent pas, ils y règnent paisiblement ensemble... Se partagent... mon coeur. Dit-on se partagent?... Eh! mon Dieu, nos faiseurs d'opéras-comiques n'y regardent pas de si près. Aujourd'hui, ce qui ne vaut pas la peine d'être dit, on le chante. Il chante. Le vin et la paresse Se partagent mon coeur. Je voudrais finir par quelque chose de beau, de brillant, de scintillant, qui eût l'air d'une pensée. Il met un genou en terre et écrit en chantant. Se partagent mon coeur. Si l'une a ma tendresse... L'autre fait mon bonheur. Fi donc! c'est plat. Ce n'est pas ça... Il me faut une opposition, une antithèse Si l'une... est ma maÃtresse L'autre... Eh! parbleu, j'y suis... L'autre est mon serviteur. Fort bien, Figaro!... Il écrit en chantant. Le vin et la paresse Se partagent mon coeur; Si l'une est ma maÃtresse, L'autre est mon serviteur. L'autre est mon serviteur. L'autre est mon serviteur. Hen, hen, quand il y aura des accompagnements là -dessous, nous verrons encore, messieurs de la cabale, si je ne sais ce que je dis... Il aperçoit le Comte. J'ai vu cet abbé-là quelque part. Il se relève. Le Comte, à part. Cet homme ne m'est pas inconnu. Figaro Eh non, ce n'est pas un abbé! Cet air altier et noble... Le Comte Cette tournure grotesque... Figaro Je ne me trompe point; c'est le comte Almaviva. Le Comte Je crois que c'est ce coquin de Figaro. Figaro C'est lui-même, Monseigneur. Le Comte Maraud! si tu dis un mot... Figaro Oui, je vous reconnais; voilà les bontés familières dont vous m'avez toujours honoré. Le Comte Je ne te reconnaissais pas, moi. Te voilà si gros et si gras... Figaro Que voulez-vous, Monseigneur, c'est la misère. Le Comte Pauvre petit! Mais que fais-tu à Séville? je t'avais autrefois recommandé dans les bureaux pour un emploi. Figaro Je l'ai obtenu, Monseigneur; et ma reconnaissance... Le Comte Appelle-moi Lindor. Ne vois-tu pas, à mon déguisement, que je veux être inconnu? Figaro Je me retire. Le Comte Au contraire. J'attends ici quelque chose, et deux hommes qui jasent sont moins suspects qu'un seul qui se promène. Ayons l'air de jaser. Eh bien, cet emploi? Figaro Le ministre, ayant égard à la recommandation de Votre Excellence, me fit nommer sur-le-champ garçon apothicaire. Le Comte Dans les hôpitaux de l'armée? Figaro Non; dans les haras d'Andalousie. Le Comte, riant. Beau début! Figaro Le poste n'était pas mauvais; parce qu'ayant le district des pansements et des drogues, je vendais souvent aux hommes de bonnes médecines de cheval... Le Comte Qui tuaient les sujets du roi! Figaro Ah! Ah! il n'y a point de remède universel; mais qui n'ont pas laissé de guérir quelquefois des Galiciens, des Catalans, des Auvergnats. Le Comte Pourquoi donc l'as-tu quitté? Figaro Quitté? C'est bien lui-même; on m'a desservi auprès des puissances. L'envie aux doigts crochus, au teint pâle et livide... Le Comte Oh! grâce! grâce, ami! Est-ce que tu fais aussi des vers? Je t'ai vu là griffonnant sur ton genou, et chantant dès le matin. Figaro Voilà précisément la cause de mon malheur, Excellence. Quand on a rapporté au ministre que je faisais, je puis dire assez joliment, des bouquets à Cloris; que j'envoyais des énigmes aux journaux, qu'il courait des madrigaux de ma façon; en un mot, quand il a su que j'étais imprimé tout vif, il a pris la chose au tragique et m'a fait ôter mon emploi, sous prétexte que l'amour des lettres est incompatible avec l'esprit des affaires. Le Comte Puissamment raisonné! Et tu ne lui fis pas représenter... Figaro Je me crus trop heureux d'en être oublié, persuadé qu'un grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal. Le Comte Tu ne dis pas tout. je me souviens qu'à mon service tu étais un assez mauvais sujet. Figaro Eh! mon Dieu, Monseigneur, c'est qu'on veut que le pauvre soit sans défaut. Le Comte Paresseux, dérangé... Figaro Aux vertus qu'on exige dans un domestique, Votre Excellence connaÃt-elle beaucoup de maÃtres qui fussent dignes d'être valets? Le Comte, riant. Pas mal. Et tu t'es retiré en cette ville? Figaro Non, pas tout de suite. Le Comte, l'arrêtant. Un moment... J'ai cru que c'était elle... Dis toujours, je t'entends de reste. Figaro De retour à Madrid, je voulus essayer de nouveau mes talents littéraires; et le théâtre me parut un champ d'honneur... Le Comte Ah! Miséricorde! Figaro. Pendant sa réplique, le Comte regarde avec attention du côté de la jalousie. En vérité, je ne sais comment je n'eus pas le plus grand succès, car j'avais rempli le parterre des plus excellents travailleurs; des mains... comme des battoirs; j'avais interdit les gants, les cannes, tout ce qui ne produit que des applaudissements sourds; et d'honneur, avant la pièce, le café m'avait paru dans les meilleures dispositions pour moi. Mais les efforts de la cabale... Le Comte Ah! la cabale! monsieur l'auteur tombé! Figaro Tout comme un autre pourquoi pas? Ils m'ont sifflé; mais si jamais je puis les rassembler... Le Comte L'ennui te vengera bien d'eux? Figaro Ah! comme je leur en garde, morbleu! Le Comte Tu jures! Sais-tu qu'on n'a que vingt-quatre heures au palais pour maudire ses juges? Figaro On a vingt-quatre ans au théâtre; la vie est trop courte pour user un pareil ressentiment. Le Comte Ta joyeuse colère me réjouit. Mais tu ne me dis pas ce qui t'a fait quitter Madrid. Figaro C'est mon bon ange, Excellence, puisque je suis assez heureux pour retrouver mon ancien maÃtre. Voyant à Madrid que la république des lettres était celle des loups, toujours armés les uns contre les autres, et que, livrés au mépris où ce risible acharnement les conduit, tous les insectes, les moustiques, les cousins, les critiques, les maringouins, les envieux, les feuillistes, les libraires, les censeurs, et tout ce qui s'attache à la peau des malheureux gens de lettres, achevait de déchiqueter et sucer le peu de substance qui leur restait; fatigué d'écrire, ennuyé de moi, dégoûté des autres, abÃmé de dettes et léger d'argent; à la fin convaincu que l'utile revenu du rasoir est préférable aux vains honneurs de la plume, j'ai quitté Madrid; et, mon bagage en sautoir, parcourant philosophiquement les deux Castilles, la Manche, l'Estramadure, la Sierra-Morena, l'Andalousie; accueilli dans une ville, emprisonné dans l'autre, et partout supérieur aux événements; loué par ceux-ci, blâmé par ceux-là ; aidant au bon temps, supportant le mauvais; me moquant des sots, bravant les méchants, riant de ma misère et faisant la barbe à tout le monde; vous me voyez enfin établi dans Séville, et prêt à servir de nouveau Votre Excellence en tout ce qu'il lui plaira m'ordonner. Le Comte Qui t'a donné une philosophie aussi gaie? Figaro L'habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer. Que regardez-vous donc toujours de ce côté? Le Comte Sauvons-nous. Figaro Pourquoi? Le Comte Viens donc, malheureux! tu me perds. Ils se cachent. Scène III Bartholo, Rosine. La jalousie du premier étage s'ouvre, et Bartholo et Rosine se mettent à la fenêtre. Rosine Comme le grand air fait plaisir à respirer!... Cette jalousie s'ouvre si rarement... Bartholo Quel papier tenez-vous là ? Rosine Ce sont des couplets de La Précaution inutile, que mon maÃtre à chanter m'a donnés hier. Bartholo Qu'est-ce que La Précaution inutile? Rosine C'est une comédie nouvelle. Bartholo Quelque drame encore! quelque sottise d'un nouveau genre! Rosine Je n'en sais rien. Bartholo Euh, euh, les journaux et l'autorité nous en feront raison. Siècle barbare!... Rosine Vous injuriez toujours notre pauvre siècle. Bartholo Pardon de la liberté! Qu'a-t-il produit pour qu'on le loue? Sottises de toute espèce la liberté de penser, l'attraction, l'électricité, le tolérantisme, l'inoculation, le quinquina, L'Encyclopédie, et les drames... Rosine le papier lui échappe et tombe dans la rue. Ah! ma chanson! Ma chanson est tombée en vous écoutant, courez, courez donc, monsieur! Ma chanson, elle sera perdue! Bartholo Que diable aussi, l'on tient ce qu'on tient. Il quitte le balcon. Rosine regarde en dedans et fait signe dans la rue. St, st! Le Comte paraÃt. Ramassez vite et sauvez-vous. Le Comte ne fait qu'un saut, ramasse le papier et rentre. Bartholo sort de la maison et cherche. Où donc est-il? Je ne vois rien. Rosine Sous le balcon, au pied du mur. Bartholo Vous me donnez là une jolie commission! Il est donc passé quelqu'un? Rosine Je n'ai vu personne. Bartholo, à lui-même. Et moi qui ai la bonté de chercher!... Bartholo, vous n'êtes qu'un sot, mon ami ceci doit vous apprendre à ne jamais ouvrir de jalousies sur la rue. Il rentre. Rosine, toujours au balcon. Mon excuse est dans mon malheur seule, enfermée, en butte à la persécution d'un homme odieux, est-ce un crime de tenter à sortir d'esclavage? Bartholo, paraissant au balcon. Rentrez, signora; c'est ma faute si vous avez perdu votre chanson; mais ce malheur ne vous arrivera plus, je vous jure. Il ferme la jalousie à la clef. Scène IV Le Comte, Figaro. Ils entrent avec précaution. Le Comte A présent qu'ils sont retirés, examinons cette chanson, dans laquelle un mystère est sûrement renfermé. C'est un billet! Figaro Il demandait ce que c'est que la Précaution inutile! Le Comte lit vivement. "Votre empressement excite ma curiosité sitôt que mon tuteur sera sorti, chantez indifféremment, sur l'air connu de ces couplets, quelque chose qui m'apprenne enfin le nom, l'état et les intentions de celui qui paraÃt s'attacher si obstinément à l'infortunée Rosine." Figaro, contrefaisant la voix de Rosine. Ma chanson, ma chanson est tombée; courez, courez donc! Il rit. ah! ah! ah! ah! Oh! ces femmes! Voulez-vous donner de l'adresse à la plus ingénue? Enfermez-la. Le Comte Ma chère Rosine! Figaro Monseigneur, je ne suis plus en peine des motifs de votre mascarade; vous faites ici l'amour en perspective. Le Comte Te voilà instruit; mais si tu jases... Figaro Moi, jaser! Je n'emploierai point pour vous rassurer les grandes phrases d'honneur et de dévouement dont on abuse à la journée; je n'ai qu'un mot mon intérêt vous répond de moi; pesez tout à cette balance, et... Le Comte Fort bien. Apprends donc que le hasard m'a fait rencontrer au Prado, il y a six mois, une jeune personne d'une beauté!... Tu viens de la voir. Je l'ai fait chercher en vain par tout Madrid. Ce n'est que depuis peu de jours que j'ai découvert qu'elle s'appelle Rosine, est d'un sang noble, orpheline, et mariée à un vieux médecin de cette ville, nommé Bartholo. Figaro Joli oiseau, ma foi! difficile à dénicher! Mais qui vous a dit qu'elle était femme du docteur? Le Comte Tout le monde. Figaro C'est une histoire qu'il a forgée en arrivant de Madrid pour donner le change aux galants et les écarter; elle n'est encore que sa pupille, mais bientôt... Le Comte, vivement. Jamais, Ah! quelle nouvelle! J'étais résolu de tout oser pour lui présenter mes regrets, et je la trouve libre! Il n'y a pas un moment à perdre; il faut m'en faire aimer, et l'arracher à l'indigne engagement qu'on lui destine. Tu connais donc ce tuteur? Figaro Comme ma mère. Le Comte Quel homme est-ce? Figaro, vivement. C'est un beau, gros, court, jeune vieillard, gris pommelé, rusé, rasé, blasé, qui guette, et furette, et gronde, et geint tout à la fois. Le Comte, impatienté. Eh! je l'ai vu. Son caractère? Figaro Brutal, avare, amoureux et jaloux à l'excès de sa pupille, qui le hait à la mort. Le Comte Ainsi, ses moyens de plaire sont... Figaro Le Comte Tant mieux. Sa probité? Figaro Tout juste autant qu'il en faut pour n'être point pendu. Le Comte Tant mieux. Punir un fripon en se rendant heureux... Figaro C'est faire à la fois le bien public et particulier chef-d'oeuvre de morale, en vérité, Monseigneur! Le Comte Tu dis que la crainte des galants lui fait fermer sa porte? Figaro A tout le monde; s'il pouvait la calfeutrer... Le Comte Ah! diable, tant pis. Aurais-tu de l'accès chez lui? Figaro Si j'en ai! Primo, la maison que j'occupe appartient au docteur, qui m'y loge gratis... Le Comte Ah! ah! Figaro Et moi, en reconnaissance, je lui promets dix pistoles d'or par an, gratis aussi... Le Comte, impatienté. Tu es son locataire? Figaro De plus, son barbier, son chirurgien, son apothicaire; il ne se donne pas dans sa maison un coup de rasoir, de lancette ou de piston, qui ne soit de la main de votre serviteur. Le Comte l'embrasse. Ah! Figaro, mon ami, tu seras mon ange, mon libérateur, mon dieu tutélaire. Figaro Peste! comme l'utilité vous a bientôt rapproché les distances! Parlez-moi des gens passionnés! Le Comte Heureux Figaro, tu vas voir ma Rosine! tu vas la voir! Conçois! tu ton bonheur? Figaro C'est bien là un propos d'amant! Est-ce que je l'adore, moi? Puissiez-vous prendre ma place! Le Comte Ah! si l'on pouvait écarter tous les surveillants! Figaro C'est à quoi je rêvais. Le Comte Pour douze heures seulement! Figaro En occupant les gens de leur propre intérêt, on les empêche de nuire à l'intérêt d'autrui. Le Comte Sans doute. Eh bien? Figaro, rêvant. Je cherche dans ma tête si la pharmacie ne fournirait pas quelques petits moyens innocents... Le Comte Scélérat! Figaro Est-ce que je veux leur nuire? Ils ont tous besoin de mon ministère. Il ne s'agit que de les traiter ensemble. Le Comte Mais ce médecin peut prendre un soupçon. Figaro Il faut marcher si vite que le soupçon n'ait pas le temps de naÃtre. Il me vient une idée le régiment de Royal-Infant arrive en cette ville. Le Comte Le colonel est de mes amis. Figaro Bon. Présentez-vous chez le docteur en habit de cavalier, avec un billet de logement; il faudra bien qu'il vous héberge; et moi, je me charge du reste. Le Comte Excellent! Figaro Il ne serait même pas mal que vous eussiez l'air entre deux vins... Le Comte A quoi bon? Figaro Et le mener un peu lestement sous cette apparence déraisonnable. Le Comte A quoi bon? Figaro Pour qu'il ne prenne aucun ombrage, et vous croie plus pressé de dormir que d'intriguer chez lui. Le Comte Supérieurement vu! Mais que n'y vas-tu, toi? Figaro Ah! oui, moi! Nous serons bien heureux s'il ne vous reconnaÃt pas, vous qu'il n'a jamais vu. Et comment vous introduire après? Le Comte Tu as raison. Figaro C'est que vous ne pouvez peut-être pas soutenir ce personnage difficile. Cavalier... pris de vin... Le Comte Tu te moques de moi. Prenant un ton ivre. N'est-ce point ici la maison du docteur Bartholo, mon ami? Figaro Pas mal, en vérité; vos jambes seulement un peu plus avinées. D'un ton plus ivre. N'est-ce pas ici la maison... Le Comte Fi donc! tu as l'ivresse du peuple. Figaro C'est la bonne, c'est celle du plaisir Le Comte La porte s'ouvre. Figaro C'est notre homme éloignons-nous jusqu'à ce qu'il soit parti. Scène V Le Comte et Figaro cachés; Bartholo. Bartholo sort en parlant à la maison. Je reviens à l'instant; qu'on ne laisse entrer personne. Quelle sottise à moi d'être descendu! Dès qu'elle m'en priait, je devais bien me douter... Et Bazile qui ne vient pas! Il devait tout arranger pour que mon mariage se fÃt secrètement demain et point de nouvelles! Allons voir ce qui peut l'arrêter. Scène VI Le Comte, Figaro. Le Comte Qu'ai-je entendu? Demain il épouse Rosine en secret! Figaro Monseigneur, la difficulté de réussir ne fait qu'ajouter à la nécessité d'entreprendre. Le Comte Quel est donc ce Bazile qui se mêle de son mariage? Figaro Un pauvre hère qui montre la musique à sa pupille, infatué de son art, friponneau, besogneux, à genoux devant un écu, et dont il sera facile de venir à bout, Monseigneur... Regardant à la jalousie. La v'là , la v'là . Le Comte Qui donc? Figaro Derrière sa jalousie, la voilà , la voilà . Ne regardez pas, ne regardez donc pas! Le Comte Pourquoi? Figaro Ne vous écrit-elle pas Chantez indifféremment? c'est-à -dire, chantez comme si vous chantiez... seulement pour chanter. Oh! la v'là , la v'là . Le Comte Puisque j'ai commencé à l'intéresser sans être connu d'elle, ne quittons point le nom de Lindor que j'ai pris; mon triomphe en aura plus de charmes. Il déploie le papier que Rosine a jeté. Mais comment chanter sur cette musique? Je ne sais pas faire de vers, moi. Figaro Tout ce qui vous viendra, Monseigneur, est excellent en amour, le coeur n'est pas difficile sur les productions de l'esprit... Et prenez ma guitare. Le Comte Que veux-tu que j'en fasse? j'en joue si mal! Figaro Est-ce qu'un homme comme vous ignore quelque chose? Avec le dos de la main; from, from, from... Chanter sans guitare à Séville! vous seriez bientôt reconnu, ma foi, bientôt dépisté. Figaro se colle au mur sous le balcon. Le Comte chante en se promenant et s'accompagnant sur sa guitare. N° 2. Premier Couplet Vous l'ordonnez, je me ferai connaÃtre; Plus inconnu, j'osais vous adorer En me nommant, que pourrais-je espérer? N'importe, il faut obéir à son maÃtre. Figaro, bas. Fort bien, parbleu! Courage, Monseigneur! Le Comte Deuxième Couplet Je suis Lindor, ma naissance est commune, Mes voeux sont ceux d'un simple bachelier Que n'ai-je, hélas! d'un brillant chevalier A vous offrir le rang et la fortune! Figaro Eh comment diable! je ne ferais pas mieux, moi qui m'en pique. Le Comte Troisième Couplet Tous les matins, ici, d'une voix tendre, Je chanterai mon amour sans espoir; Je bornerai mes plaisirs à vous voir; Et puissiez-vous en trouver à m'entendre! Figaro Oh! ma foi, pour celui-ci!... Il s'approche, et baise le bas de l'habit de son maÃtre. Le Comte Figaro? Figaro Excellence? Le Comte Crois-tu que l'on m'ait entendu Rosine, en dedans, chante. Air du MaÃtre en droit. Tout me dit que Lindor est charmant, Que je dois l'aimer constamment... On entend une croisée qui se ferme avec bruit. Figaro Croyez-vous qu'on vous ait entendu, cette fois? Le Comte Elle a fermé sa fenêtre; quelqu'un apparemment est entré chez elle. Figaro Ah! la pauvre petite! comme elle tremble en chantant! Elle est prise, Monseigneur. Le Comte Elle se sert du moyen qu'elle-même a indiqué. Tout me dit que Lindor est charmant. Que de grâces! que d'esprit! Figaro Que de ruse! que d'amour! Le Comte Crois-tu qu'elle se donne à moi, Figaro? Figaro Elle passera plutôt à travers cette jalousie que d'y manquer. Le Comte C'en est fait, je suis à ma Rosine... pour la vie Figaro Vous oubliez, Monseigneur, qu'elle ne vous entend plus. Le Comte Monsieur Figaro! je n'ai qu'un mot à vous dire elle sera ma femme; et si vous servez bien mon projet en lui cachant mon nom... Tu m'entends, tu me connais... Figaro Je me rends. Allons, Figaro, vole à la fortune, mon fils. Le Comte Retirons-nous, crainte de nous rendre suspects. Figaro, vivement. Moi, j'entre ici, où, par la force de mon art, je vais, d'un seul coup de baguette, endormir la vigilance, éveiller l'amour, égarer la jalousie, fourvoyer l'intrigue, et renverser tous les obstacles. Vous, Monseigneur, chez moi, l'habit de soldat, le billet de logement, et de l'or dans vos poches. Le Comte Pour qui, de l'or? Figaro, vivement. De l'or, mon Dieu, de l'or c'est le nerf de l'intrigue. Le Comte Ne te fâche pas, Figaro, j'en prendrai beaucoup. Figaro, s'en allant. Je vous rejoins dans peu. Le Comte Figaro! Figaro Qu'est-ce que c'est? Le Comte Et ta guitare? Figaro revient. J'oublie ma guitare, moi! Je suis donc fou! Il s'en va. Le Comte Et ta demeure, étourdi? Figaro revient. Ah! réellement je suis frappé! - Ma boutique à quatre pas d'ici, peinte en bleu, vitrage en plomb, trois palettes en l'air, l'oeil dans la main, Consilio manuque, FIGARO. Il s'enfuit. Acte deuxième Le théâtre représente l'appartement de Rosine, La croisée dans le fond du théâtre est fermée par une jalousie grillée. Scène I Rosine, seule, un bougeoir à la main. Elle prend du papier sur la table et se met à écrire. Marceline est malade; tous les gens sont occupés; et personne ne me voit écrire. Je ne sais si ces murs ont des yeux et des oreilles, ou si mon argus a un génie malfaisant qui l'instruit à point nommé; mais je ne puis dire un mot ni faire un pas, dont il ne devine sur-le-champ l'intention... Ah! Lindor! Elle cachette la lettre. Fermons toujours ma lettre, quoique j'ignore quand et comment je pourrai la lui faire tenir. Je l'ai vu à travers ma jalousie parler longtemps au barbier Figaro. C'est un bon homme qui m'a montré quelquefois de la pitié si je pouvais l'entretenir un moment! Scène II Rosine, Figaro. Rosine, surprise. Ah! monsieur Figaro, que je suis aise de vous voir! Figaro Votre santé, madame? Rosine Pas trop bonne, monsieur Figaro. L'ennui me tue. Figaro Je le crois; il n'engraisse que les sots. Rosine Avec qui parliez-vous donc là -bas si vivement? Je n'entendais pas; mais... Figaro Avec un jeune bachelier de mes parents, de la plus grande espérance; plein d'esprit, de sentiments, de talents, et d'une figure fort revenante. Rosine Oh! tout à fait bien, je vous assure! Il se nomme?... Figaro Lindor. Il n'a rien; mais s'il n'eût pas quitté brusquement Madrid, il pouvait y trouver quelque bonne place. Rosine Il en trouvera, monsieur Figaro; il en trouvera. Un jeune homme tel que vous le dépeignez n'est pas fait pour rester inconnu. Figaro, à part. Fort bien. Haut. Mais il a un grand défaut qui nuira toujours à son avancement. Rosine Un défaut, monsieur Figaro! Un défaut! en êtes-vous bien sûr? Figaro Il est amoureux. Rosine Il est amoureux! et vous appelez cela un défaut! Figaro A la vérité, ce n'en est un que relativement à sa mauvaise fortune. Rosine Ah! que le sort est injuste! Et nomme-t-il la personne qu'il aime? Je suis d'une curiosité... Figaro Vous êtes la dernière, madame, à qui je voudrais faire une confidence de cette nature. Rosine, vivement. Pourquoi, monsieur Figaro? Je suis discrète. Ce jeune homme vous appartient, il m'intéresse infiniment... Dites donc. Figaro, la regardant finement. Figurez-vous la plus jolie petite mignonne, douce, tendre, accorte et fraÃche, agaçant l'appétit; pied furtif, taille adroite, élancée, bras dodus, bouche rosée, et des mains! des joues! des dents! des yeux!... Rosine Qui reste en cette ville? Figaro En ce quartier. Rosine Dans cette rue peut-être? Figaro A deux pas de moi. Rosine Ah! que c'est charmant... pour monsieur votre parent. Et cette personne est?... Figaro Je ne l'ai pas nommée? Rosine, vivement. C'est la seule chose que vous ayez oubliée, monsieur Figaro. Dites donc, dites donc vite; si l'on rentrait, je ne pourrais plus savoir... Figaro Vous le voulez absolument, madame? Eh bien, cette personne est... la pupille de votre tuteur. Rosine La pupille?... Figaro Du docteur Bartholo; oui, madame. Rosine, avec émotion Ah! monsieur Figaro... Je ne vous crois pas, je vous assure. Figaro Et c'est ce qu'il brûle de venir vous persuader lui-même. Rosine Vous me faites trembler, monsieur Figaro. Figaro Fi donc, trembler! mauvais calcul, madame. Quand on cède à la peur du mal, on ressent déjà le mal de la peur. D'ailleurs je viens de vous débarrasser de tous vos surveillants jusqu'à demain. Rosine S'il m'aime, il doit me le prouver en restant absolument tranquille. Figaro Eh! madame! amour et repos peuvent-ils habiter en même coeur? La pauvre jeunesse est si malheureuse aujourd'hui, qu'elle n'a que ce terrible choix amour sans repos, ou repos sans amour. ROSINE, baissant les yeux. Repos sans amour... paraÃt... Figaro Ah! bien languissant. Il me semble, en effet, qu'amour sans repos se présente de meilleure grâce et pour moi, si j'étais femme... Rosine, avec embarras. Il est certain qu'une jeune personne ne peut empêcher un honnête homme de l'estimer. Figaro Aussi mon parent vous estime-t-il infiniment. Rosine Mais s'il allait faire quelque imprudence, monsieur Figaro, il nous perdrait. Figaro, à part. Il nous perdrait! Haut. Si vous le lui défendiez expressément par une petite lettre... Une lettre a bien du pouvoir. Rosine lui donne la lettre qu'elle vient d'écrire. Je n'ai pas le temps de recommencer celle-ci; mais en la lui donnant, dites-lui... dites-lui bien... Elle écoute. Figaro Personne, madame. Rosine Que c'est par pure amitié tout ce que je fais. Figaro Cela parle de soi. Tudieu! l'amour a bien une autre allure! Rosine Que par pure amitié, entendez-vous? Je crains seulement que, rebuté par les difficultés... Figaro Oui, quelque feu follet. Souvenez-vous, madame, que le vent qui éteint une lumière allume un brasier, et que nous sommes ce brasier-là . D'en parler seulement, il exhale un tel feu qu'il m'a presque enfiévré de sa passion, moi qui n'y ai que voir! Rosine Dieux! j'entends mon tuteur. S'il vous trouvait ici... Passez par le cabinet du clavecin, et descendez le plus doucement que vous pourrez. Figaro Soyez tranquille. A part, montrant la lettre. voici, qui vaut mieux que mes observations Il entre dans le cabinet. Scène III Rosine, seule. Je meurs d'inquiétude jusqu'à ce qu'il soit dehors... Que je l'aime, ce bon Figaro! c'est un bien honnête homme, un bon parent! Ah! voilà mon tyran; reprenons mon ouvrage. Elle souffle la bougie, s'assied, et prend une broderie au tambour. Scène IV Bartholo, Rosine. Bartholo, en colère. Ah! malédiction! l'enragé, le scélérat corsaire de Figaro! Là , peut-on sortir un moment de chez soi sans être sûr en rentrant?... Rosine Qui vous met donc si fort en colère, monsieur? Bartholo Ce damné barbier qui vient d'écloper toute ma maison en un tour de main; il donne un narcotique à l'Eveillé, un sternutatoire à La Jeunesse; il saigne au pied Marceline; il n'y a pas jusqu'à ma mule... Sur les yeux d'une pauvre bête aveugle, un cataplasme! Parce qu'il me doit cent écus, il se presse de faire des mémoires. Ah! qu'il les apporte!... Et personne à l'antichambre! On arrive à cet appartement comme à la place d'armes. Rosine Eh! qui peut y pénétrer que vous, monsieur? Bartholo J'aime mieux craindre sans sujet, que de m'exposer sans précaution. Tout est plein de gens entreprenants, d'audacieux... N'a-t-on pas, ce matin encore, ramassé lestement votre chanson pendant que j'allais la chercher? Oh! je... Rosine C'est bien mettre à plaisir de l'importance à tout! Le vent peut avoir éloigné ce papier, le premier venu; que sais-je? Bartholo Le vent, le premier venu!... Il n'y a point de vent, madame, point de premier venu dans le monde; et c'est toujours quelqu'un posté là exprès qui ramasse les papiers qu'une femme a l'air de laisser tomber par mégarde. Rosine A l'air, monsieur? Bartholo Oui, madame, a l'air. Rosine, à part. Oh! le méchant vieillard! Bartholo Mais tout cela n'arrivera plus; car je vais faire sceller cette grille. Rosine Faites mieux; murez les fenêtres tout d'un coup; d'une prison à un cachot la différence est si peu de chose! Bartholo Pour celles qui donnent sur la rue, ce ne serait peut-être pas si mal... Ce barbier n'est pas entré chez vous, au moins? Rosine Vous donne-t-il aussi de l'inquiétude? Bartholo Tout comme un autre. Rosine Que vos répliques sont honnêtes! Bartholo Ah! fiez-vous à tout le monde, et vous aurez bientôt à la maison une bonne femme pour vous tromper, de bons amis pour vous la souffler, et de bons valets pour les y aider. Rosine Quoi! vous n'accordez pas même qu'on ait des principes contre la séduction de monsieur Figaro? Bartholo Qui diable entend quelque chose à la bizarrerie des femmes? Et combien j'en ai vu, de ces vertus à principes!... Rosine, en colère. Mais, monsieur, s'il suffit d'être homme pour nous plaire, pourquoi donc me déplaisez-vous si fort? Bartholo, stupéfait. Pourquoi?... pourquoi?... Vous ne répondez pas à ma question sur ce barbier. Rosine, outrée. Eh bien! oui, cet homme est entré chez moi; je l'ai vu, je lui ai parlé. Je ne vous cache pas même que je l'ai trouvé fort aimable; et puissiez-vous en mourir de dépit! Elle sort. Scène V Bartholo, seul. Oh! les juifs, les chiens de valets! La jeunesse! L'Eveillé! L'Eveillé maudit! Scène VI Bartholo, L'Eveillé. L'Eveillé arrive en bâillant, tout endormi. Aah, aah, ah, ah... Bartholo Où étais-tu, peste d'étourdi, quand ce barbier est entré ici? L'Eveillé Monsieur j'étais... ah, aah, ah.. Bartholo A machiner quelque espièglerie, sans doute? Et tu ne l'as pas vu? L'Eveillé Sûrement je l'ai vu, puisqu'il m'a trouvé tout malade, à ce qu'il dit; et faut bien que ça soit vrai, car j'ai commencé à me douloir dans tous les membres, rien qu'en l'en-entendant parl... Ah, ah, aah... Bartholo le contrefait. Rien qu'en l'en-entendant!... Où donc est ce vaurien de La Jeunesse? Droguer ce petit garçon sans mon ordonnance! Il y a quelque friponnerie là -dessous. Scène VII Les acteurs précédents; La Jeunesse arrive en vieillard avec une canne en béquille; il éternue plusieurs fois. L'Eveillé, toujours bâillant. La jeunesse? Bartholo Tu éternueras dimanche. La Jeunesse Voilà plus de cinquante... cinquante fois... dans un moment! Il éternue. je suis brisé. Bartholo Comment! je vous demande à tous deux s'il est entré quelqu'un chez Rosine, et vous ne me dites pas que ce barbier... L'Eveillé, continuant de bâiller. Est-ce que c'est quelqu'un donc, monsieur Figaro? Aah! ah... Bartholo je parie que le rusé s'entend avec lui. L'Eveillé, pleurant comme un sot. Moi... je m'entends!... La Jeunesse, éternuant. Eh! mais, monsieur, y a-t-il... y a-t-il de la justice?... Bartholo De la justice! C'est bon entre vous autres misérables, la justice! je suis votre maÃtre, moi, pour avoir toujours raison. La Jeunesse, éternuant. Mais, pardi, quand une chose est vraie... Bartholo Quand une chose est vraie! Si je ne veux pas qu'elle soit vraie, je prétends bien qu'elle ne soit pas vraie. Il n'y aurait qu'à permettre à tous ces faquins-là d'avoir raison, vous verriez bientôt ce que deviendrait l'autorité. La Jeunesse, éternuant. J'aime autant recevoir mon congé. Un service terrible, et toujours un train d'enfer! L'Eveillé, pleurant. Un pauvre homme de bien est traité comme un misérable. Bartholo Sors donc, pauvre homme de bien! Il les contrefait. Et t'chi et t'cha; l'un m'éternue au nez, l'autre m'y bâille. La Jeunesse Ah! monsieur, je vous jure que, sans mademoiselle, il n'y aurait... il n'y aurait pas moyen de rester dans la maison. Il sort en éternuant. Bartholo Dans quel état ce Figaro les a mis tous! je vois ce que c'est le maraud voudrait me payer mes cent écus sans bourse délier... Scène VIII Bartholo, Don Bazile; Figaro, caché dans le cabinet, paraÃt de temps en temps, et les écoute. Bartholo continue. Ah! don Bazile, vous veniez donner à Rosine sa leçon de musique? Bazile C'est ce qui presse le moins. Bartholo J'ai passé chez vous sans vous trouver. Bazile J'étais sorti pour vos affaires. Apprenez une nouvelle assez fâcheuse. Bartholo Pour vous? Bazile Non, pour vous. Le comte Almaviva est en cette ville. Bartholo Parlez bas. Celui qui faisait chercher Rosine dans tout Madrid? Bazile Il loge à la grande place, et sort tous les jours déguisé. Bartholo Il n'en faut point douter, cela me regarde. Et que faire? Bazile Si c'était un particulier, on viendrait à bout de l'écarter. Bartholo Oui, en s'embusquant le soir, armé, cuirassé... Bazile Bone Deus! se compromettre! Susciter une méchante affaire, à la bonne heure; et pendant la fermentation, calomnier à dire d'experts; concedo. Bartholo Singulier moyen de se défaire d'un homme! Bazile La calomnie, monsieur! Vous ne savez guère ce que vous dédaignez; j'ai vu les plus honnêtes gens près d'en être accablés. Croyez qu'il n'y a pas de plate méchanceté, pas d'horreurs, pas de conte absurde, qu'on ne fasse adopter aux oisifs d'une grande ville en s'y prenant bien et nous avons ici des gens d'une adresse!... D'abord un bruit léger, rasant le sol comme hirondelle avant l'orage, pianissimo, murmure et file, et sème en courant le trait empoisonné. Telle bouche le recueille, et piano, piano, vous le glisse en l'oreille adroitement. Le mal est fait; il germe, il rampe, il chemine, et rinforzando de bouche en bouche il va le diable; puis tout à coup, ne sais comment, vous voyez calomnie se dresser, siffler, s'enfler, grandir à vue d'oeil. Elle s'élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraÃne, éclate et tonne, et devient, grâce au ciel, un cri général, un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription. Qui diable y résisterait. Bartholo Mais quel radotage me faites-vous donc là , Bazile? Et quel rapport ce piano-crescendo peut-il avoir à ma situation? Bazile Comment, quel rapport? Ce qu'on fait partout pour écarter son ennemi, il faut le faire ici pour empêcher le vôtre d'approcher. Bartholo D'approcher? je prétends bien épouser Rosine avant qu'elle apprenne seulement que ce Comte existe. Bazile En ce cas, vous n'avez pas un instant à perdre. Bartholo Et à qui tient-il, Bazile? je vous ai chargé de tous les détails de cette affaire. Bazile Oui, mais vous avez lésiné sur les frais; et dans l'harmonie du bon ordre un mariage inégal, un jugement inique, un passe-droit évident, sont des dissonances qu'on doit toujours préparer et sauver par l'accord parfait de l'or. Bartholo, lui donnant de l'argent. Il faut en passer par où vous voulez; mais finissons Bazile Cela s'appelle parler. Demain tout sera terminé c'est à vous d'empêcher que personne, aujourd'hui, ne puisse instruire la Pupille. Bartholo Fiez-vous-en à moi. Viendrez-vous ce soir, Bazile? Bazile N'y comptez pas. Votre mariage seul m'occupera toute la journée; n'y comptez pas. Bartholo l'accompagne. Bazile Restez, docteur, restez donc. Bartholo Non pas. je veux fermer sur vous la porte de la rue. Scène IX Figaro, seul, sortant du cabinet. Oh! la bonne précaution! Ferme, ferme la porte de la rue, et moi je vais la rouvrir au Comte en sortant. C'est un grand maraud que ce Bazile! heureusement il est encore plus sot. Il faut un état, une famille, un nom, un rang, de la consistance enfin, pour faire sensation dans le monde en calomniant. Mais un Bazile! il médirait, qu'on ne le croirait pas. Scène X Rosine, accourant; Figaro. Rosine Quoi! vous êtes encore là , monsieur Figaro? Figaro Très heureusement pour vous, mademoiselle. Votre tuteur et votre maÃtre de musique, se croyant seuls ici viennent de parler à coeur ouvert... Rosine Et vous les avez écoutés monsieur Figaro? Mais savez-vous que c'est fort mal! Figaro D'écouter? C'est pourtant ce qu'il y a de mieux pour bien entendre. Apprenez que votre tuteur se dispose à vous épouser demain. Rosine Ah! grands dieux! Figaro Ne craignez rien; nous lui donnerons tant d'ouvrage, qu'il n'aura pas le temps de songer à celui-là . Rosine Le voici qui revient; sortez donc par le petit escalier. Vous me faites mourir de frayeur. Figaro s'enfuit. Scène XI Bartholo, Rosine. Rosine Vous étiez ici avec quelqu'un, monsieur? Bartholo Don Bazile que j'ai reconduit, et pour cause. Vous eussiez mieux aimé que c'eût été monsieur Figaro? Rosine Cela m'est fort égal, je vous assure. Bartholo je voudrais bien savoir ce que ce barbier avait de si pressé à vous dire? Rosine Faut-il parler sérieusement? Il m'a rendu compte de l'état de Marceline, qui même n'est pas trop bien, à ce qu'il dit. Bartholo Vous rendre compte! je vais parier qu'il était chargé de vous remettre quelque lettre. Rosine Et de qui, s'il vous plaÃt? Bartholo Oh! de qui! De quelqu'un que les femmes ne nomment jamais. Que sais-je, moi? Peut-être la réponse au papier de la fenêtre. Rosine, à part. Il n'en a pas manqué une seule. Haut. Vous mériteriez bien que cela fût. Bartholo regarde les mains de Rosine. Cela est. Vous avez écrit. Rosine, avec embarras. Il serait assez plaisant que vous eussiez le projet de m'en faire convenir. Bartholo, lui prenant la main droite. Moi! point du tout; mais votre doigt est encore taché d'encre! Hein! rusée signora! Rosine, à part. Maudit homme! Bartholo, lui tenant toujours la main. Une femme se croit bien en sûreté, parce qu'elle est seule. Rosine Ah! sans doute... La belle preuve!... Finissez donc, monsieur, vous me tordez le bras. je me suis brûlée en chiffonnant autour de cette bougie; et l'on m'a toujours dit qu'il fallait aussitôt tremper dans l'encre c'est ce que j'ai fait. Bartholo C'est ce que vous avez fait? Voyons donc si un second témoin confirmera la déposition du premier. C'est ce cahier de papier où je suis certain qu'il y avait six feuilles; car je les compte tous les matins, aujourd'hui encore. Rosine, à part. Oh! imbécile! Bartholo, comptant. Trois, quatre, cinq... Rosine La sixième... Bartholo je vois bien qu'elle n'y est pas, la sixième. Rosine, baissant les yeux. La sixième? je l'ai employée à faire un cornet pour des bonbons que j'ai envoyés à la petite Figaro. Bartholo A la petite Figaro? Et la plume qui était toute neuve, comment est-elle devenue noire? Est-ce en écrivant l'adresse de la petite Figaro? Rosine, à part. Cet homme a un instinct de jalousie!... Haut. Elle m'a servi à retracer une fleur effacée sur la veste que je vous brode au tambour. Bartholo Que cela est édifiant! Pour qu'on vous crût, mon enfant, il faudrait ne pas rougir en déguisant coup sur coup la vérité, mais c'est ce que vous ne savez pas encore. Rosine Eh! qui ne rougirait pas, monsieur, de voir tirer des conséquences aussi malignes des choses les plus innocemment faites? Bartholo Certes, j'ai tort. Se brûler le doigt, le tremper dans l'encre, faire des cornets aux bonbons de la petite Figaro, et dessiner ma veste au tambour! quoi de plus innocent? Mais que de mensonges entassés pour cacher un seul fait!... je suis seule, on ne me voit point; je pourrai mentir à mon aise. Mais le bout du doigt reste noir, la plume est tachée, le papier manque! On ne saurait penser à tout. Bien certainement, signora, quand j'irai par la ville, un bon double tour me répondra de vous. Scène XII Le Comte, Bartholo, Rosine. Le Comte, en uniforme de cavalerie, ayant l'air d'être entre deux vins et chantant Réveillons-la, etc. Bartholo Mais que nous veut cet homme? Un soldat! Rentrez chez vous, signora. Le Comte chante Réveillons-la, et s'avance vers Rosine. Qui de vous deux, mesdames, se nomme le docteur Balordo? A Rosine, bas. je suis Lindor. Bartholo Bartholo! Rosine, à part. Il parle de Lindor. Le Comte Balordo, Barque à l'eau, je m'en moque comme de ça. Il s'agit seulement de savoir laquelle des deux... A Rosine, lui montrant un papier. Prenez cette lettre. Bartholo Laquelle! Vous voyez bien que c'est moi. Laquelle! Rentrez donc, Rosine; cet homme paraÃt avoir du vin. Rosine C'est pour cela, monsieur; vous êtes seul. Une femme en impose quelquefois. Bartholo Rentrez, rentrez; je ne suis pas timide. Scène XIII Le Comte, Bartholo. Le Comte Oh! je vous ai reconnu d'abord à votre signalement. Bartholo, au Comte, qui serre la lettre. Qu'est-ce que c'est donc que vous cachez là dans votre poche? Le Comte je le cache dans ma poche, pour que vous ne sachiez pas ce que c'est. Bartholo Mon signalement! Ces gens-là croient toujours parler à des soldats. Le Comte Pensez-vous que ce soit une chose si difficile à faire que votre signalement? Le chef branlant, la tête chauve, Les yeux vairons, le regard fauve, L'air farouche d'un Algonquin... Bartholo Qu'est-ce que cela veut dire? Etes-vous ici pour m'insulter? Délogez à l'instant. Le Comte Déloger! Ah! fi! que c'est mal parler! Savez-vous lire, docteur... Barbe à l'eau? Bartholo Autre question saugrenue. Le Comte Oh! que cela ne vous fasse point de peine; car, moi qui suis pour le moins aussi docteur que vous... Bartholo Comment cela? Le Comte Est-ce que je ne suis 'pas le médecin des chevaux du régiment? Voilà pourquoi l'on m'a exprès logé chez un confrère. Bartholo Oser comparer un maréchal... Le Comte Air Vive le vin. Sans chanter. Non, docteur, je ne prétends pas Que notre art obtienne le pas Sur Hippocrate et sa brigade. En chantant. Votre savoir, mon camarade, Est d'un succès plus général, Car s'il n'emporte point le mal, Il emporte au moins le malade. C'est-il poli ce que je vous dis là ? Bartholo Il vous sied bien, manipuleur ignorant, de ravaler ainsi le premier, le plus grand et le plus utile des arts! Le Comte Utile tout à fait, pour ceux qui l'exercent. Bartholo Un art dont le soleil s'honore d'éclairer les succès! Le Comte Et dont la terre s'empresse de couvrir les bévues. Bartholo On voit bien, malappris, que vous n'êtes habitué de parler qu'à des chevaux. Le Comte Parler à des chevaux? Ah! docteur! pour un docteur d'esprit... N'est-il pas de notoriété que le maréchal guérit toujours ses malades sans leur parler; au lieu que le médecin parle beaucoup aux siens... Bartholo Sans les guérir, n'est-ce pas? Le Comte C'est vous qui l'avez dit. Bartholo Qui diable envoie ici ce maudit ivrogne? Le Comte Je crois que vous me lâchez des épigrammes, l'Amour! Bartholo Enfin, que voulez-vous? que demandez-vous? Le Comte, feignant une grande colère. Eh bien donc, il s'enflamme! Ce que je veux? Est-ce que vous ne le voyez pas? Scène XIV Rosine, Le Comte, Bartholo. Rosine, accourant. Monsieur le soldat, ne vous emportez point, de grâce! A Bartholo. Parlez-lui doucement, monsieur un homme qui déraisonne... Le Comte Vous avez raison; il déraisonne, lui; mais nous sommes raisonnables, nous! Moi poli, et vous jolie... enfin suffit. La vérité, c'est que je ne veux avoir affaire qu'à vous dans la maison. Rosine Que puis-je pour votre service, monsieur le soldat? Le Comte Une petite bagatelle, mon enfant. Mais s'il y a de l'obscurité dans mes phrases... Rosine J'en saisirai l'esprit. Le Comte, lui montrant la lettre. Non, attachez-vous à la lettre, à la lettre. Il s'agit seulement... mais je dis en tout bien, tout. honneur, que vous me donniez à coucher ce soir. Bartholo Rien que cela? Le Comte Pas davantage. Lisez le billet doux que notre maréchal-des-logis vous écrit. Bartholo Voyons. Le Comte cache la lettre et lui donne un autre papier. Bartholo lit. "Le docteur Bartholo recevra, nourrira, hébergera, couchera... Le Comte, appuyant. Bartholo "Pour une nuit seulement, le nommé Lindor, dit l'Ecolier, cavalier au régiment..." Rosine C'est lui, c'est lui-même. Bartholo, vivement, à Rosine. Qu'est-ce qu'il y a? Le Comte Eh bien! ai-je tort à présent, docteur Barbaro? Bartholo On dirait que cet homme se fait un malin plaisir de m'estropier de toutes les manières possibles. Allez au diable, Barbaro! Barbe à l'eau! et dites à votre impertinent maréchal-des-logis que, depuis mon voyage à Madrid, je suis exempt de loger des gens de guerre. Le Comte, à part. O ciel! fâcheux contretemps! Bartholo Ah! ah! notre ami, cela vous contrarie et vous dégrise un peu! mais n'en décampez pas moins à l'instant. Le Comte, à part. J'ai pensé me trahir. Haut. Décamper! Si vous êtes exempt des gens de guerre, vous n'êtes pas exempt de politesse, peut-être? Décamper! Montrez-moi votre brevet d'exemption; quoique je ne sache pas lire, je verrai bientôt... Bartholo Qu'à cela ne tienne. Il est dans ce bureau. Le Comte, pendant qu'il y va, dit, sans quitter sa place. Ah! ma belle Rosine! Rosine Quoi, Lindor, c'est vous? Le Comte Recevez au moins cette lettre. Rosine Prenez garde, il a les yeux sur nous. Le Comte Tirez votre mouchoir, je la laisserai tomber. Il s'approche. Bartholo Doucement, doucement, seigneur soldat; je n'aime point qu'on regarde ma femme de si près. Le Comte Elle est votre femme? Bartholo Eh! quoi donc? Le Comte Je vous ai pris pour son bisaïeul paternel, maternel, sempiternel il y a au moins trois générations entre elle et vous. Bartholo lit un parchemin. "Sur les bons et fidèles témoignages qui nous ont été rendus..." Le Comte donne un coup de main sous les parchemins, qui les envoie au plancher. Est-ce que j'ai besoin de tout ce verbiage? Bartholo Savez-vous bien, soldat, que si j'appelle mes gens, je vous fais traiter sur-le-champ comme vous le méritez? Le Comte Bataille? Ah! volontiers, bataille! c'est mon métier, à moi, montrant son pistolet de ceinture et voici de quoi leur jeter de la poudre aux yeux. Vous n'avez peut-être jamais vu de bataille, madame? Rosine Ni ne veux en voir. Le Comte Rien n'est pourtant aussi gai que bataille. Figurez-vous poussant le docteur d'abord que l'ennemi est d'un côté du ravin, et les amis de l'autre. A Rosine en lui montrant la lettre. Sortez le mouchoir. Il crache à terre. Voilà le ravin, cela s'entend. Rosine tire son mouchoir; le Comte laisse tomber sa lettre entre elle et lui. Bartholo, se baissant. Ah! ah! Le Comte la reprend et dit Tenez... moi qui allais vous apprendre ici les secrets de mon métier... Une femme bien discrète, en vérité! Ne voilà -t-il pas un billet doux qu'elle laisse tomber de sa poche? Bartholo Donnez, donnez. Le Comte Dulciter, papa! chacun son affaire. Si une ordonnance de rhubarbe était tombée de la vôtre?... Rosine avance la main. Ah! je sais ce que c'est, monsieur le soldat. Elle prend la lettre, qu'elle cache dans la petite poche de son tablier. Bartholo Sortez-vous enfin? Le Comte Eh bien, je sors. Adieu, docteur; sans rancune. Un petit compliment, mon coeur priez la mort de m'oublier encore quelques campagnes; la vie ne m'a jamais été si chère. Bartholo Allez toujours. Si j'avais ce crédit-là sur la mort... Le Comte Sur la mort? Ah, docteur! Vous faites tant de choses pour elle, qu'elle n'a rien à vous refuser. Il sort. Scène XV Bartholo, Rosine. Bartholo le regarde aller. Il est enfin parti, A part. Dissimulons. Rosine Convenez pourtant, monsieur, qu'il est bien gai, ce jeune soldat! A travers son ivresse, on voit qu'il ne manque ni d'esprit, ni d'une certaine éducation. Bartholo Heureux, m'amour, d'avoir pu nous en délivrer! Mais n'es-tu pas un peu curieuse de lire avec moi le papier qu'il t'a remis? Rosine Quel papier? Bartholo Celui qu'il a feint de ramasser pour te le faire accepter. Rosine Bon! c'est la lettre de mon cousin l'officier, qui était tombée de ma poche. Bartholo J'ai idée, moi, qu'il l'a tirée de la sienne. Rosine Je l'ai très bien reconnue. Bartholo Qu'est-ce qu'il coûte d'y regarder? Rosine Je ne sais pas seulement ce que j'en ai fait. Bartholo, montrant la pochette. Tu l'as mise là . Rosine Ah! ah! par distraction. Bartholo Ah! sûrement. Tu vas voir que ce sera quelque folie. Rosine, à part. Si je ne le mets pas en colère, il n'y aura pas moyen de refuser. Bartholo Donne donc, mon coeur. Rosine Mais quelle idée avez-vous en insistant, monsieur? Est-ce encore quelque méfiance? Bartholo Mais vous, quelle raison avez-vous de ne pas le montrer? Rosine Je vous répète, monsieur, que ce papier n'est autre que la lettre de mon cousin, que vous m'avez rendue hier toute décachetée; et puisqu'il en est question, je vous dirai tout net que cette liberté me déplaÃt excessivement. Bartholo Je ne vous entends pas! Rosine Vais-je examiner les papiers qui vous arrivent? Pourquoi vous donnez-vous les airs de toucher à ceux qui me sont adressés? Si c'est jalousie, elle m'insulte; s'il s'agit de l'abus d'une autorité usurpée, j'en suis plus révoltée encore. Bartholo Comment, révoltée! Vous ne m'avez jamais parlé ainsi. Rosine Si je me suis modérée jusqu'à ce jour, ce n'était pas pour vous donner le droit de m'offenser impunément. Bartholo De quelle offense parlez-vous? Rosine C'est qu'il est inouï qu'on se permette d'ouvrir les lettres de quelqu'un. Bartholo De sa femme? Rosine Je ne la suis pas encore. Mais pourquoi lui donnerait-on la préférence d'une indignité qu'on ne fait à personne? Bartholo Vous voulez me faire prendre le change et détourner mon attention du billet, qui sans doute est une missive de quelque amant. Mais je le verrai, je vous assure. Rosine Vous ne le verrez pas. Si vous m'approchez, je m'enfuis de cette maison, et je demande retraite au premier venu. Bartholo Qui ne vous recevra point. Rosine C'est ce qu'il faudra voir. Bartholo Nous ne sommes pas ici en France, où l'on donne toujours raison aux femmes; mais, pour vous en ôter la fantaisie, je vais fermer la porte. Rosine, pendant qu'il y va. Ah ciel! que faire? Mettons vite à la place la lettre de mon cousin, et donnons-lui beau jeu à la prendre. Elle fait l'échange, et met la lettre du cousin dans sa pochette de façon qu'elle sorte un peu. Bartholo, revenant. Ah! j'espère maintenant la voir. Rosine De quel droit, s'il vous plaÃt? Bartholo Du droit le plus universellement reconnu; celui du plus fort. Rosine On me tuera plutôt que de l'obtenir de moi. Bartholo, frappant du pied. Madame! madame!... Rosine tombe sur un fauteuil et feint de se trouver mal. Ah! quelle indignité!... Bartholo Donnez cette lettre, ou craignez ma colère. Rosine, renversée. Malheureuse Rosine! Bartholo Qu'avez-vous donc? Rosine Quel avenir affreux! Bartholo Rosine! Rosine J'étouffe de fureur! Bartholo Elle se trouve mal. Rosine Je m'affaiblis, je meurs. Bartholo, à part. Dieux! la lettre! Lisons-la sans qu'elle en soit instruite. Il lui tâte le pouls, et prend la lettre qu'il tâche de lire en se tournant un peu. Rosine, toujours renversée. Infortunée! ah! Bartholo lui quitte le bras, et dit à part Quelle rage a-t-on d'apprendre ce qu'on craint toujours de savoir! Rosine Ah! pauvre Rosine! Bartholo L'usage des odeurs... produit ces affections spasmodiques. Il lit par-derrière le fauteuil en lui tâtant le pouls. Rosine se relève un peu, le regarde finement, fait un geste de tête, et se remet sans parler. Bartholo, à part. O ciel! c'est la lettre de son cousin. Maudite inquiétude! Comment l'apaiser maintenant? Qu'elle ignore au moins que je l'ai lue. Il fait semblant de la soutenir, et remet la lettre dans la pochette. Rosine soupire. Ah!... Bartholo Eh bien! ce n'est rien, mon enfant un petit mouvement de vapeurs, voilà tout; car ton pouls n'a seulement pas varié. Il va prendre un flacon sur la console. Rosine, à part. Il a remis la lettre! fort bien. Bartholo Ma chère Rosine, un peu de cette eau spiritueuse. Rosine Je ne veux rien de vous laissez-moi. Bartholo Je conviens que j'ai montré trop de vivacité sur ce billet. Rosine Il s'agit bien du billet! C'est votre façon de demander les choses qui est révoltante. Bartholo, à genoux. Pardon j'ai bientôt senti tous mes torts; et tu me vois à tes pieds, prêt à les réparer. Rosine Oui, pardon! lorsque vous croyez que cette lettre ne vient pas de mon cousin. Bartholo Qu'elle soit d'un autre ou de lui, je ne veux aucun éclaircissement. Rosine, lui présentant la lettre. Vous voyez qu'avec de bonnes façons on obtient tout de moi. Lisez-la. Bartholo Cet honnête procédé dissiperait mes soupçons, si j'étais assez malheureux pour en conserver. Rosine Lisez-la donc, monsieur. Bartholo se retire. A Dieu ne plaise que je te fasse une pareille injure! Rosine Vous me contrariez de la refuser. Bartholo Reçois en réparation cette marque de ma parfaite confiance. Je vais voir la pauvre Marceline, que ce Figaro a, je ne sais pourquoi, saignée du pied n'y viens-tu pas aussi? Rosine J'y monterai dans un moment. Bartholo Puisque la paix est faite, mignonne, donne-moi ta main. Si tu pouvais m'aimer, ah! comme tu serais heureuse! Rosine, baissant les yeux. Si vous pouviez me plaire, ah! comme je vous aimerais. Bartholo Je te plairai, je te plairai; quand je te dis que je te plaira! Il sort. Scène XVI Rosine le regarde aller. Ah! Lindor! il dit qu'il me plaira!... Lisons cette lettre qui a manqué de me causer tant de chagrin. Elle lit s'écrie Ah!... j'ai lu trop tard; il me recommande de tenir une querelle ouverte avec mon tuteur j'en avais une si bonne, et je l'ai laissée échapper. En recevant la lettre, j'ai senti que je rougissais jusqu'aux yeux. Ah! mon tuteur a raison je suis bien loin d'avoir cet usage du monde qui, me dit-il souvent, assure le maintien des femmes en toute occasion! Mais un homme injuste parviendrait à faire une rusée de l'innocence même. Acte troisième Scène I Bartholo, seul et désolé. Quelle humeur! quelle humeur! Elle paraissait apaisée... Là , qu'on me dise qui diable lui a fourré dans la tête de ne plus vouloir prendre leçon de don Bazile! Elle sait qu'il se mêle de mon mariage... On heurte à la porte. Faites tout au monde pour plaire aux femmes; si vous omettez un seul petit point... je dis un seul... On heurte une seconde fois. Voyons qui c'est. Scène II Bartholo, Le Comte, en bachelier. Le Comte Que la paix et la joie habitent toujours céans! Bartholo, brusquement. Jamais souhait ne vint plus à propos. Que voulez-vous? Le Comte Monsieur, je suis Alonzo, bachelier, licencié... Bartholo Je n'ai pas besoin de précepteur. Le Comte ... Elève de don Bazile, organiste du grand couvent, qui a l'honneur de montrer la musique à madame votre... Bartholo Bazile! organiste! qui a l'honneur!... Je le sais; au fait. Le Comte, à part. Quel homme! Haut. Un mal subit qui le force à garder le lit... Bartholo Garder le lit! Bazile! Il a bien fait d'envoyer; je vais le voir à l'instant. Le Comte, à part. Oh! diable! Haut. Quand je dis le lit, monsieur, c'est la chambre que j'entends. Bartholo Ne fût-il qu'incommodé! Marchez devant, je vous suis. Le Comte, embarrassé. Monsieur, j'étais chargé... Personne ne peut-il nous entendre? Bartholo, à part. C'est quelque fripon... Haut. Eh non, monsieur le mystérieux! parlez sans vous troubler, si vous pouvez. Le Comte, à part. Maudit vieillard! Haut. Don Bazile m'avait chargé de vous apprendre... Bartholo Parlez haut, je suis sourd d'une oreille. Le Comte, élevant la voix. Ah! volontiers. Que le comte Almaviva, qui restait à la grande place... Bartholo, effrayé. Parlez bas; parlez bas! Le Comte, plus haut. ... En est délogé ce matin. Comme c'est par moi qu'il a su que le comte Almaviva... Bartholo Bas; parlez bas,. je vous prie. Le Comte, du même ton. ... Etait en cette ville, et que j'ai découvert que la signora Rosine lui a écrit... Bartholo Lui a écrit? Mon cher ami, parlez plus bas, je vous en conjure! Tenez, asseyons-nous, et jasons d'amitié. Vous avez découvert, dites-vous, que Rosine... Le Comte, fièrement. Assurément. Bazile, inquiet pour vous de cette correspondance, m'avait prié de vous montrer sa lettre; mais la manière dont vous prenez les choses... Bartholo Eh! mon Dieu! je les prends bien. Mais ne vous est-il pas possible de parler plus bas? Le Comte Vous êtes sourd d'une oreille, avez-vous dit. Bartholo Pardon, pardon, seigneur Alonzo, si vous m'avez trouvé méfiant et dur; mais je suis tellement entouré d'intrigants, de pièges... et puis votre tournure, votre âge, votre air... Pardon, pardon. Eh bien! vous avez la lettre? Le Comte A la bonne heure sur ce ton, monsieur! Mais je crains qu'on ne soit aux écoutes. Bartholo Eh! qui voulez-vous? tous mes valets sur les dents! Rosine enfermée de fureur! Le diable est entré chez moi. Je vais encore m'assurer... Il va ouvrir doucement la porte de Rosine. Le Comte, à part. Je me suis enferré de dépit. Garder la lettre à présent! il faudra m'enfuir autant vaudrait n'être pas venu... La lui montrer!... Si je puis en prévenir Rosine, la montrer est un coup de maÃtre. Bartholo revient sur la pointe du pied. Elle est assise auprès de sa fenêtre, le dos tourné à la porte, occupée à relire une lettre de son cousin l'officier, que j'avais décachetée,... Voyons donc la sienne. Le Comte lui remet la lettre de Rosine. La voici. A part. C'est ma lettre qu'elle relit. Bartholo lit. "Depuis que vous m'avez appris votre nom et votre état." Ah! la perfide! c'est bien là sa main. Le Comte, effrayé. Parlez donc bas à votre tour. Bartholo Quelle obligation, mon cher!... Le Comte Quand tout sera fini, si vous croyez m'en devoir, vous serez le maÃtre. D'après un travail que fait actuellement don Bazile avec un homme de loi... Bartholo Avec un homme de loi, pour mon mariage? Le Comte Sans doute. Il m'a chargé de vous dire que tout peut être prêt pour demain. Alors, si elle résiste... Bartholo Elle résistera. Le Comte veut reprendre la lettre, Bartholo la serre. Voilà l'instant où je puis vous servir nous lui montrerons sa lettre, et s'il le faut plus mystérieusement, j'irai jusqu'à lui dire que je la tiens d'une femme à qui le Comte l'a sacrifiée. Vous sentez que le trouble, la honte, le dépit, peuvent la porter sur-le-champ... Bartholo, riant. De la calomnie! Mon cher ami, je vois bien maintenant que vous venez de la part de Bazile! Mais pour que ceci n'eût pas l'air concerté, ne serait-il pas bon qu'elle vous connût d'avance? Le Comte réprime un grand mouvement de joie. C'était assez l'avis de don Bazile. Mais comment faire? Il est tard... au peu de temps qui reste... Bartholo Je dirai que vous venez en sa place. Ne lui donnerez-vous pas bien une leçon? Le Comte Il n'y a rien que je ne fasse pour vous plaire. Mais prenez garde que toutes ces histoires de maÃtres supposés sont de vieilles finesses, des moyens de comédie. Si elle va se douter?... Bartholo Présenté par moi, quelle apparence? Vous avez plus l'air d'un amant déguisé que d'un ami officieux. Le Comte Oui? Vous croyez donc que mon air peut aider à la tromperie? Bartholo Je le donne au plus fin à deviner, Elle est ce soir d'une humeur horrible. Mais quand elle ne ferait que vous voir... Son clavecin est dans ce cabinet. Amusez-vous en l'attendant je vais faire l'impossible pour l'amener. Le Comte Gardez-vous bien de lui parler de la lettre. Bartholo Avant l'instant décisif? Elle perdrait tout son effet. Il ne faut pas me dire deux fois les choses il ne faut pas me les dire deux fois. Il s'en va. Scène III Le Comte, seul. Me voilà sauvé. Ouf! Que ce diable d'homme est rude à manier! Figaro le connaÃt bien. Je me voyais mentir; cela me donnait un air plat et gauche; et il a des yeux!... Ma foi, sans l'inspiration subite de la lettre, il faut l'avouer, j'étais éconduit comme un sot. O ciel! on dispute là -dedans. Si elle allait s'obstiner à ne pas venir! Ecoutons... Elle refuse de sortir de chez elle, et j'ai perdu le fruit de ma ruse. Il retourne écouter. La voici; ne nous montrons pas d'abord. Il entre dans le cabinet. Scène IV Le Comte, Rosine, Bartholo Rosine, avec une colère simulée. Tout ce que vous direz est inutile, monsieur. J'ai pris mon parti; je ne veux plus entendre parler de musique. Bartholo Ecoute donc, mon enfant; c'est le seigneur Alonzo, l'élève et l'ami de don Bazile, choisi par lui pour être un de nos témoins. - La musique te calmera, je t'assure. Rosine Oh! pour cela vous pouvez vous en détacher. Si je chante ce soir!... Où donc est-il ce maÃtre que vous craignez de renvoyer? je vais, en deux mots, lui donner son compte, et celui de Bazile. Elle aperçoit son amant elle fait un cri. Ah!... Bartholo Qu'avez-vous? Rosine, les deux mains sur son coeur, avec un grand trouble. Ah! mon Dieu, monsieur... Ah! mon Dieu, monsieur... Bartholo Elle se trouve encore mal! Seigneur Alonzo! Non, je ne me trouve pas mal... mais c'est qu'en me tournant... Ah!... Le Comte Le pied vous a tourné, madame? Rosine Ah! oui, le pied m'a tourné. je me suis fait un mal horrible. Le Comte Je m'en suis bien aperçu. Rosine, regardant le Comte. Le coup m'a porté au coeur. Bartholo Un siège, un siège. Et pas un fauteuil ici? Il va le chercher. Le Comte Ah! Rosine! Rosine Quelle imprudence! Le Comte J'ai mille choses essentielles à vous dire. Rosine Il ne nous quittera pas. Le Comte Figaro va venir nous aider. Bartholo, apportant un fauteuil. Tiens, mignonne, assieds-toi. - Il n'y a pas d'apparence, bachelier, qu'elle prenne de leçon ce soir; ce sera pour un autre jour. Adieu. Rosine, au Comte. Non, attendez; ma douleur est un peu apaisée. A Bartholo. Je sens que j'ai eu tort avec vous, monsieur je veux vous imiter, en réparant sur-le-champ... Bartholo Oh! le bon petit naturel de femme! Mais, après une pareille émotion, mon enfant, je ne souffrirai pas que tu fasses le moindre effort. Adieu, adieu, bachelier. Rosine, au Comte. Un moment, de grâce! A Bartholo. Je croirai, monsieur, que vous n'aimez pas à m'obliger, si vous m'empêchez de vous prouver mes regrets en prenant ma leçon. Le Comte, à part, à Bartholo. Ne la contrariez pas, si vous m'en croyez. Bartholo Voilà qui est fini, mon amoureuse. Je suis si loin de chercher à te déplaire, que je veux rester là tout le temps que tu vas étudier. Rosine Non, monsieur. je sais que la musique n'a nul attrait pour vous. Bartholo Je t'assure que ce soir elle m'enchantera. Rosine, au Comte, à part. Je suis au supplice. Le Comte, prenant un papier de musique sur le pupitre. Est-ce là ce que vous voulez chanter, madame? Rosine Oui, c'est un morceau très agréable de La Précaution inutile. Bartholo Toujours La Précaution inutile! Le Comte C'est ce qu'il y a de plus nouveau aujourd'hui. C'est une image du printemps, d'un genre assez vif. Si madame veut l'essayer... Rosine, regardant le Comte. Avec grand plaisir un tableau du printemps me ravit; c'est la jeunesse de la nature. Au sortir de l'hiver, il semble que le coeur acquière un plus haut degré de sensibilité comme un esclave, enfermé depuis longtemps, goûte avec plus de plaisir le charme de la liberté qui vient de lui être offerte. Bartholo, bas au Comte. Toujours des idées romanesques en tête. Le Comte, bas. En sentez-vous l'application? Bartholo Parbleu! Il va s'asseoir dans le fauteuil qu'a occupé Rosine Rosine chante. N° 3. Quand dans la plaine, L'amour ramène Le printemps Si chéri des amants, Tout reprend l'être, Son feu pénètre Dans les fleurs, Et dans les jeunes coeurs. On voit les troupeaux Sortir des hameaux; Dans tous les coteaux Les cris des agneaux Retentissent; Ils bondissent Tout fermente, Tout augmente; Les brebis paissent Les fleurs qui naissent, Les chiens fidèles Veillent sur elles; Mais Lindor enflammé Ne songe guère Qu'au bonheur d'être aimé De sa bergère. Même air Loin de sa mère Cette bergère Va chantant Où son amant l'attend. Par cette ruse, L'amour l'abuse; Mais chanter Sauve-t-il du danger? Les doux chalumeaux, Les chants des oiseaux, Ses charmes naissants, Ses quinze ou seize ans, Tout l'excite, Tout l'agite; La pauvrette S'inquiète. De sa retraite, Lindor la guette; Elle s'avance; Lindor s'élance; Il vient de l'embrasser Elle, bien aise, Feint de se courroucer Pour qu'on l'apaise PETITE REPRISE Les soupirs, Les soins, les promesses, Les vives tendresses, Les plaisirs, Le fin badinage, Sont mis, en usage; Et bientôt la bergère Ne sent plus de colère. Si quelque jaloux. Trouble un bien si doux, Nos amants d'accord Ont un soin extrême... De voiler leur transport; Mais quand on s'aime, La gêne ajoute encor Au plaisir même. En l'écoutant, Bartholo, s'est assoupi. Le Comte, pendant la petite reprise, se hasarde à prendre une main qu'il couvre de baisers. L'émotion ralentit le chant de Rosine, l'affaiblit, et finit même par lui couper la voix au milieu de la cadence, au mot extrême. L'orchestre sait le mouvement de la chanteuse, affaiblit son jeu, et se tait avec elle. L'absence du bruit qui avait endormi Bartholo, le réveille. Le Comte se relève, Rosine et l'orchestre reprennent subitement la suite de l'air. Si la petite reprise se répète, le même jeu recommence. Le Comte En vérité, c'est un morceau charmant, et madame l'exécute avec une intelligence... Rosine Vous me flattez, seigneur; la gloire est tout entière au maÃtre. Bartholo, bâillant. Moi, je crois que j'ai un peu dormi pendant le morceau charmant. J'ai mes malades. Je vas, je viens, je toupille, et sitôt que je m'assieds, mes pauvres jambes... Il se lève et pousse le fauteuil. Rosine, bas au Comte Figaro ne vient point! Le Comte Filons le temps. Bartholo Mais, bachelier, je l'ai déjà dit à ce vieux Bazile est-ce qu'il n'y aurait pas moyen de lui faire étudier des choses plus gaies que toutes ces grandes aria, qui vont en haut, en bas, en routant, hi, ho, a, a, a, a, et qui me semblent autant d'enterrements? Là , de ces petits airs qu'on chantait dans ma jeunesse, et que chacun retenait facilement? J'en savais autrefois... Par exemple... Pendant la ritournelle, il cherche en se grattant la tête et chante en faisant claquer ses pouces et dansant des genoux comme les vieillards. Veux-tu, ma Rosinette, Faire emplette Du roi des maris?... Au Comte en riant. Il y a Fanchonnette dans la chanson; mais j'y ai substitué Rosinette pour la lui rendre plus agréable et la faire cadrer aux circonstances. Ah! ah! ah! ah! Fort bien! pas vrai? Le Comte, riant. Ah! ah! ah! Oui, tout au mieux. Scène V Figaro, dans le fond Rosine, Bartholo, Le Comte. Bartholo chante. Veux-tu, ma Rosinette, Faire emplette Du roi des maris? Je ne suis point Tircis; Mais la nuit, dans l'ombre, Je vaux encor mon prix; Et quand il fait sombre Les plus beaux chats sont gris. Il répète la reprise en dansant, Figaro, derrière lui, imite ses mouvements. Je ne suis point Tircis, etc. Apercevant Figaro. Ah! entrez, monsieur le barbier; avancez; vous êtes charmant! Figaro salue. Monsieur, il est vrai que ma mère me l'a dit autrefois; mais je suis un peu déformé depuis ce temps-là . A part, au Comte. Bravo, Monseigneur! Pendant toute cette scène, le Comte fait ce qu'il peut pour parler à Rosine; mais l'oeil inquiet et vigilant du tuteur l'en empêche toujours, ce qui forme un jeu muet de tous les acteurs, étranger au débat du docteur et de Figaro. Bartholo Venez-vous purger encore, saigner, droguer, mettre sur le grabat toute ma maison? Figaro Monsieur, il n'est pas tous les jours fête; mais sans compter les soins quotidiens, monsieur a pu voir que, lorsqu'ils en ont besoin, mon zèle n'attend pas qu'on lui commande... Bartholo Votre zèle n'attend pas! Que direz-vous, monsieur le zélé, à ce malheureux qui bâille et dort tout éveillé? et l'autre qui, depuis trois heures, éternue à se faire sauter le crâne et jaillir la cervelle! Que leur direz-vous? Figaro Ce que je leur dirai? Bartholo Oui! Figaro Je leur dirai... Eh! parbleu! je dirai à celui qui éternue Dieu vous bénisse! et Va te coucher, à celui qui bâille. Ce n'est pas cela, monsieur, qui grossira le mémoire. Bartholo Vraiment non; mais c'est la saignée et les médicaments qui le grossiraient, si je voulais y entendre. Est-ce par zèle aussi que vous avez empaqueté les yeux de ma mule, et votre cataplasme lui rendra-t-il la vue? Figaro S'il ne lui rend pas la vue, ce n'est pas cela non plus qui l'empêchera d'y voir. Bartholo Que je le trouve sur le mémoire!... On n'est pas de cette extravagance-là ! Figaro Ma foi, monsieur, les hommes n'ayant guère à choisir qu'entre la sottise et la folie, où je ne vois pas de profit je veux au moins du plaisir; et vive la joie! Qui sait si le monde durera encore trois semaines! Bartholo Vous feriez bien mieux, monsieur le raisonneur, de me payer mes cent écus et les intérêts sans lanterner, je vous en avertis. Figaro Doutez-vous de ma probité, monsieur? Vos cent écus! j'aimerais mieux vous les devoir toute ma vie, que de les nier un seul instant. Bartholo Et dites-moi un peu comment la petite Figaro a trouvé les bonbons que vous lui avez portés. Figaro Quels bonbons? Que voulez-vous dire? Bartholo Oui, ces bonbons, dans ce cornet fait avec cette feuille de papier à lettre, ce matin. Figaro Diable emporte si... Rosine, l'interrompant. Avez-vous eu soin au moins de les lui donner de ma part, monsieur Figaro? Je vous l'avais recommandé. Figaro Ah! ah! les bonbons de ce matin? Que je suis bête, moi! j'avais perdu tout cela de vue... Oh! excellents, madame, admirables! Bartholo Excellents! Admirables! Oui, sans doute, monsieur le barbier, revenez sur vos pas! Vous faites là un joli métier, monsieur! Figaro Qu'est-ce qu'il a donc, monsieur? Bartholo Et qui vous fera une belle réputation, monsieur! Figaro Je la soutiendrai, monsieur. Bartholo Dites que vous la supporterez, monsieur. Figaro Comme il vous plaira, monsieur. Bartholo Vous le prenez bien haut, monsieur! Sachez que quand je dispute avec un fat, je ne lui cède jamais. Figaro lui tourne le dos. Nous différons en cela, monsieur; moi, je lui cède toujours. Bartholo Hein! qu'est-ce qu'il dit donc, bachelier? Figaro C'est que vous croyez avoir affaire à quelque barbier de village, et qui ne sait manier que le rasoir? Apprenez, monsieur, que j'ai travaillé de la plume à Madrid, et que sans les envieux... Bartholo Eh! que n'y restiez-vous, sans venir ici changer de profession? Figaro On fait comme on peut. Mettez-vous à ma place. Bartholo Me mettre à votre place! Ah! parbleu, je dirais de belles sottises! Figaro Monsieur, vous ne commencez pas trop mal; je m'en rapporte à votre confrère qui est là rêvassant. Le Comte, revenant à lui. Je... je ne suis pas le confrère de Monsieur. Figaro Non? Vous voyant ici à consulter, j'ai pensé que vous poursuiviez le même objet. Bartholo, en colère. Enfin, quel sujet vous amène? Y a-t-il quelque lettre à remettre encore ce soir à madame? Parlez, faut-il que je me retire? Figaro Comme vous rudoyez le pauvre monde! Eh! parbleu, monsieur, je viens vous raser, voilà tout; n'est-ce pas aujourd'hui votre jour? Bartholo Vous reviendrez tantôt. Figaro Ah! oui, revenir! toute la garnison prend médecine demain matin, j'en ai obtenu l'entreprise par mes protections. Jugez donc comme j'ai du temps à perdre! Monsieur passe-t-il chez lui? Bartholo Non, monsieur ne passe point chez lui. Et mais... qui empêche qu'on ne me rase ici? Rosine, avec dédain. Vous êtes honnête! Et pourquoi pas dans mon appartement? Bartholo Tu te fâches? Pardon, mon enfant, tu vas achever de prendre ta leçon; c'est pour ne pas perdre un instant le plaisir de t'entendre. Figaro, bas au Comte. On ne le tirera pas d'ici! Haut. Allons, L'Eveillé! La jeunesse! le bassin, de l'eau, tout ce qu'il faut à monsieur. Bartholo Sans doute, appelez-les! Fatigués, harassés, moulus de votre façon, n'a-t-il pas fallu les faire coucher! Figaro Eh bien! j'irai tout chercher. N'est-ce pas dans votre chambre? Bas au Comte. Je vais l'attirer dehors. Bartholo détache son trousseau de clefs, et dit par, réflexion Non, non, j'y vais moi-même. Bas au Comte en s'en allant. Ayez les yeux sur eux, je vous prie. Scène VI Figaro, Le Comte, Rosine. Figaro Ah! que nous l'avons manqué belle! il allait me donner le trousseau. La clef de la jalousie n'y est-elle pas? Rosine C'est la plus neuve de toutes. Scène VII Bartholo, Figaro, Le Comte, Rosine. Bartholo, revenant. A part. Bon! je ne sais ce que je fais, de laisser ici ce maudit barbier. A Figaro. Tenez. Il lui donne le trousseau. Dans mon cabinet, sous mon bureau; mais ne touchez à rien. Figaro La peste! il y ferait bon, méfiant comme vous êtes! A part, en s'en allant. Voyez comme le ciel protège l'innocence! Scène VIII Bartholo, Le Comte, Rosine. Bartholo, bas au Comte. C'est le drôle qui a porté la lettre au Comte. Le Comte, bas. Il m'a l'air d'un fripon. Bartholo Il ne m'attrapera plus. Le Comte Je crois qu'à cet égard le plus fort est fait. Bartholo Tout considéré, j'ai pensé qu'il était plus prudent de l'envoyer dans ma chambre que de le laisser avec elle. Le Comte Ils n'auraient pas dit un mot que je n'eusse été en tiers. Rosine Il est bien poli, messieurs, de parler bas sans cesse! Et ma leçon? Ici l'on entend un bruit comme de la vaisselle renversée. Bartholo, criant. Qu'est-ce que j'entends donc! Le cruel barbier aura tout laissé tomber par l'escalier, et les plus belles pièces de mon nécessaire!... Il court dehors. Scène IX Le comte, Rosine. Le comte Profitons du moment que l'intelligence de Figaro nous ménage. Accordez-moi ce soir, je vous en conjure, madame, un moment d'entretien indispensable pour vous soustraire à l'esclavage où vous allez tomber. Rosine Ah! Lindor! Le comte Je puis monter à votre jalousie, et quant à la lettre que j'ai reçue ce matin, je me suis vu forcé... Scène X Rosine, Bartholo, Figaro, Le Comte. Bartholo Je ne m'étais pas trompé; tout est brisé, fracassé. Figaro Voyez le grand malheur pour tant de train! On ne voit goutte sur l'escalier. Il montre la clef au Comte. Moi, en montant j'ai accroché une clef... Bartholo On prend garde à ce qu'on fait. Accrocher une clef! L'habile homme. Figaro Ma foi, monsieur, cherchez-en un plus subtil. Scène XI Les acteurs précédents, Don Bazile. Rosine, effrayée. A part. Don Bazile!... Le Comte, à part. Juste ciel! Figaro, à part. C'est le diable! Bartholo va au-devant de lui. Ah! Bazile, mon ami, soyez le bien rétabli. Votre accident n'a donc point eu de suites? En vérité, le seigneur Alonzo m'avait fort effrayé sur votre état; demandez-lui, je partais pour vous aller voir, et s'il ne m'avait point retenu... Bazile, étonné. Le seigneur Alonzo?... Figaro frappe du pied. Eh quoi! toujours des accrocs? Deux heures pour une méchante barbe... Chienne de pratique! Bazile, regardant tout le monde. Me ferez-vous bien le plaisir de me dire, messieurs?... Figaro Vous lui parlerez quand je serai parti. Bazile Mais encore faudrait-il... Le Comte Il faudrait vous taire, Bazile. Croyez-vous apprendre à monsieur quelque chose qu'il ignore? Je lui ai raconté que vous m'aviez chargé de venir donner une leçon de musique à votre place. Bazile, plus étonné. La leçon de musique!... Alonzo!... Rosine, à part, à Bazile. Eh! taisez-vous. Bazile Elle aussi! Le Comte, à Bartholo. Dites-lui donc tout bas que nous en sommes convenus. Bartholo, à Bazile, à part. N'allez pas nous démentir, Bazile, en disant qu'il n'est pas votre élève, vous gâteriez tout. Bazile Ah! ah! Bartholo, haut. En vérité, Bazile, on n'a pas plus de talent que votre élève. Bazile, stupéfait. Que mon élève!... Bas. Je venais pour vous dire que le Comte est déménagé. Bartholo, bas. Je le sais, taisez-vous. Bazile, bas. Qui vous l'a dit? Bartholo, bas. Lui, apparemment! Le Comte, bas. Moi, sans doute écoutez seulement. Rosine, bas à Bazile. Est-il si difficile de vous taire? Figaro, bas à Bazile. Hum! Grand escogriffe! Il est sourd! Bazile, à part. Qui diable est-ce donc qu'on trompe ici? Tout le monde est dans le secret! Bartholo, haut. Eh bien, Bazile, votre homme de loi?... Figaro Vous avez toute la soirée pour parler de l'homme de loi. Bartholo, à Bazile. Un mot; dites-moi seulement si vous êtes content de l'homme de loi. Bazile, effaré. De l'homme de loi? Le Comte, souriant. Vous ne l'avez pas vu, l'homme de loi? Bazile, impatienté. Eh! non, je ne l'ai pas vu, l'homme de loi. Le Comte, à Bartholo, à part. Voulez-vous donc qu'il s'explique ici devant elle? Renvoyez-le. Bartholo, bas au Comte. Vous avez raison. A Bazile. Mais quel mal vous a donc pris si subitement? Bazile, en colère. Je ne vous entends pas. Le Comte lui met, à part, une bourse dans la main. Oui monsieur vous demande ce que vous venez faire ici, dans l'état d'indisposition où vous êtes. Figaro Il est pâle comme un mort! Bazile Ah! je comprends... Le Comte Allez vous coucher, mon cher Bazile vous n'êtes pas bien, et vous nous faites mourir de frayeur. Allez vous coucher. Figaro Il a la physionomie toute renversée. Allez vous coucher, Bartholo D'honneur, il sent la fièvre d'une lieue. Allez vous coucher. Rosine Pourquoi donc êtes-vous sorti? On dit que cela se gagne. Allez vous coucher. Bazile; au dernier étonnement. Que j'aille me coucher! Tous les acteurs ensemble Eh! sans doute. Bazile, les regardant tous. En effet, messieurs, je crois que je ne ferai pas mal de me retirer je sens que je ne suis pas ici dans mon assiette ordinaire. Bartholo A demain, toujours, si vous êtes mieux, Le Comte Bazile, je serai chez vous de très bonne heure. Figaro Croyez-moi, tenez-vous bien chaudement dans votre lit. Rosine Bonsoir, monsieur Bazile. Bazile, à part. Diable emporte si j'y comprends rien! et sans cette bourse... Tous Bonsoir, Bazile, bonsoir. Bazile, en s'en allant. Eh bien, bonsoir donc, bonsoir. Ils l'accompagnent tout en riant. Scène XII Les acteurs précédents, excepté Bazile. Bartholo, d'un ton important. Cet homme-là n'est pas bien du tout. Rosine Il a les yeux égarés. Le Comte Le grand air l'aura saisi. Figaro Avez-vous vu comme il parlait tout seul? Ce que c'est que de nous! A Bartholo. Ah çà , vous décidez-vous, cette fois? Il lui pousse un fauteuil très loin du Comte et lui présente le linge. Le Comte Avant de finir, madame, je dois vous dire un mot essentiel au progrès de l'art que j'ai l'honneur de vous enseigner. Il s'approche, et lui parle bas à l'oreille. Bartholo, à Figaro. Eh mais! il semble que vous le fassiez exprès de vous approcher, et de vous mettre devant moi pour m'empêcher de voir... Le Comte, bas à Rosine, Nous avons la clef de la jalousie, et nous serons ici à minuit. Figaro passe le linge au cou de Bartholo. Quoi voir? Si c'était une leçon de danse, on vous passerait d'y regarder; mais du chant!... Aie, aïe! Bartholo Qu'est-ce que c'est? Figaro Je ne sais ce qui m'est entré dans l'oeil. Il rapproche sa tête. Bartholo Ne frottez donc pas. Figaro C'est le gauche. Voudriez-vous me faire le plaisir d'y souffler un peu fort? Bartholo prend la tête de Figaro, regarde par-dessus, il pousse violemment et va derrière les amants écouter leur conversation. Le Comte, bas à Rosine. Et quant à votre lettre, je me suis trouvé tantôt dans un tel embarras pour rester ici... Figaro, de loin pour avertir. Hem!... hem!... Le Comte Désolé de voir encore mon déguisement inutile... Bartholo, passant entre deux. Votre déguisement inutile! Rosine, effrayée. Ah!... Bartholo Fort bien, madame, ne vous gênez pas. Comment! sous mes yeux mêmes, en ma présence, on m'ose outrager de la sorte! Le Comte Qu'avez-vous donc, seigneur? Bartholo Perfide Alonzo! Le Comte Seigneur Bartholo, si vous avez souvent des lubies comme celle dont le hasard me rend témoin, je ne suis plus étonné de l'éloignement que mademoiselle a pour devenir votre femme. Rosine Sa femme! Moi! Passer mes jours auprès d'un vieux jaloux, qui, pour tout bonheur, offre à ma jeunesse un esclavage abominable! Bartholo Ah! qu'est-ce que j'entends! Rosine Oui, je le dis tout haut je donnerai mon coeur et ma main à celui qui pourra m'arracher de cette horrible prison, où ma personne et mon bien sont retenus contre toute justice. Rosine sort. Scène XIII Bartholo, Figaro, Le Comte Bartholo La colère me suffoque. Le Comte En effet, seigneur, il est difficile qu'une jeune femme... Figaro Oui, une jeune femme et un grand âge, voilà ce qui trouble la tête d'un vieillard. Bartholo Comment! lorsque je les prends sur le fait! Maudit barbier! il me prend des envies... Figaro Je me retire, il est fou. Le Comte Et moi aussi; d'honneur, il est fou. Figaro Il est fou, il est fou. Ils sortent. Scène XIV Bartholo, seul, les poursuit. Je suis fou! Infâmes suborneurs, émissaires du diable, dont vous faites ici l'office, et qui puisse vous emporter tous... Je suis fou!... Je les ai vus comme je vois ce pupitre... Et me soutenir effrontément!... Ah! Il n'y a que Bazile qui puisse m'expliquer ceci. Oui, envoyons-le chercher. Holà ! quelqu'un... Ah! j'oublie que je n'ai personne... Un voisin, le premier venu, n'importe. Il y a de quoi perdre l'esprit! il y a de quoi perdre l'esprit! Pendant l'entracte le théâtre s'obscurcit; on entend un bruit d'orage, et l'orchestre joue celui qui est gravé dans le recueil de la musique du Barbier, N° 5. Acte quatrième Le théâtre est obscur. Scène I Bartholo, Don Bazile, une lanterne de papier à la main. Bartholo Comment, Bazile, vous ne le connaissez pas! Ce que vous dites est-il possible? Bazile Vous m'interrogeriez cent fois, que je vous ferais toujours la même réponse. S'il vous a remis la lettre de Rosine, c'est sans doute un des émissaires du Comte. Mais, à la magnificence du présent qu'il m'a fait, il se pourrait que ce fût le Comte lui-même. Bartholo Quelle apparence? Mais, à propos de ce présent, eh! pourquoi l'avez-vous reçu? Bazile Vous aviez l'air d'accord; je n'y entendais rien; et dans les cas difficiles à juger, une bourse d'or me paraÃt toujours un argument sans réplique. Et puis, comme dit le proverbe, ce qui est bon à prendre... Bartholo J'entends, est bon... Bazile A garder. Bartholo, surpris. Ah! ah! Bazile Oui, j'ai arrangé comme cela plusieurs petits proverbes avec des variations. Mais allons au fait; à quoi vous arrêtez-vous? Bartholo En ma place, Bazile, ne feriez-vous pas les derniers efforts pour la posséder? Bazile Ma foi non, docteur. En toute espèce de biens, posséder est peu de chose; c'est jouir qui rend heureux mon avis est qu'épouser une femme dont on n'est point aimé, c'est s'exposer... Bartholo Vous craindriez les accidents? Bazile Hé, hé, monsieur... on en voit beaucoup cette année. Je ne ferais point violence à son coeur. Bartholo Votre valet, Bazile. Il vaut mieux qu'elle pleure de m'avoir, que moi je meure de ne l'avoir pas... Bazile Il y va de la vie? Epousez, docteur, épousez. Bartholo Aussi ferai-je, et cette nuit même. Bazile Adieu donc. - Souvenez-vous, en parlant à la pupille de les rendre tous plus noirs que l'enfer. Bartholo Vous avez raison. Bazile La calomnie, docteur, la calomnie! Il faut toujours en venir là . Bartholo Voici la lettre de Rosine que cet Alonzo m'a remise, et il m'a montré, sans le vouloir, l'usage que j'en dois faire auprès d'elle. Bazile Adieu, nous serons tous ici à quatre heures. Bartholo Pourquoi pas plus tôt? Bazile Impossible; le notaire est retenu. Bartholo Pour un mariage? Bazile Oui, chez le barbier Figaro; c'est sa nièce qu'il marie. Bartholo Sa nièce? Il n'en a pas. Bazile Voilà ce qu'ils ont dit au notaire. Bartholo Ce drôle est du complot que diable!... Bazile Est-ce que vous penseriez?... Bartholo Ma foi, ces gens-là sont si alertes! Tenez, mon ami, je ne suis pas tranquille. Retournez chez le notaire. Qu'il vienne ici sur-le-champ avec vous. Bazile Il pleut, il fait un temps du diable; mais rien ne m'arrête pour vous servir. Que faites-vous donc? Bartholo Je vous reconduis n'ont-ils pas fait estropier tout mon monde par ce Figaro! Je suis seul ici. Bazile J'ai ma lanterne. Bartholo Tenez, Bazile, voilà mon passe-partout. Je vous attends, je veille; et vienne qui voudra, hors le notaire et vous, personne n'entrera de la nuit. Bazile Avec ces précautions, vous êtes sûr de votre fait. Scène II Rosine, seule, sortant de sa chambre. Il me semblait avoir entendu parler. Il est minuit sonné; Lindor ne vient point! Ce mauvais temps même était propre à le favoriser. Sûr de ne rencontrer personne... Ah! Lindor! si vous m'aviez trompée!... Quel bruit entends-je?... Dieux! c'est mon tuteur. Rentrons. Scène III Rosine, Bartholo. Bartholo rentre avec de la lumière. Ah! Rosine, puisque vous n'êtes pas encore rentrée dans votre appartement... Rosine Je vais me retirer. Bartholo Par le temps affreux qu'il fait, vous ne reposerez pas, et j'ai des choses très pressées à vous dire. Rosine Que voulez-vous, monsieur? N'est-ce donc pas assez d'être tourmentée le jour? Bartholo Rosine, écoutez-moi. Rosine Demain je vous entendrai. Bartholo Un moment, de grâce! Rosine, à part. S'il allait venir! Bartholo, lui montre sa lettre. Connaissez-vous cette lettre? Rosine la reconnaÃt. Ah! grands dieux! Bartholo Mon intention, Rosine, n'est point de vous faire de reproches; à votre âge, on peut s'égarer; mais je suis votre ami; écoutez-moi. Rosine Je n'en puis plus. Bartholo Cette lettre que vous avez écrite au comte Almaviva... Rosine, étonnée. Au comte Almaviva! Bartholo Voyez quel homme affreux est ce Comte aussitôt qu'il l'a reçue, il en a fait trophée. je la tiens d'une femme à qui il l'a sacrifiée Rosine Le comte Almaviva! Bartholo Vous avez peine à vous persuader cette horreur. L'inexpérience, Rosine, rend votre sexe confiant et crédule; mais apprenez dans quel piège on vous attirait. Cette femme m'a fait donner avis de tout, apparemment pour écarter une rivale aussi dangereuse que vous. J'en frémis! Le plus abominable complot entre Almaviva, Figaro et cet Alonzo, cet élève supposé de Bazile qui porte un autre nom, et n'est que le vil agent du Comte, allait vous entraÃner dans un abÃme dont rien n'eût pu vous tirer. Rosine, accablée. Quelle horreur!... quoi! Lindor!... quoi! ce jeune homme! Bartholo, à part. Ah! c'est Lindor. Rosine C'est pour le comte Almaviva... C'est pour un autre... Bartholo Voilà ce qu'on m'a dit en me remettant votre lettre. Rosine, outrée. Ah! quelle indignité! Il en sera puni. - Monsieur, vous avez désiré de m'épouser? Bartholo Tu connais la vivacité de mes sentiments. Rosine S'il peut vous en rester encore, je suis à vous. Bartholo Eh bien! le notaire viendra cette nuit même. Rosine Ce n'est pas tout. O ciel! Suis-je assez humiliée!... Apprenez que dans peu le perfide ose entrer par cette jalousie, dont ils ont eu l'art de vous dérober la clef. Bartholo, regardant au trousseau. Ah! les scélérats! Mon enfant, je ne te quitte plus. Rosine, avec effroi. Ah! monsieur! et s'ils sont armés? Bartholo Tu as raison je perdrais ma vengeance. Monte chez Marceline; enferme-toi chez elle à double tour. Je vais chercher main-forte, et l'attendre auprès de la maison. Arrêté comme voleur, nous aurons le plaisir d'en être à la fois vengés et délivrés! Et compte que mon amour te dédommagera... Rosine, au désespoir. Oubliez seulement mon erreur. A part. Ah! je m'en punis assez. Bartholo, s'en allant. Allons nous embusquer. A la fin je la tiens. Il sort. Scène IV Rosine, seule. Son amour me dédommagera!... Malheureuse!... Elle tire son mouchoir et s'abandonne aux larmes. Que faire?... Il va venir. Je veux rester et feindre avec lui, pour le contempler un moment dans toute sa noirceur. La bassesse de son procédé sera mon préservatif... Ah! j'en ai grand besoin. Figure noble, air doux, une voix si tendre!... et ce n'est que le vil agent d'un corrupteur! Ah! malheureuse! malheureuse! Ciel!... on ouvre la jalousie! Elle se sauve. Scène V Le Comte; Figaro, enveloppé d'un manteau, paraÃt à la fenêtre. Figaro parle en dehors. Quelqu'un s'enfuit entrerai-je? Le Comte, en dehors. Un homme? Figaro Le Comte C'est Rosine, que ta figure atroce aura mise en fuite. Figaro saute dans la chambre. Ma foi, je le crois... Nous voici enfin arrivés, malgré la pluie, la foudre et les éclairs. Le Comte, enveloppé d'un long manteau. Donne-moi la main. Il saute à son tour. A nous la victoire! Figaro jette son manteau. Nous sommes tout percés. Charmant temps, pour aller en bonne fortune! Monseigneur, comment trouvez-vous cette nuit? Le Comte Superbe pour un amant. Figaro Oui, mais pour un confident?... Et si quelqu'un allait nous surprendre ici? Le Comte N'es-tu pas avec moi? J'ai bien une autre inquiétude c'est de la déterminer à quitter sur-le-champ la maison du tuteur. Figaro Vous avez pour vous trois passions toutes-puissantes sur le beau sexe l'amour, la haine et la crainte. Le Comte regarde dans l'obscurité. Comment lui annoncer brusquement que le notaire l'attend chez toi pour nous unir? Elle trouvera mon projet bien hardi elle va me nommer audacieux. Figaro Si elle vous nomme audacieux, vous l'appellerez cruelle. Les femmes aiment beaucoup qu'on les appelle cruelles. Au surplus, si son amour est tel que vous le désirez, vous lui direz qui vous êtes; elle ne doutera plus de vos sentiments. Scène VI Le Comte, Rosine, Figaro. Figaro allume toutes les bougies qui sont sur la table. Le Comte La voici. - Ma belle Rosine!... Rosine, d'un ton très composé. Je commençais, monsieur, à craindre que vous ne vinssiez pas. Le Comte Charmante inquiétude!... Mademoiselle, il ne me convient point d'abuser des circonstances pour vous proposer de partager le sort d'un infortuné; mais quelque asile que vous choisissiez, je jure mon honneur... Rosine Monsieur, si le don de ma main n'avait pas dû suivre à l'instant celui de mon coeur, vous ne seriez pas ici. Que la nécessité justifie à vos yeux ce que cette entrevue a d'irrégulier. Le Comte Vous, Rosine! la compagne d'un malheureux, sans fortune, sans naissance!... Rosine La naissance, la fortune! Laissons là les jeux du hasard, et si vous m'assurez que vos intentions sont pures... Le Comte, à ses pieds. Ah! Rosine! je vous adore!... Rosine, indignée. Arrêtez, malheureux!... vous osez profaner!... Tu m'adores!... Va! tu n'es plus dangereux pour moi; j'attendais ce mot pour te détester. Mais avant de t'abandonner au remords qui t'attend en pleurant, apprends que je t'aimais; apprends que je faisais mon bonheur de partager ton mauvais sort. Misérable Lindor! j'allais tout quitter pour te suivre. Mais le lâche abus que tu as fait de mes bontés, et l'indignité de cet affreux comte Almaviva, à qui tu me vendais, ont fait rentrer dans mes mains ce témoignage de ma faiblesse. Connais-tu cette lettre? Le Comte, vivement. Que votre tuteur vous a remise? Rosine, fièrement. Oui, je lui en ai l'obligation. Le Comte Dieux! que je suis heureux! Il la tient de moi. Dans mon embarras, hier, je m'en suis servi pour arracher sa confiance et je n'ai pu trouver l'instant de vous en informer. Ah! Rosine, il est donc vrai que vous m'aimez véritablement! Figaro Monseigneur, vous cherchiez une femme qui vous aimât pour vous-même ... Rosine Monseigneur!... Que dit-il? Le Comte, jetant son large manteau, paraÃt en habit magnifique. O la plus aimée des femmes! il n'est plus temps de vous abuser l'heureux homme que vous voyez à vos pieds n'est point Lindor; je suis le comte Almaviva, qui meurt d'amour, et vous cherche en vain depuis six mois. Rosine tombe dans les bras du Comte. Ah!... Le Comte, effrayé. Figaro! Figaro Point d'inquiétude, Monseigneur la douce émotion de la joie n'a jamais de suites fâcheuses; la voilà , la voilà qui reprend ses sens. Morbleu! qu'elle est belle! Rosine Ah! Lindor!... Ah! monsieur! que je suis coupable! j'allais me donner cette nuit même à mon tuteur. Le Comte Vous, Rosine! Rosine Ne voyez que ma punition! J'aurais passé ma vie à vous détester. Ah! Lindor! le plus affreux supplice n'est-il pas de haïr, quand on sent qu'on est faite pour aimer? Figaro regarde à la fenêtre. Monseigneur, le retour est fermé; l'échelle est enlevée. Le Comte Enlevée! Rosine, troublée. Oui, c'est moi... c'est le docteur. Voilà le fruit de ma crédulité. Il m'a trompée. J'ai tout avoué, tout trahi il sait que vous êtes ici, et va venir avec main-forte. Figaro regarde encore. Monseigneur! on ouvre la porte de la rue. Rosine, courant dans les bras du Comte avec frayeur. Ah! Lindor!... Le comte, avec fermeté. Rosine, vous m'aimez! Je ne crains personne; et vous serez ma femme. J'aurai donc le plaisir de punir à mon gré l'odieux vieillard!... Rosine Non, non; grâce pour lui, cher Lindor! Mon coeur est si plein, que la vengeance ne peut y trouver place. Scène VII Le Notaire, Don Bazile, Les acteurs Précédents. Figaro Monseigneur, c'est notre notaire. Le Comte Et l'ami Bazile avec lui! Bazile Ah! qu'est-ce que j'aperçois? Figaro Eh! par quel hasard, notre ami?... Bazile Par quel accident, messieurs?... Le Notaire Sont-ce là les futurs conjoints? Le Comte Oui, monsieur. Vous deviez unir la signora Rosine et moi cette nuit chez le barbier Figaro; mais nous avons préféré cette maison pour des raisons que vous saurez. Avez-vous notre contrat? Le Notaire J'ai donc l'honneur de parler à Son Excellence monsieur le comte Almaviva? Figaro Précisément. Bazile, à part. Si c'est pour cela qu'il m'a donné le passe-partout... Le Notaire C'est que j'ai deux contrats de mariage, Monseigneur. Ne confondons point voici le vôtre; et c'est ici celui du seigneur Bartholo avec la signora... Rosine aussi? Les demoiselles apparemment sont deux soeurs qui portent le même nom. Le Comte Signons toujours. Don Bazile voudra bien nous servir de second témoin.Ils signent. Bazile Mais, Votre Excellence..., je ne comprends pas... Le Comte Mon maÃtre Bazile, un rien vous embarrasse, et tout vous étonne. Bazile Monseigneur... Mais si le docteur... Le Comte, lui jetant une bourse. Vous faites l'enfant! Signez donc vite. Bazile, étonné. Ah! ah!... Figaro Où donc est la difficulté de signer? Bazile, pesant la bourse. Il n'y en a plus. Mais c'est que moi, quand j'ai donné ma parole une fois, il faut des motifs d'un grand poids... Il signe. Scène VIII Bartholo, un Alcade, des Alguazils, des Valets avec des flambeaux, et les Acteurs précédents. Bartholo voit le comte baiser la main de Rosine et Figaro qui embrasse grotesquement don Bazile; il crie en prenant le notaire à la gorge Rosine avec ces fripons! Arrêtez tout le monde. J'en tiens un au collet. Le Notaire C'est votre notaire. Bazile C'est votre notaire. Vous moquez-vous? Bartholo Ah! don Bazile! Eh! comment êtes-vous ici? Bazile Mais plutôt vous, comment n'y êtes-vous pas? L'Alcade, montrant Figaro. Un moment! je connais celui-ci. Que viens-tu faire en cette maison, à des heures indues? Figaro Heure indue? Monsieur voit bien qu'il est aussi près du matin que du soir. D'ailleurs, je suis de la compagnie de Son Excellence monseigneur le comte Almaviva. Bartholo Almaviva! L'Alcade Ce ne sont donc pas des voleurs? Bartholo Laissons cela. - Partout ailleurs, monsieur le Comte, je suis le serviteur de Votre Excellence; mais vous sentez que la supériorité du rang est ici sans force. Ayez, s'il vous plaÃt, la bonté de vous retirer. Le Comte Oui, le rang doit être ici sans force; mais ce qui en a beaucoup est la préférence que mademoiselle vient de m'accorder sur vous, en se donnant à moi volontairement. Bartholo Que dit-il, Rosine? Rosine Il dit vrai. D'où naÃt votre étonnement? Ne devais-je pas, cette nuit même, être vengée d'un trompeur? Je le suis. Bazile Quand je vous disais que c'était le Comte lui-même, docteur? Bartholo Que m'importe à moi? Plaisant mariage! Où sont les témoins? Le Notaire Il n'y manque rien. Je suis assisté de ces deux messieurs. Bartholo Comment, Bazile! vous avez signé? Bazile Que voulez-vous! Ce diable d'homme a toujours ses poches pleines d'arguments irrésistibles. Bartholo Je me moque de ses arguments. J'userai de mon autorité. Le Comte Vous l'avez perdue en en abusant. Bartholo La demoiselle est mineure. Figaro Elle vient de s'émanciper. Bartholo Qui te parle à toi, maÃtre fripon? Le Comte Mademoiselle est noble et belle; je suis homme de qualité, jeune et riche; elle est ma femme à ce titre qui nous honore également, prétend-on me la disputer? Bartholo Jamais on ne l'ôtera de mes mains. Le Comte Elle n'est plus en votre pouvoir. Je la mets sous l'autorité des lois; et monsieur, que vous avez amené vous-même, la protégera contre la violence que vous voulez lui faire. Les vrais magistrats sont les soutiens de tous ceux qu'on opprime. L'alcade Certainement. Et cette inutile résistance au plus honorable mariage indique assez sa frayeur sur la mauvaise administration des biens de sa pupille, dont il faudra qu'il rende compte. Le Comte Ah! qu'il consente à tout, et je ne lui demande rien. Figaro Que la quittance de mes cent écus ne perdons pas la tête. Bartholo, irrité. Ils étaient tous contre moi; je me suis fourré la tête dans un guêpier. Bazile Quel guêpier? Ne pouvant avoir la femme, calculez, docteur, que l'argent vous reste; et... Bartholo Eh! laissez-moi donc en repos, Bazile! Vous ne songez qu'à l'argent. Je me soucie bien de l'argent, moi! A la bonne heure, je le garde mais croyez-vous que ce soit le motif qui me détermine? Il signe. Figaro, riant. Ah! ah! ah! Monseigneur! ils sont de la même famille. Le Notaire Mais, messieurs, je n'y comprends plus rien. Est-ce qu'elles ne sont pas deux demoiselles qui portent le même nom? Figaro Non, monsieur, elles ne sont qu'une. Bartholo, se désolant. Et moi qui leur ai enlevé l'échelle pour que le mariage fût plus sûr! Ah! je me suis perdu faute de soins. Figaro Faute de sens. Mais soyons vrais, docteur quand la jeunesse et l'amour sont d'accord pour tromper un vieillard, tout ce qu'il fait pour l'empêcher peut bien s'appeler à bon droit la Précaution inutile. FIN DU QUATRIEME ET DERNIER ACTE. La Folle Journée ou le Mariage de Figaro EpÃtre dédicatoire aux personnes trompées sur ma pièce et qui n'ont pas voulu la voir. O vous que je ne nommerai point! Coeurs généreux, esprits justes, à qui l'on a donné des préventions contre un ouvrage réfléchi, beaucoup plus gai qu'il n'est frivole; soit que vous l'acceptiez ou non, je vous en fais l'hommage, et c'est tromper l'envie dans une de ses mesures. Si le hasard vous la fait lire, il la trompera dans une autre, en vous montrant quelle confiance est due à tant de rapports qu'on vous fait! Un objet de pur agrément peut s'élever encore à l'honneur d'un plus grand mérite c'est de vous rappeler cette vérité de tous les temps, qu'on connaÃt mal les hommes et les ouvrages quand on les juge sur la foi d'autrui; que les personnes, surtout dont l'opinion est d'un grand poids, s'exposent à glacer sans le vouloir ce qu'il fallait peut-être encourager, lorsqu'elles négligent de prendre pour base de leurs jugements le seul conseil qui soit bien pur celui de leurs propres lumières. Ma résignation égale mon profond respect. L'AUTEUR. Préface En écrivant cette préface, mon but n'est pas de rechercher oiseusement si j'ai mis au théâtre une pièce bonne ou mauvaise; il n'est plus temps pour moi mais d'examiner scrupuleusement, et je le dois toujours, si j'ai fait une oeuvre blâmable. Personne n'étant tenu de faire une comédie qui ressemble aux autres, si je me suis écarté d'un chemin trop battu, pour des raisons qui m'ont paru solides, ira-t-on me juger, comme l'ont fait MM. tels, sur des règles qui ne sont pas les miennes? imprimer puérilement que je reporte l'art à son enfance, parce que j'entreprends de frayer un nouveau sentier à cet art dont la loi première, et peut-être la seule, est d'amuser en instruisant? Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Il y a souvent très loin du mal que l'on dit d'un ouvrage à celui qu'on en pense. Le trait qui nous poursuit, le mot qui importune reste enseveli dans le coeur, pendant que la bouche se venge en blâmant presque tout le reste. De sorte qu'on peut regarder comme un point établi au théâtre, qu'en fait de reproche à l'auteur, ce qui nous affecte le plus est ce dont on parle le moins. Il est peut-être utile de dévoiler, aux yeux de tous, ce double aspect des comédies; et j'aurai fait encore un bon usage de la mienne, si je parviens, en la scrutant, à fixer l'opinion publique sur ce qu'on doit entendre par ces mots Qu'est-ce que LA DECENCE THEATRALE? A force de nous montrer délicats, fins connaisseurs et d'affecter, comme j'ai dit autre part, l'hypocrisie de la décence auprès du relâchement des moeurs, nous devenons des êtres nuls, incapables de s'amuser et de juger de ce qui leur convient faut-il le dire enfin? des bégueules rassasiées qui ne savent plus ce qu'elles veulent, ni ce qu'elles doivent aimer ou rejeter. Déjà ces mots si rebattus, bon ton, bonne compagnie, toujours ajustés au niveau de chaque insipide coterie, et dont la latitude est si grande qu'on ne sait où ils commencent et finissent, ont détruit la franche et vraie gaieté qui distinguait de tout autre le comique de notre nation. Ajoutez-y le pédantesque abus de ces autres grands mots, décence et bonnes moeurs, qui donnent un air si important, si supérieur, que nos jugeurs de comédies seraient désolés de n'avoir pas à les prononcer sur toutes les pièces de théâtre, et vous connaÃtrez à peu près ce qui garrotte le génie, intimide tous les auteurs, et porte un coup mortel à la vigueur de l'intrigue, sans laquelle il n'y a pourtant que du bel esprit à la glace et des comédies de quatre jours. Enfin, pour dernier mal, tous les états de la société sont parvenus à se soustraire à la censure dramatique on ne pourrait mettre au théâtre Les Plaideurs de Racine, sans entendre aujourd'hui les Dandins et les Brid'oisons, même des gens plus éclairés, s'écrier qu'il n'y a plus ni moeurs, ni respect pour les magistrats. On ne ferait point le Turcaret, sans avoir à l'instant sur les bras fermes, sous-fermes, traites et gabelles, droits réunis, tailles, taillons, le trop-plein, le trop-bu, tous les impositeurs royaux. Il est vrai qu'aujourd'hui Turcaret n'a plus de modèles. On l'offrirait sous d'autres traits, l'obstacle resterait le même. On ne jouerait point les fâcheux, les marquis, les emprunteurs de Molière, sans révolter à la fois la haute, la moyenne, la moderne et l'antique noblesse. Ses Femmes savantes irriteraient nos féminins bureaux d'esprit. Mais quel calculateur peut évaluer la force et la longueur du levier qu'il faudrait, de nos jours, pour élever jusqu'au théâtre l'oeuvre sublime du Tartuffe? Aussi l'auteur qui se compromet avec le public pour l'amuser ou pour l'instruire, au lieu d'intriguer à son choix son ouvrage, est-il obligé de tourniller dans des incidents impossibles, de persifler au lieu de rire, et de prendre ses modèles hors de la société, crainte de se trouver mille ennemis, dont il ne connaissait aucun en composant son triste drame. J'ai donc réfléchi que, si quelque homme courageux ne secouait pas toute cette poussière, bientôt l'ennui des pièces françaises porterait la nation au frivole opéra-comique, et plus loin encore, aux boulevards, à ce ramas infect de tréteaux élevés à notre honte, où la décente liberté, bannie du théâtre français, se change en une licence effrénée; où la jeunesse va se nourrir de grossières inepties, et perdre, avec ses moeurs, le goût de la décence et des chefs-d'oeuvre de nos maÃtres. J'ai tenté d'être cet homme; et si je n'ai pas mis plus de talent à mes ouvrages, au moins mon intention s'est-elle manifestée dans tous. J'ai pensé, je pense encore, qu'on n'obtient ni grand pathétique, ni profonde moralité, ni bon et vrai comique au théâtre, sans des situations fortes, et qui naissent toujours d'une disconvenance sociale, dans le sujet qu'on veut traiter. L'auteur tragique, hardi dans ses moyens, ose admettre le crime atroce les conspirations, l'usurpation du trône, le meurtre, l'empoisonnement, l'inceste dans Oedipe et Phèdre; le fratricide dans Vendôme; le parricide dans Mahomet; le régicide dans Macbeth, etc., etc. La comédie, moins audacieuse, n'excède pas les disconvenances, parce que ses tableaux sont tirés de nos moeurs, ses sujets de la société. Mais comment frapper sur l'avarice, à moins de mettre en scène un méprisable avare? démasquer l'hypocrisie, sans montrer, comme Orgon, dans le Tartuffe, un abominable hypocrite, épousant sa fille et convoitant sa femme? un homme à bonnes fortunes, sans le faire parcourir un cercle entier de femmes galantes? un joueur effréné, sans l'envelopper de fripons, s'il ne l'est pas déjà lui-même? Tous ces gens-là sont loin d'être vertueux; l'auteur ne les donne pas pour tels il n'est le patron d'aucun d'eux, il est le peintre de leurs vices. Et parce que le lion est féroce, le loup vorace et glouton, le renard rusé, cauteleux, la fable est-elle sans moralité? Quand l'auteur la dirige contre un sot que la louange enivre, il fait choir du bec du corbeau le fromage dans la gueule du renard, sa moralité est remplie; s'il la tournait contre le bas flatteur, il finirait son apologue ainsi Le renard s'en saisit, le dévore; mais le fromage était empoisonné. La fable est une comédie légère, et toute comédie n'est qu'un long apologue leur différence est que dans la fable les animaux ont de l'esprit, et que dans notre comédie les hommes sont souvent des bêtes, et, qui pis est, des bêtes méchantes. Ainsi, lorsque Molière, qui fut si tourmenté par les sots, donne à l'avare un fils prodigue et vicieux qui lui vole sa cassette et l'injurie en face, est-ce des vertus ou des vices, qu'il tire sa moralité? que lui importent ces fantômes? c'est vous qu'il entend corriger. Il est vrai que les afficheurs et balayeurs littéraires de son temps ne manquèrent pas d'apprendre au bon public combien tout cela était horrible! Il est aussi prouvé que des envieux très importants, ou des importants très envieux, se déchaÃnèrent contre lui. Voyez le sévère Boileau, dans son épÃtre au grand Racine, venger son ami qui n'est plus, en rappelant ainsi les faits L'Ignorance et l'Erreur, à ses naissantes pièces, En habits de marquis, en robes de comtesses, Venaient pour diffamer son chef-d'oeuvre nouveau, Et secouaient la tête à l'endroit le plus beau. Le commandeur voulait la scène plus exacte; Le vicomte, indigné, sortait au second acte L'un, défenseur zélé des dévots mis en jeu, Pour prix de ses bons mots le condamnait au feu; L'autre, fougueux marquis, lui déclarant la guerre, Voulait venger la Cour immolée au parterre. On voit même dans un placet de Molière à Louis XIV, qui fut si grand en protégeant les arts, et sans le goût éclairé duquel notre théâtre n'aurait pas un seul chef-d'oeuvre de Molière; on voit ce philosophe auteur se plaindre amèrement au roi que, pour avoir démasqué les hypocrites, ils imprimaient partout qu'il était un libertin, un impie, un athée, un démon vêtu de chair, habillé en homme; et cela s'imprimait avec APPROBATION ET PRIVILEGE de ce roi qui le protégeait rien là -dessus n'est empiré. Mais, parce que les personnages d'une pièce s'y montrent sous des moeurs vicieuses, faut-il les bannir de la scène? Que poursuivrait-on au théâtre? les travers et les ridicules? Cela vaut bien la peine d'écrire! Ils sont chez nous comme les modes on ne s'en corrige point, on en change. Les vices, les abus, voilà ce qui ne change point, mais se déguise en mille formes sous le masque des moeurs dominantes leur arracher ce masque et les montrer à découvert, telle est la noble tâche de l'homme qui se voue au théâtre. Soit qu'il moralise en riant, soit qu'il pleure en moralisant, Héraclite ou Démocrite, il n'a pas un autre devoir. Malheur à lui, s'il s'en écarte! On ne peut corriger les hommes qu'en les faisant voir tels qu'ils sont. La comédie utile et véridique n'est point un éloge menteur, un vain discours d'académie. Mais gardons-nous bien de confondre cette critique générale, un des plus nobles buts de l'art, avec la satire odieuse et personnelle l'avantage de la première est de corriger sans blesser. Faites prononcer au théâtre, par l'homme juste, aigri de l'horrible abus des bienfaits, tous les hommes sont des ingrats quoique chacun soit bien près de penser comme lui, personne ne s'en offensera. Ne pouvant y avoir un ingrat sans qu'il existe un bienfaiteur, ce reproche même établit une balance égale entre les bons et les mauvais coeurs, on le sent et cela console. Que si l'humoriste répond qu'un bienfaiteur fait cent ingrats, on répliquera justement qu'il n'y a peut-être pas un ingrat qui n'ait été plusieurs fois bienfaiteur et cela console encore. Et c'est ainsi qu'en généralisant, la critique la plus amère porte du fruit sans nous blesser, quand la satire personnelle, aussi stérile que funeste, blesse toujours et ne produit jamais. Je hais partout cette dernière, et je la crois un si punissable abus, que j'ai plusieurs fois d'office invoqué la vigilance du magistrat pour empêcher que le théâtre ne devÃnt une arène de gladiateurs, où le puissant se crût en droit de faire exercer ses vengeances par les plumes vénales, et malheureusement trop communes, qui mettent leur bassesse à l'enchère. N'ont-ils donc pas assez, ces Grands, des mille et un feuillistes, faiseurs de bulletins, afficheurs, pour y trier les plus mauvais, en choisir un bien lâche, et dénigrer qui les offusque? On tolère un si léger mal, parce qu'il est sans conséquence, et que la vermine éphémère démange un instant et périt; mais le théâtre est un géant qui blesse à mort tout ce qu'il frappe. On doit réserver ses grands coups pour les abus et pour les maux publics. Ce n'est donc ni le vice ni les incidents qu'il amène, qui font l'indécence théâtrale; mais le défaut de leçons et de moralité. Si l'auteur ou faible ou timide, n'ose en tirer de son sujet voilà ce qui rend sa pièce équivoque ou vicieuse. Lorsque je mis Eugénie au théâtre et il faut bien que je me cite, puisque c'est toujours moi qu'on attaque, lorsque je mis Eugénie au théâtre tous nos jurés-crieurs à la décence jetaient des flammes dans les foyers sur ce que j'avais osé montrer un seigneur libertin, habillant ses valets en prêtres, et feignant d'épouser une jeune personne qui paraÃt enceinte au théâtre sans avoir été mariée. Malgré leurs cris, la pièce a été jugée, sinon le meilleur, au moins le plus moral des drames, constamment jouée sur tous les théâtres, et traduite dans toutes les langues. Les bons esprits ont vu que la moralité, que l'intérêt y naissaient entièrement de l'abus qu'un homme puissant et vicieux fait de son nom, de son crédit pour tourmenter une faible fille sans appui, trompée, vertueuse et délaissée. Ainsi tout ce que l'ouvrage a d'utile et de bon naÃt du courage qu'eut l'auteur d'oser porter la disconvenance sociale au plus haut point de liberté. Depuis, j'ai fait Les Deux Amis, pièce dans laquelle un père avoue à sa prétendue nièce qu'elle est sa fille illégitime. Ce drame est aussi très moral, parce qu'à travers les sacrifices de la plus parfaite amitié, l'auteur s'attache à y montrer les devoirs qu'impose la nature sur les fruits d'un ancien amour, que la rigoureuse dureté des convenances sociales, ou plutôt leur abus, laisse trop souvent sans appui. Entre autres critiques de la pièce, j'entendis dans une loge, auprès de celle que j'occupais, un jeune important de la Cour qui disait gaiement à des dames "L'auteur, sans doute, est un garçon fripier qui ne voit rien de plus élevé que des commis des Fermes et des marchands d'étoffes; et c'est au fond d'un magasin qu'il va chercher les nobles amis qu'il traduit à la scène française. - Hélas! monsieur, lui dis-je en m'avançant, il a fallu du moins les prendre où il n'est pas impossible de les supposer. Vous ririez bien plus de l'auteur s'il eût tiré deux vrais amis de l'Oeil-de-boeuf ou des carrosses? Il faut un peu de vraisemblance, même dans les actes vertueux." Me livrant à mon gai caractère, j'ai depuis tenté, dans Le Barbier de Séville, de ramener au théâtre l'ancienne et franche gaieté, en l'alliant avec le ton léger de notre plaisanterie actuelle, mais comme cela même était une espèce de nouveauté, la pièce fut vivement poursuivie. Il semblait que j'eusse ébranlé l'Etat; l'excès des précautions qu'on prit et des cris qu'on fit contre moi décelait surtout la frayeur que certains vicieux de ce temps avaient de s'y voir démasqués. La pièce fut censurée quatre fois, cartonnée trois fois sur l'affiche à l'instant d'être jouée, dénoncée même au Parlement d'alors, et moi, frappé de ce tumulte, je persistais à demander que le public restât le juge de ce que j'avais destiné à l'amusement du public. Je l'obtins au bout de trois ans. Après les clameurs, les éloges, et chacun me disait tout bas. "Faites-nous donc des pièces de ce genre, puisqu'il n'y a plus que vous qui osiez rire en face." Un auteur désolé par la cabale et les criards, mais qui voit sa pièce marcher, reprend courage; et c'est ce que j'ai fait. Feu M. le prince de Conti, de patriotique mémoire car, en frappant l'air de son nom, l'on sent vibrer le vieux mot patrie, feu M. le prince de Conti, donc, me porta le défi public de mettre au théâtre ma préface du Barbier, plus gaie, disait-il, que la pièce, et d'y montrer la famille de Figaro, que j'indiquais dans cette préface. "Monseigneur, lui répondis-je, si je mettais une seconde fois ce caractère sur la scène, comme je le montrerais plus âgé, qu'il en saurait quelque peu davantage, ce serait bien un autre bruit; et qui sait s'il verrait le jour?" Cependant, par respect, j'acceptai le défi; je composai cette Folle journée, qui cause aujourd'hui la rumeur. Il daigna la voir le premier. C'était un homme d'un grand caractère, un prince auguste, un esprit noble et fier le dirai-je? il en fut content. Mais quel piège, hélas! j'ai tendu au jugement de nos critiques en appelant ma comédie du vain nom de Folle journée! Mon objet était bien de lui ôter quelque importance; mais je ne savais pas encore à quel point un changement d'annonce peut égarer tous les esprits. En lui laissant son véritable titre, on eût lu L'Epoux suborneur. C'était pour eux une autre piste, on me courait différemment. Mais ce nom de Folle journée les a mis à cent lieues de moi ils n'ont plus rien vu dans l'ouvrage que ce qui n'y sera jamais; et cette remarque un peu sévère sur la facilité de prendre le change a plus d'étendue qu'on ne croit. Au lieu du nom de George Dandin, si Molière eût appelé son drame La Sottise des alliances, il eût porté bien plus de fruit; si Regnard eût nommé son Légataire, La Punition du célibat, la pièce nous eût fait frémir. Ce à quoi il ne songea pas, je l'ai fait avec réflexion. Mais qu'on ferait un beau chapitre sur tous les jugements des hommes et la morale du théâtre, et qu'on pourrait intituler De l'influence de l'affiche! Quoi qu'il en soit, La Folle journée resta cinq ans au portefeuille; les comédiens ont su que je l'avais, ils me l'ont enfin arrachée. S'ils ont bien ou mal fait pour eux, c'est ce qu'on a pu voir depuis. Soit que la difficulté de la rendre excitât leur émulation, soit qu'ils sentissent avec le public que pour lui plaire en comédie il fallait de nouveaux efforts, jamais pièce aussi difficile n'a été jouée avec autant d'ensemble, et si l'auteur comme on le dit est resté au-dessous de lui-même, il n'y a pas un seul acteur dont cet ouvrage n'ait établi, augmenté ou confirmé la réputation. Mais revenons à sa lecture, à l'adoption des comédiens. Sur l'éloge outré qu'ils en firent, toutes les sociétés voulurent le connaÃtre, et dès lors il fallut me faire des querelles de toute espèce, ou céder aux instances universelles. Dès lors aussi les grands ennemis de l'auteur ne manquèrent pas de répandre à la Cour qu'il blessait dans cet ouvrage, d'ailleurs un tissu de bêtises, la religion, le gouvernement, tous les états de la société, les bonnes moeurs, et qu'enfin la vertu y était opprimée et le vice triomphant, comme de raison, ajoutait-on. Si les graves messieurs qui l'ont tant répété me font l'honneur de lire cette préface, ils y verront au moins que j'ai cité bien juste; et la bourgeoise intégrité que je mets à mes citations n'en fera que mieux ressortir la noble infidélité des leurs. Ainsi, dans Le Barbier de Séville, je n'avais qu'ébranlé l'Etat; dans ce nouvel essai, plus infâme et plus séditieux, je le renversais de fond en comble. Il n'y avait plus rien de sacré, si l'on permettait cet ouvrage. On abusait l'autorité par les plus insidieux rapports; on cabalait auprès des corps puissants; on alarmait les dames timorées; on me faisait des ennemis sur le prie-Dieu des oratoires et moi, selon les hommes et les lieux, je repoussais la basse intrigue par mon excessive patience, par la roideur de mon respect, l'obstination de ma docilité; par la raison, quand on voulait l'entendre. Ce combat a duré quatre ans. Ajoutez-les aux cinq du portefeuille que reste-t-il des allusions qu'on s'efforce à voir dans l'ouvrage? Hélas! quand il fut composé, tout ce qui fleurit aujourd'hui n'avait pas même encore germé c'était tout un autre univers. Pendant ces quatre ans de débat, je ne demandais qu'un censeur; on m'en accorda cinq ou six. Que virent-ils dans l'ouvrage, objet d'un tel déchaÃnement? La plus badine des intrigues. Un grand seigneur espagnol, amoureux d'une jeune fille qu'il veut séduire, et les efforts que cette fiancée, celui qu'elle doit épouser, et la femme du seigneur, réunissent pour faire échouer dans son dessein un maÃtre absolu, que son rang, sa fortune et sa prodigalité rendent tout-puissant pour l'accomplir. Voilà tout, rien de plus. La pièce est sous vos yeux. D'où naissaient donc ces cris perçants? De ce qu'au lieu de poursuivre un seul caractère vicieux, comme le joueur, l'ambitieux, l'avare, ou l'hypocrite, ce qui ne lui eût mis sur les bras qu'une seule classe d'ennemis, l'auteur a profité d'une composition légère, ou plutôt a formé son plan de façon à y faire entrer la critique d'une foule d'abus qui désolent la société. Mais comme ce n'est pas là ce qui gâte un ouvrage aux yeux du censeur éclairé, tous, en l'approuvant, l'ont réclamé pour le théâtre. Il a donc fallu l'y souffrir alors les grands du monde ont vu jouer avec scandale Cette pièce où l'on peint un insolent valet Disputant sans pudeur son épouse à son maÃtre. M. GUDIN. Oh! que j'ai de regret de n'avoir pas fait de ce sujet moral une tragédie bien sanguinaire! Mettant un poignard à la main de l'époux outragé, que je n'aurais pas nommé Figaro, dans sa jalouse fureur je lui aurais fait noblement poignarder le Puissant vicieux; et comme il aurait vengé son honneur dans des vers carrés, bien ronflants, et que mon jaloux, tout au moins général d'armée, aurait eu pour rival quelque tyran bien horrible et régnant au plus mal sur un peuple désolé, tout cela, très loin de nos moeurs, n'aurait, je crois, blessé personne, on eût crié bravo ! ouvrage bien moral! Nous étions sauvés, moi et mon Figaro sauvage. Mais ne voulant qu'amuser nos Français et non faire ruisseler les larmes de leurs épouses, de mon coupable amant j'ai fait un jeune seigneur de ce temps-là , prodigue, assez galant, même un peu libertin, à peu près comme les autres seigneurs de ce temps-là . Mais qu'oserait-on dire au théâtre d'un seigneur, sans les offenser tous, sinon de lui reprocher son trop de galanterie? N'est-ce pas là le défaut le moins contesté par eux-mêmes? J'en vois beaucoup, d'ici, rougir modestement et c'est un noble effort en convenant que j'ai raison. Voulant donc faire
LES DIFFERENTS TYPES DE CHANTS DE MARINS ET LEURS CARACTERISTIQUES MUSICALES. On a récupéré notamment sur Wikipédia ci-après les principaux types de chants de marins et quelques caractéristiques musicales qu’on a pu identifier en étudiant les partitions, ou transcrivant certains chants en l’absence de partitions. Du point de vue rythme et tempo vitesse, elles sont très variées du fait de la diversité de leur fonction qui va de la complainte plutôt mélancolique au chant de travail au rythme très marqué souvent proche de la marche, lente ou rapide. On notera cependant très souvent des rythmes à deux temps et quatre temps simples marche, mais aussi beaucoup de rythmes à deux temps composés 6/8 par exemple, ce qui autorisait pour ces derniers, la chanson à être interprétée aussi bien en chant de travail qu’en chant de détente ou à danser à trois temps type valse. LES CHANTS DE TRAVAIL chants à hisser Pour rythmer la montée des voiles hissées à la force des bras par un jeu de cordes sur poulie, ce qui demandait un très gros effort. Pour faciliter le travail, il devait être coordonné, mené en cadence et par à-coups. Le chant fournit cette coordination et permet de donner le coup de rein nécessaire pour hisser ou étarquer tendre la voile Par exemple pour hisser une voile enverguée la voile est fixée à une lourde vergue horizontale, la voile se déploie au fur et à mesure que la vergue est hissée le long du mât. Avant même que l’ancre ne soit arrachée au fond, on hissait le grand foc. Ce sont des chants bien rythmés qui vont imprimer aux matelots une cadence qui leur permettra de décupler leur force. Ce chant se présente sous forme d’alternance de solo et de chœur. Le soliste, ou meneur calibre l’effort par le rythme de la chanson, le chœur, qui représente les matelots la bordée hale en reprenant le refrain. Le rythme est un deux temps composé qui se transformera aisément en valse arrivé au port le pont d’Morlaix, Jean François de Nantes,…. chants à virer. Pour le départ Virer, remonter l’ancre à l’aide du guindeau, sorte de treuil horizontal manœuvré par plusieurs l’ancre veut dire remonter l’ancre. La faire descendre se dit mouiller. Pour remonter l’encre on se servait d’un engin appelé cabestan, une sorte de gros treuil, autour duquel se mettait la bordée et le faisait tourner. Les marins devaient marcher en cadence, pour le faire tourner régulièrement et éviter tout à-coup. Il peut se rapprocher de certains chants à déhaler. Le rythme est souvent celui d’un deux temps simple, ou composé, ou quatre temps le corsaire le grand coureur, trois marins de Groix,…, marches rapides ou lentes. chants à pomper Pour rythmer le travail sur la pompe chargée d’évacuer l’eau de mer embarquée au cours de la traversée. Souvent les chants à pomper sont aussi des chants à virer, Encore et hop et vire » Chant à virer/pomper…. chants à nager à ramer Pour rythmer et coordonner le mouvement des rames. Rythmées par les mouvements des avirons, elles sont souvent lentes, ce qui s’accommode de paroles plutôt tristes, souvent un rythme à quatre temps! chants à déhaler Pour remonter le cours d’une rivière jusqu’au port. Pour faire rentrer les bateaux au port il fallait très souvent les tirer les haler. Deux rythmes de chants – ceux de marche lourde et lente où l’effort doit être constant quand les haleurs marchaient pour mettre le bateau à port. -autre solution, les haleurs déhalent, c’est-à-dire tirent sur le cordage, en restant immobiles. Ce chant est proche du chant à hisser donc plus rythmé, l’effort se produisant alors par à-coups. Un soliste donne le rythme et le tempo Rythme à deux temps simples et quatre temps chants de cabestan Pour rythmer la marche de l’équipe chargée de tourner le cabestan, treuil à axe vertical actionné par des barres réparties autour du tambour central, que les matelots poussaient en marchant par groupes de trois ou quatre sur chaque barre . Virer l’ancre au cabestan s’effectue sur un rythme de marche assez rapide, et les chansons correspondantes sont d’un caractère plus joyeux chants de guindeau, Pour rythmer la traction exercée sur le guindeau. le guindeau était un treuil à axe horizontal actionné par un système de balancier, les marins poussaient alternativement sur l’une ou l’autre des bringuebales. Le guindeau est un treuil horizontal manié à l’aide d’une sorte de levier que les marins manient en tirant en cadence. Il sert à remonter l’ancre et le travail au guindeau peut durer plusieurs heures. Le rythme sert à régler la position du levier comme une sorte de balancier. Le tempo est lent, mais très saccadé. Le rythme se décompose en deux ou quatre temps bien marqués roulez jeunes gens roulez, mais on trouve aussi du temps composés Hardi les gars LES CHANTS DE DETENTE chants de gaillard d’avant Le gaillard d’avant est la partie du bateau où se reposait l’équipage. Les officiers avaient leurs cabines à l’arrière du bateau. Chant du gaillard d’avant chanson à rêver. Le gaillard d’avant est une sorte de place publique sur les grands vaisseaux à voile d’autrefois. Etant donné les risques d’incendie, il était interdit de fumer ailleurs que sur le pont supérieur. On venait y allumer sa pipe au pout de mèche gardé par un factionnaire. On y échangeait les derniers potins du bord, on y racontait de bonnes histoires et, bien sûr, on y chantait. Chant de repos des marins lorsque le vent bien établi ne nécessite aucune activité particulière si ce n’est celle des hommes de veille. Ce sont des mélopées qui sont instrumentalisés. Ils ne sont pas caractérisés par des tempo et rythmes spécifiques complaintes La Gwerz en breton. Le marin évoque la rudesse de son travail, le village qu’il a quitté, sa bien aimée qu’il y a laissé. La mélodie est lente et mélancolique souvent dans les tonalités mineures, sur des rythmes à deux temps ou quatre temps du style ballade. chants à danser Certaines périodes d’inactivité manque de vent, etc. étaient propices aux querelles. Une des solutions pour occuper les marins consistait à les faire danser. On retrouve beaucoup de rythmes à trois temps valse et polka chansons des ports quand les marins chantent dans les cafés des ports..mais aussi des chansons pour louer la beauté d’un port …ou s’en moquer. La musique est très variée, depuis la chanson mélancolique à danser ou fredonner souvent un trois temps, ou deux temps composés jusqu’à la chanson à boire souvent du deux temps
LES CHANSONS THÉMATIQUES ÉTÉ 1990 et ÉTÉ 1991 AU ROYAUME DU ROY ARTHUR Au Royaume du Roy Arthur On vit tous en paix On n's'ennuie jamais Aspirants et Chevaliers Vivent ensemble en unité Merlin, le grand magicien Aidé de son apprentie Qui rarement réussie Protège le Royaume entier Contre les nombreux dangers Le bouffon toujours joyeux Met la vie partout Tout autour de nous Troubadours autour d'un feu Nous en mettrons plein les yeux Mystère, magie, enchantement Font partis de ce Royaume Et dans les lieux sacrés Entraide et respect des gens Nous mènerons au dépassement. ÉTÉ 1987-88-89 LE SEIGNEUR DES ANNEAUX REFRAINS Habitant de la Terre du Milieu Tous ensemble nous vivons heureux P'tit Hobits, Farfadets ou Grands Elfes Dans notre pays, c'est la fêteHobbits Nous sommes les petits Hobbits Ayant tous les pieds poilus Et qui jouons, et qui mangeons, et qui dormons Dans nos maisons sous les fleurs REFRAINS Farfadets Nous sommes les Farfadets Ayant tous des barbichettes Les Farfadets ont sur la tête un petit foulard Qu'ils se mettent pour les grandes fêtes REFRAINS Elfes Nous sommes les grands Elfes Ayant l'air farfelus Qui fabriquons de grands chapeaux Qui montent bien haut comme des tuyaux Dans les bouleaux REFRAINS 2 fois ÉTÉ 1986 VERS LE CONTINENT PERDU Une fois il était un grand bateau Qu'il était grand qu'il était beau À son bord étaient quelques matelots faisant bonne équipe, pour l'aventure Vers le futur...on vous le jure. Partis en voyage vers les rives lointaines Sous les grands ordres de la reine Qui leur avait confié la mission De trouver l'trésor du continent Qui est perdu... sans le détruire. Allons amis partons gaiement À la recherche de ce continent Montons les voiles allègrement Hissons pavillons et naviguons Joyeusement... et vive le camp. ÉTÉ 1984 - 1985 LE VIEILLARD SANS ÂGE Le tonnerre gronde dans l'île ronde Vaste domaine du vieillard sans âge Le firmament noir de nuages Cache la maison dans laquelle il vit. La pluie tombe déjà sur ses terres Boivent le loup, chevreuils et lièvres De son grand souffle chasse les nuages Le soleil se pointe dans les feuillages. Le front ridé la barbe blanche Les yeux profonds comme l'abîme On dirait qu'il est de la forêt Et qu'il détient le secret de la vie. Il a vu naître plus d'un arbre Il a vue grandir la forêt Il a vue paître maints troupeaux Aussi mérite-t-il ce repos. Parfois il s'adresse à la forêt Aux pierres, aux plantes et aux ruisseaux Il est le fils de Mère Nature Et le gardien du Grand Royaume. ÉTÉ 1980 On m'appelle Cacilo, Parce que j'ai un chapeau, Il est plein de picots, Il me sert de capot. Toi, l'ami qui est ici Dis-moi donc quel est ton nom? Comment? Ah bon! Jeux de rythmes avec les noms des amis. On m'appelle Cacilo, Parce que j'ai un chapeau, Je suis fier de mon nom, et de mon beau manteau.
allez on part on met les voiles chanson